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La Cour de justice poursuit son approche restrictive de la notion de communication au public

La Cour de justice refuse de considérer que constitue une communication au public au sens des directives 2001/29/CE et 2006/115/CE la simple installation de systèmes de sonorisation de moyens de transport (en l’occurrence, des avions et des trains). Seule la diffusion délibérée de la musique constitue une telle communication au public.

La notion de communication au public est, à la suite de l’interprétation de la Cour de justice, devenue une notion autonome du droit de l’Union européenne. Au fil des arrêts, la notion n’a pas toujours gagné en précision et a souvent provoqué les ires de la doctrine, notamment en raison de l’interprétation restrictive de la notion (pour une analyse, v. not., P. Sirinelli, A. Bensamoun et J.‑A. Benazeraf, Le droit de communication au public, RIDA 2017. 207). Chaque arrêt est donc scruté attentivement par les juristes pour essayer de mieux cerner cette notion centrale du droit d’auteur.

En l’espèce, des organismes de gestion collective ont cherché à obtenir le paiement de rémunérations restant dues et de pénalités auprès de compagnies de transport aérien et ferroviaire pour avoir diffusé à bord de ses transports des œuvres sans avoir préalablement conclu une licence. Dans la première affaire, la compagnie aérienne faisait valoir que certains de ses avions ne possèdent pas de dispositif permettant de communiquer des œuvres musicales et qu’en tout état de cause, elle n’a communiqué au public, après avoir obtenu la licence requise, qu’une seule œuvre musicale à des fins d’ambiance, dans certains de ces avions. La particularité de l’affaire tient à ce que, pour les organismes de gestion collective, la seule présence de systèmes de sonorisation suffisait à conclure que des œuvres avaient été communiquées au public dans tous les avions de la compagnie.

Ce raisonnement a été suivi par les juges du fond, qui ont considéré que l’existence de ces dispositifs à bord des avions faisait naître une présomption simple d’utilisation des œuvres. En revanche, il a été rejeté dans la seconde à propos des trains. La Cour d’appel de Bucarest saisie de ces deux affaires doute de la possibilité d’appliquer une présomption de communication au public d’œuvres musicales en raison de la seule présence de systèmes de sonorisation dans un système de transport. Partant, elle pose plusieurs questions à la CJUE.

D’abord, il lui était demandé si la diffusion dans un moyen de transport de passagers d’une œuvre musicale à des fins de musique d’ambiance constitue une communication au public. Il lui était aussi demandé si l’installation, à bord d’un moyen de transport, d’un équipement de sonorisation, et, le cas échéant, d’un logiciel permettant la diffusion de musique d’ambiance constitue une communication au public ou peut fonder une présomption de communication au public.

La Cour considère que la diffusion de la musique constitue un acte de communication au public, mais refuse de reconnaître que la simple présence d’équipement sonore constitue un acte de communication, ou même puisse constituer une présomption de communication au public. En fil d’Ariane de cet arrêt apparaît le caractère délibéré de l’acte de communication.

La diffusion de musique à bord des moyens de transport

S’agissant de la diffusion de musique à bord des avions, la Cour relève qu’il y a bien communication au public. La discussion paraît ici assez classique, mais permet de confirmer certaines tendances de la jurisprudence. La Cour rappelle d’abord que la notion de communication au public requiert deux éléments : d’une part, un acte de communication de l’œuvre et, d’autre part, sa communication effective à un public (pt 47). La Cour ne livre pas de grille d’analyse particulière et persiste à évoquer que la qualification de communication au public « implique une appréciation individualisée » (pt 47), laquelle résulte de plusieurs « critères complémentaires, de nature non autonome et interdépendants les uns par rapport aux autres » (pt 48).

S’agissant en premier lieu de l’acte de communication, elle évoque, parmi ces critères, « le rôle incontournable joué par l’utilisateur et le caractère délibéré de son intervention » (pt 49). Il s’agit de l’hypothèse dans laquelle « il intervient, en pleine connaissance des conséquences de son comportement, pour donner à ses clients accès à une œuvre protégée, et ce notamment lorsque, en l’absence de cette intervention, ces clients ne pourraient, en principe, jouir de l’œuvre diffusée » (pt 49). La Cour de justice paraît faire peu de cas du caractère lucratif de l’activité du transporteur. Elle note que ce critère est pertinent, mais n’est « pas nécessairement une condition indispensable » (pts 50 et 56 ; v. déjà, CJUE 8 sept. 2016, aff. C‑160/15, GS Media, pt 38, D. 2016. 1905 , note F. Pollaud-Dulian ; ibid. 2141, obs. J. Larrieu, C. Le Stanc et P. Tréfigny ; ibid. 2017. 697, édito. M. Vivant ; Dalloz IP/IT 2016. 543, obs. P. Sirinelli ; JAC 2016, n° 39, p. 6, obs. E. Scaramozzino ; RTD eur. 2017. 864, obs. E. Treppoz ). Si la Cour de justice avait déjà pu considérer que la musique peut rendre un établissement attractif et donc lui procurer un avantage économique (CJUE 31 mai 2016, aff. C‑117/15, Reha Training, pt 51, Dalloz IP/IT 2016. 420, obs. V. Benabou ), il faut concéder que les passagers prendront l’avion qu’il y ait de la musique à bord ou non. Or, en l’espèce, ce caractère lucratif « serait très discutable ». On se souviendra que cet argument avait été utilisé à propos de la diffusion de musique dans un cabinet dentaire. La Cour de justice décidait alors qu’« un dentiste […] qui diffuse gratuitement des phonogrammes dans son cabinet, au bénéfice de ses clients qui en jouissent indépendamment de leur volonté, ne réalise pas une “communication au public” » (CJUE 15 mars 2012, aff. C‑135/10, Del Corso, pt 100, D. 2012. 810 ; Légipresse 2012. 210 et les obs. ; RTD com. 2012. 325, obs. F. Pollaud-Dulian ; RTD eur. 2012. 964, obs. E. Treppoz ). Elle notait alors que le dentiste « ne peut raisonnablement ni s’attendre à un accroissement, en raison de cette seule diffusion, de la clientèle de son cabinet ni augmenter le prix des soins qu’il prodigue. Partant, une telle diffusion n’est pas susceptible, en soi, d’avoir une répercussion sur les revenus de ce dentiste ». La solution avait pourtant été critiquée par la doctrine. La juridiction de renvoi faisait ici valoir que ce caractère lucratif serait très discutable. On admettra, de surcroît, que le caractère lucratif ne devrait guère importer au moment de qualifier l’atteinte. En revanche, cette question reviendra au moment de...

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