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Motivation d’assises : les conséquences de la déclaration d’inconstitutionnalité du 2 mars 2018

L’arrêt rapporté est l’occasion de mesurer, à propos de l’énonciation des principaux éléments à charge exposés au cours des délibérations, les conséquences de la déclaration d’inconstitutionnalité du 2 mars 2018 relative à la motivation du choix de la peine par les cours d’assises.

par Dorothée Goetzle 26 octobre 2018

En l’espèce, le requérant conteste les termes de l’arrêt d’une cour d’assises qui l’a condamné, pour viols, agressions sexuelles aggravées et agressions sexuelles, à treize ans de réclusion criminelle.

Dans son premier moyen, il invoque la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et 378 du code de procédure pénale. Relatif au jugement, ce dernier article précise les conditions de validité des procès-verbaux. Précisément, l’alinéa 2 de ce texte dispose que le procès-verbal est dressé et signé dans le délai de trois jours au plus tard du prononcé de l’arrêt. Or, en l’espèce, le procès-verbal des débats ne mentionnait pas la date à laquelle il avait été signé. Le requérant en déduisait que le procès-verbal était invalide et estimait que cette situation portait nécessairement atteinte à ses intérêts. Il est vrai qu’en 1996 et en 1999, la chambre criminelle a déjà considéré que l’indication de la date était essentielle à la validité du procès-verbal (Crim. 10 janv. 1996, n° 95-81.591, D. 1996. Somm. 260, obs. J. Pradel ; Dr. pénal 1996. 120, obs. A. Maron ; 17 mars 1999, n° 98-81.124, Bull. crim. n° 46 ; D. 1999. 130 ). Toutefois, in casu, la Cour de cassation écarte le moyen. Dans leur motivation, les hauts magistrats commencent par reconnaître que le procès-verbal des débats, signé par le président et le greffier, ne mentionnait pas la date à laquelle il avait été dressé et clos. Toutefois, ils estiment qu’en l’espèce, l’absence de date n’a pas eu pour effet de porter atteinte aux intérêts de l’accusé, notamment en ce qui concerne l’exercice du pourvoi en cassation. Ce faisant, la chambre criminelle réaffirme sa jurisprudence la plus récente. En effet, dans un arrêt du 10 décembre 2003, il avait déjà été considéré que, si le procès-verbal des débats, signé par le président et le greffier, ne mentionne pas la date à laquelle il a été dressé et clos, aucune nullité n’est encourue, dès lors qu’il n’est pas établi que l’absence de date ait eu pour effet de porter atteinte aux intérêts de l’accusé, notamment en ce qui concerne l’exercice d’un pourvoi en cassation (Crim. 10 déc. 2003, n° 03-80.539, Bull. crim. n° 239 ; D. 2004. IR 250 ; JCP 2004. IV. 1376).

Dans les autres moyens de cassation, le requérant se concentre sur la motivation de l’arrêt de la cour d’assises. Pour contester sa condamnation à des faits de viol commis sur une première victime, il souligne qu’aux termes de l’article 365-1 du code de procédure pénale, en cas de condamnation, la motivation doit consister dans l’énoncé des principaux éléments à charge exposés au cours des délibérations qui, pour chacun des faits reprochés à l’accusé, ont convaincu la cour d’assises. En l’espèce, il souligne que la cour d’assises a affirmé qu’il avait imposé des rapports sexuels à une jeune femme sans préciser de quels éléments de preuve recueillis au cours des débats cette affirmation se nourrissait. La Cour de cassation, après avoir consulté les énonciations de la feuille de questions et celles de la feuille de motivation, ne partage pas cette position. En effet, ces énonciations font ressortir que le requérant avait imposé à cette victime des rapports sexuels alors qu’elle se trouvait dans un état de vulnérabilité connu de lui. En effet, en sa qualité de psychiatre, il exerçait nécessairement sur elle une contrainte morale et une emprise psychologique dans le cadre de la thérapie qu’il prétendait lui prodiguer. En conséquence, la Cour de cassation n’admet pas ce moyen qui revient à remettre en question l’appréciation souveraine, par la cour et le jury, des faits et circonstances de la cause. Ce choix est logique. En effet, lorsque les énonciations de la feuille de questions et celles de la feuille de motivation mettent la Cour de cassation en mesure de s’assurer que la cour d’assises a caractérisé les principaux éléments à charge, résultant des débats, qui l’ont convaincue de la culpabilité de l’accusé, le moyen, qui se borne à remettre en question l’appréciation souveraine, par la cour et le jury, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être admis (Crim. 9 janv. 2013, Dalloz actualité, 22 janv. 2013, obs. M. Bombled ; ibid. 1778, chron. C. Roth, P. Labrousse, B. Laurent et M.-L. Divialle ; RSC 2013. 405, obs. X. Salvat ; 17 sept. 2014, n° 13-84.971, Dalloz actualité, 30 oct. 2014, obs. S. Fucini ; ibid. 2015. 1738, obs. J. Pradel ). 

