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La Cour de cassation renonce à défendre la qualification contractuelle de l’action directe du sous-acquéreur

Par deux arrêts de principe du 28 mai 2025, la Cour de cassation retient que, dans une chaîne de contrats translatifs de propriété, la loi applicable à l’action du sous-acquéreur contre le fabricant doit être déterminée conformément à l’article 4 du règlement Rome II, dès lors que la clause de choix de loi contenue dans le contrat initial ne constitue pas un choix au sens de l’article 14 de ce même règlement. Les solutions retenues par la Cour, à rebours de sa jurisprudence antérieure, suscitent des réserves tant au regard du droit international privé européen que de leur opportunité.

Deux affaires ont donné l’occasion à la Cour de cassation de se prononcer sur la délicate question de la loi applicable à l’action directe du sous-acquéreur dans une chaîne de contrats translatifs de propriété en application du droit international privé européen.

Dans une première espèce (pourvoi n° 23-13.687, D. 2025. 999 ), une société de droit luxembourgeois met à la disposition d’une société de droit belge une partie de son matériel qu’elle avait elle-même obtenu suite à la conclusion de deux contrats de crédit-bail. Le crédit-bailleur avait acquis ce matériel auprès d’une société française, vendeur intermédiaire, qui l’avait lui-même acquis auprès du distributeur également établi en France. Ce dernier le tenait lui-même de son fournisseur, une société de droit tchèque. À la suite d’un incendie ayant détruit ledit matériel, l’assureur néerlandais, subrogé dans les droits de son assuré luxembourgeois, assigne notamment les sociétés françaises devant le juge français sur le fondement de la garantie des vices cachés. Les conditions générales de vente du fabricant contenaient une clause de choix en faveur du droit belge. Les sociétés belge et luxembourgeoise ont sollicité diverses sommes sur les fondements de la garantie des vices cachés, du défaut de conformité et de l’obligation de conseil. Le fabricant tchèque est intervenu volontairement à l’instance. En application du droit français, la cour d’appel a déclaré recevables les demandes de l’assureur subrogé. Elle a par ailleurs débouté le vendeur intermédiaire français. Infirmant le jugement pour le surplus, la cour a condamné les sociétés tchèque et françaises in solidum à indemniser la société luxembourgeoise au titre des franchises restant à sa charge ainsi que le vendeur intermédiaire français au paiement de la garantie du matériel incendié à l’assureur subrogé. La société de droit tchèque a formé un pourvoi en cassation et le distributeur français a formé un pourvoi incident.

Dans une seconde affaire (pourvoi n° 23-20.341), une société française s’est vu confier la conception et la construction d’une centrale photovoltaïque au Portugal. L’installateur français a acquis les panneaux photovoltaïques auprès d’une société de droit allemand. Le contrat de vente contenait une clause attributive de juridiction en faveur des juridictions de Leipniz et une clause de choix de loi en faveur du droit allemand. La société portugaise, cessionnaire du contrat initial, assigne en 2018 les sociétés française et allemande en résolution des ventes successives et en restitution du prix. À titre subsidiaire, l’acquéreur final a invoqué la garantie contractuelle consentie par le fabricant allemand et sollicité sa condamnation au paiement de dommages et intérêts. La cour d’appel a déclaré irrecevable l’action de l’acquéreur en application du droit allemand, applicable au contrat initial. Celui-ci a formé un pourvoi en cassation. La cour d’appel a par ailleurs retenu l’incompétence du juge français pour connaître des demandes de la société française à l’encontre de la société allemande en raison de l’existence d’une clause attributive de juridiction. L’installateur français a formé un pourvoi incident, rejeté par la Cour de cassation, sur lequel la présente note ne s’attardera pas (consid. 7 s.).

Les deux pourvois posaient la question de la détermination du droit applicable à l’action directe du sous-acquéreur dans une chaîne de contrats translative de propriété, notamment en présence d’une clause de choix de loi contenue au contrat principal, en application du droit international privé européen.

