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Cour d’assises statuant en appel : des précisions sur la réparation du préjudice de la partie civile

L’arrêt civil de la cour d’assises, statuant en appel, qui accorde à une partie civile des dommages et intérêts sans préciser qu’ils réparent un préjudice souffert depuis la décision de première instance encourt la cassation.

par Dorothée Goetzle 20 février 2020

Il s’agit d’un pourvoi formé, par le condamné, contre l’arrêt d’une cour d’assises qui, sur renvoi après cassation, pour incendie volontaire d’un immeuble d’habitation ayant entraîné la mort et des blessures, l’avait condamné à vingt-cinq ans de réclusion criminelle, avait fixé la période de sûreté à la moitié de la peine, et avait prononcé une mesure de confiscation. En outre, ce pourvoi concerne également l’arrêt par lequel la cour a prononcé sur les intérêts civils.

Le premier moyen, qui se fonde notamment sur une violation de l’article 327 du code de procédure pénale, est relatif au contenu du procès-verbal des débats. En effet, le requérant reproche au président de la cour d’assises d’avoir évoqué un arrêt de cour d’assises qui avait été annulé par la Cour de cassation sans faire état de sa motivation. Il considère que selon l’article 327 du code de procédure pénale, le président de la cour d’assises statuant en appel aurait dû donner connaissance du sens de la décision rendue en premier ressort, de sa motivation et de la condamnation prononcée. La Cour de cassation n’a pas, lorsque la cour d’assises statue sur renvoi après cassation d’un précédent arrêt rendu par une cour d’assises statuant en appel, la même lecture que le requérant de l’article 327 du code de procédure pénale Dans un tel cas, les hauts magistrats considèrent en effet que la règle posée par l’article 327 du code de procédure pénale empêche le président de donner connaissance du sens de la décision annulée, de sa motivation et de la condamnation prononcée (Crim. 15 avr. 2015, n° 13-88.519). En l’espèce, le président pouvait donc sans méconnaître cette disposition se borner à rappeler l’existence de la décision annulée. En se prononçant ainsi, la Cour de cassation confirme l’interdiction de donner connaissance de la motivation de l’arrêt d’appel cassé, seule celle de l’arrêt de première instance devant faire l’objet de la communication prévue par l’article 327 du code de procédure pénale (V. Rép. pén,  Cour d’assises – le déroulement des débats de procès criminel, par M. Redon).

Dans le second moyen, le requérant souligne que l’arrêt attaqué mentionne que la cour et le jury ont délibéré en chambre du conseil alors que le procès-verbal des débats indique que les membres de la cour, les jurés de jugement et les jurés supplémentaires se sont retirés dans la chambre des délibérations. Selon lui, cette contrariété ne permet pas à la Cour de cassation de s’assurer d’une délibération en chambre de délibération conformément à l’article 355 du code de procédure pénale. La Cour de cassation, pour deux raisons, ne partage pas cette analyse. Premièrement, les deux dénominations de « chambre du conseil » et de « chambre des délibérations » peuvent être indifféremment utilisées pour désigner un même lieu. Deuxièmement, rien ne permet, en l’espèce, d’en conclure que la délibération se soit tenue en présence d’autres personnes que les membres de la cour, du jury et les jurés supplémentaires. En conséquence, pour la chambre criminelle, et dans la veine de la jurisprudence antérieure, l’emploi de ces deux mentions distinctes par l’arrêt attaqué et le procès verbal des débats ne permet pas de conclure à une violation de l’article 355 du code de procédure pénal (Crim. 22 nov. 2000, n° 00-82.458 P).

Le troisième moyen, relatif à une contradiction entre la feuille de motivation et les mentions du procès-verbal des débats, n’est pas non plus accueilli par la Cour de cassation qui considère que la cour d’assises avait, en l’espèce, caractérisé en tous ses éléments le crime dont elle a reconnu l’accusé coupable.

