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La Cour de cassation légalise le cannabidiol et les fleurs de chanvre
La Cour de cassation légalise le cannabidiol et les fleurs de chanvre
Les tribulations juridiques du marché du chanvre industriel se succèdent. La Cour de cassation vient de rendre, à une semaine d’intervalle, deux décisions qui sécurisent le cadre juridique de ce secteur économique dynamique.
par Renaud Colson, MCF Nantesle 7 juillet 2021
La distinction entre les activités licites d’exploitation des variétés non psychotropes de cannabis sativa L. et les activités illicites de trafic et d’usage de ses variétés stupéfiantes n’a longtemps suscité aucune difficulté. Ce n’est plus le cas depuis que se développe, avec un succès grandissant, la vente de cannabidiol (le CBD, extrait de chanvre dénué d’effet enivrant mais auquel on prête des vertus relaxantes) et de fleurs de chanvre à faible teneur en delta-9-tétrahydrocannabinol (le THC, molécule psychoactive à l’origine de l’ivresse cannabique). Cette activité relève-t-elle du droit commun du commerce ou bien de la législation pénale d’exception applicable aux trafiquants de drogues ? La législation française, en raison de son imprécision, n’a jusqu’à maintenant pas permis de trancher la question.
Les acteurs économiques, producteurs, transformateurs et distributeurs, qui œuvrent à la modernisation de la filière chanvrière française dans un contexte mondial souffrent de cette insécurité juridique. Fréquemment poursuivis pour infraction à la législation sur les stupéfiants, ces entrepreneurs voient leurs stocks saisis, leurs établissements fermés, et leur réputation entachée par l’accusation infamante de trafic de drogues dans le cadre de procédures qui peuvent durer de long mois, voire des années, alors que l’illégalité de leur commerce n’est pas établie.
En l’absence de clarification du droit par le législateur, c’est aux juridictions, confrontées à un contentieux alimenté par les parquets, qu’il revient de poser les principes applicables à ce secteur d’activité. C’est ainsi que la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a exclu, il y a quelques mois, que la réglementation française interdise la commercialisation de CBD légalement produit dans un autre État membre, sauf à établir qu’une telle mesure ne soit nécessaire à la protection de la santé publique (CJUE 19 nov. 2020, B.S. et C.A., aff. C-663/18, D. 2021. 1020 , note R. Colson et Araceli Turmo ; AJ pénal 2021. 84, note Y. Bisiou ).
Reprenant l’argumentation de la juridiction européenne, la chambre criminelle de la Cour de cassation en tire toutes les conséquences dans deux arrêts du 15 et du 23 juin. Les hauts magistrats y affirment, d’une part, que la commercialisation de produits contenant du cannabidiol ne saurait être interdite en l’absence de preuve que ceux-ci entrent dans la catégorie des stupéfiants. Ils observent, d’autre part, que la vente en France de fleurs de cannabis à faible teneur en THC ne constitue pas une infraction à la législation sur les stupéfiants dès lors que celles-ci ont été légalement produites dans un autre État membre de l’Union européenne. Le périmètre du chanvre légal s’en trouve élargi et mieux défini, rendant inévitable une intervention législative pour réglementer ce secteur d’activité.
La commercialisation de produits contenant du cannabidiol n’est pas interdite
Dans un premier arrêt en date du 15 juin, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par le procureur général de la cour d’appel de Dijon contre la mainlevée, ordonnée par la chambre d’instruction de la même cour, de la fermeture d’un établissement qui commercialisait des produits à base de CBD. Pour infirmer l’ordonnance de fermeture provisoire prise par le juge d’instruction, les juges d’appel avaient mobilisé plusieurs arguments, parmi lesquels l’extrême confusion qui caractérise la législation française applicable au commerce du chanvre. Celle-ci se révèle en effet peu compatible avec le principe général d’interprétation stricte du droit pénal, lequel requiert clarté et lisibilité des règles.
Pour illustrer le manque de cohérence des textes applicables, la chambre d’instruction évoque pêle-mêle les règles régissant le CBD qui varient en fonction non pas de sa composition mais de son origine (synthétique ou naturel), l’autorisation par voie d’exception du delta 9-tétrahydrocannabinol (THC) dans sa forme pure alors que ce sont précisément les effets psychotropes de cette molécule qui justifient l’interdiction du cannabis, et le fait que cette drogue fasse désormais l’objet d’une utilisation thérapeutique. Les juges du fond observent par ailleurs que le CBD n’est inscrit ni sur la liste des substances vénéneuses ni sur celle des substances stupéfiantes. Dès lors, en l’absence de présence avérée de THC dans les produits saisis, la fermeture de l’établissement n’a pas été jugée justifiée par les juges d’appel.