Outre que la Cour de cassation s’est pour la première fois pleinement saisie de la question (D. Bureau et H. Muir, Droit international privé, t. II, 2021, p. 493, § 959 ; raisonnant sur le fondement de la Convention de La Haye de 1955, v. not., Civ. 1re, 18 déc. 1990, n° 89-12.177 ; 10 oct. 1995, n° 93-17.359, D. 1996. 171 , obs. B. Audit ; Rev. crit. DIP 1996. 332, note V. Heuzé ; 6 févr. 1996, n° 94-11.143, Rev. crit. DIP 1996. 460, note D. Bureau ; Civ. 3e, 16 janv. 2019, n° 11-13.509 ; v. égal., retenant une qualification contractuelle, Civ. 1re, 16 janv. 2019, n° 17-21.477, Dalloz actualité, 7 févr. 2019, obs. F. Mélin ; D. 2019. 124 ; ibid. 1956, obs. L. d’Avout, S. Bollée et E. Farnoux ; ibid. 2020. 1074, obs. C. Witz et B. Köhler ; AJ contrat 2019. 139, obs. C. Nourissat ; RTD civ. 2019. 294, obs. L. Usunier ; ibid. 358, obs. P.-Y. Gautier ; RTD com. 2019. 199, obs. B. Bouloc ), elle le fait d’une manière particulièrement solennelle, par deux arrêts, rendus le même jour en des termes identiques, dont l’un sous la présidence du premier président.

La Cour de cassation retient tout d’abord que, comme en droit international privé de source nationale, lorsque l’application d’un droit étranger est en débat, il revient au juge « de restituer aux faits leur exacte qualification et de trancher le litige en application de la loi qui lui est applicable » (pourvoi n° 23-20.341, consid. 13 ; pourvoi n° 23-13.687, consid. 11). Puis, transposant la solution retenue par l’arrêt Jakob Handte (CJCE 17 juin 1992, aff. C-26/91, D. 1993. 214 , obs. J. Kullmann ; Rev. crit. DIP 1992. 726, note H. Gaudemet-Tallon ; RTD civ. 1993. 131, obs. P. Jourdain ; RTD eur. 1992. 709, note P. de Vareilles-Sommières ) dans le cadre de la mise en œuvre des options de compétence en matières délictuelle et contractuelle (pourvoi n° 23-13.687, consid. 16 s. ; pourvoi n° 23-20.341, consid. 18 s.), la Cour retient que, pour les besoins du conflit de lois, l’action du sous-acquéreur contre le fabricant ne relevant pas de la matière contractuelle, elle doit être qualifiée de délictuelle et relever, à ce titre, du règlement Rome II. Elle en déduit qu’« une clause de choix de la loi applicable, stipulée dans le contrat initial entre le fabricant et le premier acquéreur, auquel le sous-acquéreur n’est pas partie, et à laquelle celui-ci n’a pas consenti, ne constitue pas un choix de la loi applicable à l’obligation non contractuelle, au sens de l’article 14, paragraphe 1er, de ce règlement » (pourvoi n° 23-13.687, consid. 20 ; pourvoi n° 23-20.341, consid. 22). La loi applicable à l’action est donc la loi du dommage au sens de l’article 4 du règlement précité. Retenue avec une force toute particulière, sans renvoi préjudiciel malgré la suggestion du conseiller rapporteur Sabine Corneloup (Rapport, p. 16), la solution peut apparaître surprenante à deux titres. D’une part, elle conduit à consacrer une qualification délictuelle à rebours des évolutions de la jurisprudence de la Cour de justice. D’autre part, au mépris de ce que postule le règlement Rome I, la Cour dénie à la clause de choix de loi de pouvoir régir le contrat, en limitant son effet aux seules parties.

Le choix d’une qualification délictuelle à rebours des évolutions de la jurisprudence de la Cour de justice

Définie prioritairement à la matière délictuelle (CJCE 27 sept. 1988, Kalfelis, aff. C-189/87), la qualification contractuelle ne s’applique qu’à une partie des actions entrant dans le champ d’application du règlement Bruxelles I bis alors qu’elle vise à déterminer le champ d’application matériel du règlement Rome I. La transposition de l’un à l’autre apparaît donc impossible. Par ailleurs, l’évolution de la jurisprudence de la Cour de justice concernant la notion de matière contractuelle pouvait valablement faire douter du maintien de la solution retenue, il y a plus de trente ans, par l’arrêt Jakob Handte.

L’impossible transposition de la notion de matière contractuelle

La méthode systématique, suivie dans les arrêts commentés (pourvoi n° 23-13.687, consid. 15 ; pourvoi n° 23-20.341, consid. 17), consiste à interpréter de manière cohérente l’ensemble des instruments de droit international privé européen des obligations (v. déjà, H. Meur, La qualification délictuelle de l’action en rupture brutale de nouveau défendue devant la Cour de justice, Dalloz actualité, 14 avr. 2025). Selon la Cour de justice, la cohérence ne saurait en aucun cas conduire à donner aux dispositions qu’il s’agit d’appliquer une interprétation étrangère au système et aux objectifs du...

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