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Cour criminelle départementale : bilan positif, généralisation hâtive ?

Dalloz actualité publie le rapport du « comité d’évaluation et de suivi de la cour criminelle départementale ». Les 387 affaires jugées par ces cours ont permis de lever certaines craintes. Mais si leur généralisation a déjà été actée, le comité regrette de ne pouvoir évaluer les impacts budgétaires de la réforme et évoque le manque de moyen. Il suggère plusieurs évolutions.

par Pierre Januel, Journalistele 21 novembre 2022

Instaurée par la loi Belloubet sous la forme d’une expérimentation, la cour criminelle départementale (CCD) fut l’une des réformes judiciaires phares du premier quinquennat Macron. Les crimes passibles de moins de vingt ans de prison peuvent être jugés, non plus par des jurés populaires, mais par cinq magistrats professionnels. Cette expérimentation avait deux objectifs : réduire les délais de traitement des affaires criminelles et éviter la correctionnalisation.

Ces CCD partaient d’un constat : 2 232 affaires ont été jugées aux assises en 2019. Un chiffre en chute de 25,9 % en quinze ans. Dans le même temps, les audiences d’assises s’étaient allongées, du fait du nombre croissant de témoins entendus et de journées d’audience moins longues. Par ailleurs, le taux d’appel était passé de 24 % à 32 % entre 2006 et 2018 et les délais de traitement n’ont cessé de s’allonger.

Cette réforme fut d’abord très contestée. Puis elle a été généralisée par la loi Dupond-Moretti, avant même la fin de l’expérimentation. Trois rapports d’évaluation avaient déjà été produits par différentes instances : rapport Gallen, rapport Mazars/Sauvignat (v. Dalloz actualité, 16 déc. 2020, art. P. Januel) et rapport Getti. Le rapport du comité de suivi permet de faire le point à la fin de la réforme et suggère plusieurs pistes d’évolution.

Bilan des 387 affaires jugées

Entre le 5 septembre 2019 et le 14 juin 2022, 387 affaires ont été jugées par les cours criminelles départementales. 88 % de ces affaires ne concernaient qu’un accusé. Les viols représentent 88 % des affaires et les coups mortels 5 %. Les CCD ont jugé les trois quarts des affaires pour lesquelles elles étaient compétentes, soit un niveau « important ».

Ces 387 affaires ont nécessité 863 jours d’audience (soit 2,23 jours par affaire). Selon les éléments transmis à la mission, il aurait fallu 982 jours d’audience pour que les cours d’assises jugent ces dossiers, soit 12 % de plus. Le délai d’audiencement était en moyenne de 11,8 mois, soit presque un an. Mais ce délai « peut être deux à trois fois plus élevé devant une cour d’assises en raison de la difficulté de ces juridictions à résorber un stock croissant ».

Au total, les CCD ont condamné 428 personnes et en ont acquitté 25, soit un taux d’acquittement de 5,5 % similaire à celui des cours d’assises. Pour les viols, le taux d’appel est d’environ 22 %, soit légèrement plus que pour ceux jugés aux assises où il est de 17 % (même si le taux de 22 % a pu baisser en raison de désistements ultérieurs). La peine moyenne prononcée pour les viols est de 9,6 ans, soit très proche de celle prononcée par les cours d’assises pour des faits de même nature.

Quelques craintes levées

Le comité a constaté que « nonobstant la prévention d’origine de certains acteurs du procès criminel, tels que les avocats, tous ont relevé un total respect devant les CCD des principes d’oralité des débats et du contradictoire ». Ceci notamment parce que ces cours sont dirigées par des présidents de cours d’assises « rompus à la procédure criminelle ». Le comité propose d’ailleurs d’acter que les CCD soient présidées par un président d’assises ou un magistrat spécialement formé.