Avec des arguments similaires, toujours fondés sur une violation de l’article 365-1 du code de procédure pénale, le requérant reproche ensuite à la cour d’assises de l’avoir déclaré coupable de viols et d’agressions sexuelles sur une mineure de 15 ans et d’agression sexuelle sur une autre jeune fille majeure. Cette fois, la Cour de cassation approuve son raisonnement. Les hauts magistrats relèvent en effet que la feuille de motivation mentionne, pour les faits de viols et agressions sexuelles aggravés commis sur la mineure de 15 ans, l’existence d’actes matériels de pénétration sexuelle et d’attouchements. La déclaration de culpabilité du chef d’agressions sexuelles repose, quant à elle, sur l’existence d’actes matériels d’attouchements. Or, pour la Cour de cassation, cette motivation est insuffisante au regard des exigences posées par l’article 365-1 du code de procédure pénale. Précisément, il est fait grief à la cour d’assises de ne pas avoir fait état d’une quelconque énonciation, « quelle qu’en soit la nature, permettant de connaître les éléments de violence, contrainte, menace ou surprise, requis par la loi, sur lesquels elle a fondé sa conviction pour les faits ainsi concernés ». Pour justifier cette cassation, les hauts magistrats précisent, dans un attendu de principe, qu’il résulte de l’article 365-1 du code de procédure pénale « qu’en cas de condamnation, la motivation consiste dans l’énoncé des principaux éléments à charge, exposés au cours des délibérations, qui, pour chacun des faits reprochés à l’accusé, ont convaincu la cour d’assises ». Ce n’est pas la première fois que la chambre criminelle est intransigeante dans le contrôle porté sur la motivation des arrêts d’assises (Crim. 20 nov. 2013, Bull. crim. n° 234 ; Dalloz actualité, 5 déc. 2013, obs. S. Fucini ; AJ pénal 2014. 81, obs. P. de Combles de Nayves ; Dr. pénal 2014. 13, obs. A. Maron et M. Haas). Toutefois, rendue peu de temps après la déclaration d’inconstitutionnalité du 2 mars 2018 portant sur le deuxième alinéa de l’article 365-1 du code de procédure pénale et dont les effets ont été repoussés au 1er mars 2019, cette cassation suscite nécessairement quelques interrogations (Cons. const. 2 mars 2018, n° 2017-694 QPC, Dalloz actualité, 6 mars 2018, obs. D. Goetz , note M. Verpeaux ; D. 2018. 1191 , note A. Botton ; ibid. 1611, obs. J. Pradel ; Constitutions 2018. 189, Décision ). Est-elle annonciatrice d’un durcissement supplémentaire de la Cour de cassation sur son contrôle de la motivation ? Pour répondre à cette question, il faudra, jusqu’au 1er mars 2019, être attentif aux arrêts à venir…