Dans le quatrième moyen, le requérant s’appuyait sur la décision QPC du 2 mars 2018 et mettait l’accent sur la violation des articles 362 et 365-1 du code de procédure pénale. Il entendait sur ce fondement démontrer que la condamnation de l’accusé à une peine de vingt-cinq ans de réclusion criminelle assortie d’une période de sûreté de moitié était insuffisamment motivée. Or, la Cour de cassation considère qu’en ce qui concerne le choix de la peine, la cour d’assises a indiqué les principaux éléments l’ayant convaincu. La feuille de motivation justifie en effet la peine en s’appuyant sur le comportement froid et impassible de l’accusé après le départ de feu, sa personnalité paranoïaque et psychorigide, son peu d’introspection et de compassion, ainsi que sur les conséquences irréversibles de l’incendie dans lequel une jeune femme a trouvé la mort et à l’occasion duquel trois autres victimes ont failli périr (Crim. 27 mars 2019, n° 18-82.531, Dalloz actualité, 12 avr. 2019, obs. S. Fucini). En ce qui concerne la fixation de la période de sûreté à la moitié de la peine, les hauts magistrats relèvent que la cour d’assises n’avait pas, en application de l’article 132-23 du code pénal, à prononcer de délibération particulière. En effet, aucune obligation de motiver la durée de la période de sûreté de plein droit ne résulte d’une disposition de la loi, ni des récentes décisions du Conseil constitutionnel (L. Grégoire, obligation de motivation : la période de sûreté entre dans la danse, AJ pénal 2019. 443 ; Cons. const., 26 oct. 2018, n° 2018-742 QPC, D. 2018. 2091 ; ibid. 2019. 1248, obs. E. Debaets et N. Jacquinot ; Constitutions 2018. 463, Décision ; 29 mars 2019, n° 2019-770 QPC, D. 2019. 644, et les obs. ; ibid. 2320, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et E. Tricoire ; AJ pénal 2019. 391, obs. L. Grégoire ; Crim. 10 mai 2012, n° 11-81.437, D. 2012. 1485 ).

Le dernier moyen est relatif à l’arrêt civil et précisément à la condamnation, par la cour d’assises d’appel, de l’accusé à verser une somme complémentaire à celle initialement fixée en réparation du préjudice moral. Selon le requérant, la cour d’assises ne pouvait
pas, sur le seul appel de l’appelant, aggraver son sort. Il est vrai qu’il se déduit des articles 380-3 et 380-6 du code de procédure pénale qu’une cour d’assises statuant en appel ne saurait aggraver, au plan civil, le sort de l’accusé dès lors que la partie civile n’a pas interjeté appel de l’arrêt ayant déclaré, en premier ressort, sa constitution de partie civile irrecevable; peu importe que la somme allouée soit de un euro en réparation du préjudice moral (Crim. 28 avr. 2004, n° 03-80.695, D. 2004. 1709, et les obs. ; JCP 2004. IV. 2263) Dans le même esprit, une cour d’assises statuant en appel ne saurait allouer des dommages et intérêts à une partie civile qui a été déboutée de l’ensemble de ses demandes en première instance et n’a pas interjeté appel de l’arrêt sur ses intérêts civils (Crim. 9 janv. 2019, n° 17-87.070, AJ pénal 2019. 213, obs. J. Lasserre Capdeville ).

Pour répondre au requérant, la chambre criminelle vise l’article 380-6 du code de procédure pénale. Selon ce texte, la cour d’assises, statuant en appel sur l’action civile, ne peut sur le seul appel de l’accusé, du civilement responsable ou de la partie civile aggraver le sort de l’appelant. La partie civile ne peut, en cause d’appel, former aucune demande nouvelle ; toutefois, elle peut demander une augmentation des dommages et intérêts pour le préjudice souffert depuis la précédente décision. Pour les hauts magistrats, cette disposition permet à la victime, constituée partie civile en première instance, non appelante, de demander une augmentation des dommages et intérêts pour le préjudice subi depuis la première décision (Crim. 10 juin 2015, n° 14-84.345). Toutefois, l’arrêt civil de la cour d’assises, statuant en appel, qui accorde à une partie civile des dommages et intérêts sans préciser qu’ils réparent un préjudice souffert depuis la décision de première instance encourt la cassation (Crim. 10 mai 2012, n° 11-81.437, Bull. crim. n° 114 ; 15 avr. 2015, n° 13-88.519). En l’espèce, l’arrêt civil attaqué a accordé, à des parties civiles non appelantes, des dommages et intérêts qui n’avaient pas été attribués en première instance, sans constater qu’ils réparaient des préjudices subis depuis la décision prononcée par la cour d’assises statuant au premier degré. En conséquence, la décision de la cour d’assises sur les intérêts civils encourt la cassation.