Les plaidoiries se déroulent « dans un climat moins pesant, davantage centré sur les aspects techniques et juridiques ». Les CCD permettent « d’éviter l’aléa judiciaire très souvent constaté devant les cours d’assises ». De nombreuses personnes auditionnées ont toutefois fait part de leur inquiétude de voir l’audience réduite à une seule journée. Pour le comité, la généralisation des CCD exige le maintien du format retenu pour l’expérimentation « qui passe par le respect des principes de l’oralité et du contradictoire ».

Toutefois, la plupart des personnes auditionnées par le comité n’ont pas constaté de baisse sur la correctionnalisation, alors que c’était un des objectifs principaux de la réforme. Plusieurs explications ont été avancées, comme le caractère récent de la réforme ou l’importance des stocks d’affaires criminelles. Le comité partage ce « constat général d’une difficulté d’évaluation de l’impact des CCD sur la correctionnalisation ». Il estime qu’il convient de ne pas interdire le principe de la correctionnalisation, dès lors qu’il y aurait accord de la partie civile.

Le problème des moyens humains

Si les chiffres diffèrent parfois, le coût moyen d’une journée d’audience en CCD est estimé à 1 100 €, contre 2 060 € aux assises. La vraie difficulté est celle des personnels. La CCD est composée de cinq magistrats, dont au moins trois doivent être de carrière. Au total, les 387 affaires ont mobilisé 1 935 magistrats, dont 15 % étaient honoraires et 18 % étaient des magistrats à titre temporaire.

Or la justice manque de moyens humains. Le premier président de la cour d’appel de Paris, Jean-Michel Hayat, a ainsi écrit pour demander un report de la réforme. D’autant que la création récente de réunion préparatoire criminelle apparaît chronophage. Et si les procès sont plus courts qu’aux assises, le temps de préparation pour le président reste identique.

Au total, la DSJ considère que le temps moyen consacré aux audiences est plus court que pour les assises. Elle escompte que la réforme permet d’économiser 10,3 postes au siège, 1,7 au parquet et 5,8 greffiers. Mais le comité met ces chiffres en doute. Cette hypothèse prend en compte la présence de deux magistrats honoraires ou à titre temporaire au sein de chaque CCD. Pour le comité, « aucun chiffre concret n’a été avancé permettant de déterminer le nombre de magistrats et de greffiers rendus nécessaires au fonctionnement des CCD ». Il souhaiterait qu’une évaluation soit réalisée avant la généralisation. Il souligne la « nécessité impérative » d’un recrutement substantiel de magistrats et de greffiers pour pérenniser les CCD.

Autre problème : le manque de salles pour les audiences. Pour le DSJ, l’idée de faire siéger la CCD dans un autre tribunal judiciaire pourrait être envisagée. Le comité considère que cette piste mérite d’être approfondie et étudiée.

Plusieurs pistes d’évolution

L’idée de généraliser les CCD à tous les crimes en première instance a été débattue. Mais pour le comité, « elle apparaît comme prématurée en l’état des ressources humaines ». Le comité a également rejeté l’idée de réserver ces cours aux affaires où la culpabilité est reconnue par l’accusé, cette reconnaissance pouvant être évolutive.

Le comité est favorable à ce que les CCD puissent juger des récidivistes. Une extension aux accusés mineurs « pourrait être envisagée, mais s’avère difficile », faute de ressources humaines. Une expérimentation devrait nécessairement prendre en compte les spécificités de la justice des enfants.

Devant les CCD, le dossier de procédure est conservé pendant le délibéré. Une innovation que plusieurs magistrats ont jugé utile. La règle de voter à bulletin secret a par contre été perçue comme inadaptée pour des magistrats rompus à la collégialité. Cela devrait être laissé à l’appréciation du président d’audience.

Le contentieux des CCD étant d’abord celui des violences sexuelles, le comité estime souhaitable que les magistrats à titre temporaire et les magistrats honoraires disposent de modules de formation spécifiques. Le comité relaie également la demande des greffiers d’établir des trames spécifiques au cours criminelles, ce qui n’a pas été fait pour l’expérimentation. Le comité reprend la proposition de désigner les cours d’assises d’appel des CCD dans le même département.