La Cour de cassation valide cette position et conclut dans un attendu final qui confère à sa décision de rejet l’allure d’un arrêt de principe : l’interdiction de la commercialisation de produits contenant du CBD ne peut être ordonnée en l’absence de preuve que ceux-ci entrent dans la catégorie des stupéfiants. En posant cette règle, les juges n’ignorent pas que la Cour de justice de l’Union a très explicitement établi que le CBD n’était pas un stupéfiant au sens des traités internationaux qui constituent la pierre de touche du droit de la drogue français. Ce faisant, la Cour de cassation va au-delà de la Cour de Luxembourg. Celle-ci n’envisageait, dans sa jurisprudence fondée sur le principe de liberté de circulation des marchandises, que l’hypothèse de la vente en France de CBD produit légalement dans un autre État membre de l’Union. À la lecture de l’arrêt de la chambre criminelle, on peut penser que les hauts magistrats se dispensent de cette dernière condition et postulent la légalité, en droit français, du commerce de produits contenant du CBD, quelle que soit leur origine.
La vente de fleurs de chanvre légalement produites en Europe est autorisée
Dans un deuxième arrêt en date du 23 juin, la chambre criminelle se prononce sur une décision qui avait donné lieu à la saisie de sommités fleuries de chanvre ne contenant du THC qu’à l’état de traces. Les juges d’appel avaient considéré comme illicite la détention de cette marchandise sur le fondement de l’article R. 5132-86 du code de la santé publique qui proscrit toute activité portant sur le cannabis. Ils avaient par ailleurs exclu que s’applique aux fleurs saisies le dispositif dérogatoire établi par l’arrêté du 22 août 1990, lequel autorise par voie d’exception « l’utilisation industrielle et commerciale (fibres et graines) » de certaines variétés de chanvre à faible teneur en THC.
L’arrêt de la cour d’appel est finalement cassé au visa des articles 34 et 36 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Les juges de la Cour de cassation rappellent que le principe de libre circulation des marchandises « s’oppose à une réglementation nationale interdisant la commercialisation de cannabidiol (CBD) légalement produit dans un autre État membre lorsqu’il est extrait de la plante de cannabis sativa dans son intégralité et non de ses seules fibres et graines ». Mais la chambre criminelle, qui reprend ici mot pour mot l’argument de la Cour de justice de l’Union européenne, va au-delà puisqu’elle étend ce raisonnement aux sommités fleuries de chanvre là où les juges européens n’évoquaient que le cannabidiol.
La Cour de cassation ne laisse guère de marge de manœuvre à la juridiction de renvoi : la vente de fleurs de chanvre légalement produites dans un autre État membre de l’Union est licite sauf à établir que son interdiction est « propre à garantir la réalisation de l’objectif de protection de la santé publique » et qu’elle ne va pas « au-delà de ce qui est nécessaire pour qu’il soit atteint ». Pour audacieuse qu’elle apparaisse, la décision n’est pas étonnante. Elle anticipe un futur contentieux européen auquel la France n’échappera pas si elle maintient sur le chanvre industriel un carcan réglementaire bien peu compatible avec l’esprit du marché unique. Le gouvernement tardant à prendre ses responsabilités en la matière, ce sont les juges qui sont contraints de déterminer le domaine du chanvre légal. Qu’on se rassure : celui-ci reste rigoureusement contraint par la législation européenne.
Le périmètre du chanvre légal
La Cour de cassation n’a pas légalisé le cannabis en France par le truchement du droit européen. La jurisprudence Josemans de la Cour de Luxembourg (CJUE 16 déc. 2010, Josemans c. Burgemeester van Maastricht, aff. C-137/09, AJDA 2011. 264, chron. M. Aubert, E. Broussy et F. Donnat ; RTD eur. 2011. 597, obs. A.-L. Sibony et A. Defossez ; v. égal. CJCE 5 juill. 1988, Happy family, aff. C-289/86 ; et, s’agissant d’héroïne, CJCE 5 févr. 1981, Horvath, aff. C-50/80) reste d’actualité : les stupéfiants ne peuvent bénéficier du principe de liberté de circulation en dehors des circuits strictement surveillés de l’usage à des fins médicales ou scientifiques. Le cannabis dont la teneur en THC est supérieure à 0,2 % demeure à ce titre hors du champ d’application des libertés de circulation. Si sa vente est tolérée de facto dans un nombre croissant d’États, sa commercialisation reste interdite de jure sur le territoire de l’Union.
De manière beaucoup plus modeste, les deux décisions de la Cour de cassation se limitent à élargir le cadre juridique français autorisant, par voie d’exception, les usages industriels du chanvre, pour satisfaire aux exigences du droit européen. Ce dernier prend déjà en compte les risques pour la santé humaine que comporte l’exploitation du chanvre en restreignant celle-ci aux marchandises issues de plants dont la teneur n’excède pas 0,2 % de THC. Le fait que ces produits naturels puissent être commercialisés pour en faire des tisanes ou être vaporisés ne suffit pas à les faire basculer de la catégorie du chanvre industriel licite à celle du cannabis récréatif illicite. Cette clarification du droit ne saurait dispenser néanmoins le législateur d’intervenir, non pour interdire ce type de produits, mais pour en préciser les conditions de vente.
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