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Article
Cotisations des avocats à l’ordre : tribunal compétent dans l’Union
Cotisations des avocats à l’ordre : tribunal compétent dans l’Union
Par son arrêt du 5 décembre 2019, la Cour de justice de l’Union européenne se penche sur la détermination du juge compétent pour connaître d’une action en paiement de ses cotisations ordinales dirigée contre un avocat inscrit auprès d’un ordre des avocats en Belgique mais qui réside en France.
par François Mélinle 20 décembre 2019
Un avocat s’inscrit au tableau de l’ordre des avocats d’un barreau en Belgique. Il établit ensuite sa résidence en France et continue, pendant plusieurs années, à payer ses cotisations annuelles professionnelles, avant de cesser le paiement. L’ordre des avocats saisit alors un tribunal en Belgique, dont la compétence est contestée au regard des dispositions du règlement Bruxelles I bis n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale.
Une question préjudicielle, qui comporte en réalité deux aspects, est transmise à la Cour de justice.
En premier lieu, on sait que le règlement s’applique en matière civile et commerciale, quelle que soit la nature de la juridiction, mais qu’il ne s’applique pas, notamment, aux matières fiscales, douanières ou administratives, et à la responsabilité de l’État pour des actes ou des omissions commis dans l’exercice de la puissance publique (art. 1, § 1).
Or ce principe soulève une difficulté en présence d’une action engagée par un ordre professionnel. Il s’agit en effet de déterminer si cet ordre agit ou non dans le cadre de l’exercice de la puissance publique. Il est en effet certain que la manifestation de prérogatives de puissance publique par l’une des parties au litige, en raison de l’exercice par celle-ci de pouvoirs exorbitants par rapport aux règles applicables dans les relations entre particuliers, exclut un tel litige de la « matière civile et commerciale » (CJUE 28 févr. 2019, aff. C-579/17, pt 49, D. 2019. 487 ).
En l’espèce, la Cour de justice retient donc qu’un litige portant sur l’obligation pour un avocat d’acquitter des cotisations professionnelles annuelles dont celui-ci est redevable à l’ordre des avocats auquel il appartient ne relève du champ d’application de ce règlement qu’à la condition qu’en demandant à cet avocat d’exécuter cette obligation, cet ordre n’agisse pas dans l’exercice d’une prérogative de puissance publique en vertu du droit national applicable. La Cour ne tranche évidemment pas le débat de la nature des prérogatives de l’ordre des avocats considéré en application du droit belge, débat qui devra être examiné par le juge national saisi.
En second lieu, la Cour de justice de l’Union européenne envisage, pour les besoins du raisonnement, l’hypothèse dans laquelle le règlement Bruxelles I bis serait bien, en définitive, applicable. Elle considère alors les dispositions de l’article 7, point 1, a. Rappelons que celles-ci énoncent, en matière contractuelle, qu’une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite dans un autre État membre devant la juridiction du lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande.
La question à résoudre est alors la suivante : l’action de l’ordre des avocats tendant à obtenir de l’un de ses membres le paiement de ses cotisations professionnelles annuelles constitue-t-elle une action en « matière contractuelle », au sens de cet article 7 ?
L’arrêt apporte une réponse approfondie et nuancée à cette question, dont la présentation impose de rappeler la teneur de la jurisprudence habituelle de la Cour à propos de cet article 7.
La notion de matière contractuelle est une notion autonome du droit européen. Et la Cour a déjà eu l’occasion d’énoncer que, si la conclusion d’un contrat ne constitue pas une condition d’application de l’article 7 (CJUE 8 mai 2019, aff. C-25/18, pt 23, D. 2019. 996 ; RTD com. 2019. 789, obs. A. Marmisse-d’Abbadie d’Arrast ), encore faut-il que l’on soit en présence d’une obligation juridique librement consentie par une personne à l’égard d’une autre et sur laquelle se fonde l’action du demandeur (même arrêt, pts 24 et 25).
Or, se référant au droit belge, l’arrêt (pts 27 et 28) relève qu’en vertu de l’article 428 du code judiciaire belge, l’inscription au tableau de l’ordre constitue une exigence à laquelle toute personne souhaitant porter le titre d’avocat et en exercer la profession doit nécessairement se conformer et qu’en application de l’article 443 du même code, le conseil de l’Ordre peut imposer aux avocats inscrits au tableau le paiement des cotisations fixées par lui, de telle sorte que, lorsque cette autorité décide de faire usage de cette compétence légale, le paiement de ces cotisations revêt, pour les intéressés, un caractère obligatoire.
Il en déduit que, dès lors qu’en Belgique, l’inscription au tableau de l’ordre constitue une obligation légale à laquelle l’exercice de la profession d’avocat est subordonné et qui impose le paiement de cotisations, l’action par laquelle un ordre d’avocats tend à obtenir la condamnation d’un de ses membres au paiement des cotisations professionnelles annuelles qu’il lui impose de payer ne constitue pas, en principe, une action « en matière contractuelle », au sens de l’article 7 du règlement Bruxelles I bis (arrêt, pt 32). Il faut en déduire que le principe général de compétence posé par le règlement a vocation à s’appliquer : la compétence est attribuée aux juridictions de l’État membre du domicile du défendeur (art. 4).
L’arrêt formule toutefois une réserve à cette approche, en indiquant qu’il ne peut pas être exclu qu’outre les relations imposées par la loi, un ordre d’avocats établisse également avec ses membres des relations de nature contractuelle. Il pourrait en être ainsi en présence de cotisations à payer à l’ordre qui constitueraient la contrepartie de prestations librement consenties, notamment en matière d’assurance, comme ce pourrait être le cas si cet ordre négociait auprès d’un assureur des conditions avantageuses pour les avocats membres. L’obligation d’acquitter de telles cotisations aurait alors un caractère contractuel, de sorte qu’une action engagée en vue d’obtenir l’exécution de cette obligation relèverait du champ d’application de l’article 7, point 1, a, du règlement.
L’arrêt ne peut qu’être approuvé. Il est d’ailleurs rédigé avec rigueur et dans un style d’une grande clarté, ce qui n’a pas toujours été le cas pour les arrêts de la Cour de justice portant sur le droit international privé. Il est vrai qu’il a été rendu sous la présidence d’un juge français, monsieur Bonichot, et que le lecteur peut retrouver dans l’arrêt les standards de rédaction auxquels les juristes français sont habitués.
L’arrêt mérite de retenir l’attention dans la perspective française car les problématiques qu’il envisage à propos du droit belge concernent également le droit français. D’une part, quoiqu’il soit excessif d’affirmer que le contentieux du paiement des cotisations des avocats est important sur le plan européen, la difficulté peut assurément se rencontrer de manière périodique dans les régions frontalières, où il est sans doute habituel de voir des avocats inscrits dans un barreau français avoir leur domicile de l’autre côté de la frontière et vice-versa. D’autre part, les avocats inscrits à un barreau en France doivent payer des cotisations (sur celles-ci, v. H. Ader et al., Règles de la profession d’avocat, Dalloz Action, 2018/2019, nos 115.73 s.). Or, sous cet angle, la distinction qu’opère l’arrêt quant à la contrepartie de l’obligation au paiement des cotisations doit retenir l’attention car, même dans le cadre interne, il arrive que la question de la qualification des cotisations des avocats soit posée (v. Rép. min. n° 24238, JO 17 sept. 2013, et n° 27524, JO 24 sept. 2013, Dalloz actualité, 1er oct. 2013, art. A. Portmann).
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