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Cour européenne des droits de l’homme : conférence de presse annuelle 2021

Le président Robert Spano a tenu, le 28 janvier 2021, une conférence de presse. À cette occasion, le président de la Cour a présenté le bilan des activités de la Cour et les statistiques pour l’année 2020.

Depuis des années, à la fin du mois de janvier, le président de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) se livre à un exercice de communication qui marque à la fois le début d’une nouvelle année d’activités juridictionnelles et l’anniversaire de la juridiction internationale qui a été installée le 21 janvier 1959.

Le nouveau président, le juge islandais Robert Spano – parfait bilingue qui a tenu à s’exprimer alternativement et paritairement dans chacune des deux langues officielles que sont le français et l’anglais – a donc prononcé un discours et tenu une conférence de presse au lendemain des 62 ans de la Cour. À l’échelle de la vie d’une institution internationale, cet âge n’est pas celui de la retraite légale mais celui des derniers troubles de la croissance ; laquelle se mesure d’après les données statistiques relatives à l’année écoulée. Celles de l’année 2021 viennent d’être publiées : elles ont servi de point de départ à l’intervention annuelle du président. Il convient donc de les rapporter succinctement.

En 2020, le nombre de nouvelles requêtes s’est élevé à 41 700, ce qui représente une petite baisse de 6 % ; la CEDH a statué sur 39 190 affaires ; ce qui représente là encore une petite baisse de 4 %. Deux hausses doivent être remarquées. L’une est encourageante : c’est celle des affaires jugées par une grande chambre ou une chambre qui a augmenté de 22 % en atteignant le chiffre de 556. L’autre est plus inquiétant puisque les requêtes pendantes, en très forte diminution depuis l’entrée en vigueur du Protocole n° 14 en 2010 a connu une légère progression de 4 % pour atteindre 62 000. Le président Spano a souligné que 70 % des requêtes concernaient quatre États : la Russie, la Turquie, l’Ukraine et la Roumanie. La France, quant à elle, a été concernée par 638 nouvelles requêtes contre 693 en 2019 et elle a fait l’objet de 60 arrêts contre 19 en 2019, mais tous n’ont pas débouché sur des constats de violation de la Convention.

Secondé par la nouvelle greffière Marialena Tsirli, le nouveau greffier adjoint Abel Campos et son chef de cabinet Patrick Titiun, le président Robert Stano ne s’en est évidemment pas tenu aux chiffres : son discours et sa conférence de presse lui ont permis de donner de précieuses indications sur l’organisation interne du travail de la Cour et de délivrer, en des temps particulièrement difficiles, d’importants messages vers l’extérieur.

L’organisation interne de la Cour

Le discours présidentiel et la bonne vingtaine de questions de la presse ont, comme on devait s’y attendre, réservé une place importante à la pandémie provoquée par la covid-19. À cet égard, le président s’est dit fier du fonctionnement des services de la Cour dès le premier confinement décidé en France (où, on aurait tendance à l’oublier, elle est située) : jamais l’activité n’a été interrompue comme les statistiques en témoignent ; des mesures exceptionnelles d’extension des délais ont été prises et il a même été possible d’organiser huit audiences de grande chambre en visioconférence que le monde extérieur a d’ailleurs pu suivre en ligne.

Une autre crise, plus ponctuelle et néanmoins fort inquiétante, a été évoquée : la cyberattaque dont la Cour a été victime le 22 décembre 2020, à la suite du prononcé à la même date de l’arrêt Selahattin Demirtas c. Turquie n° 2 (req. n° 14305/17, AJ pénal 2019. 42 ), qui a empêché l’accès à son site internet pendant quatre jours. La greffière M. Tsirli a indiqué que de sérieuses mesures de sécurité électronique avaient été prises mais, pas plus que le président Spano, elle ne semble en mesure de garantir que les attaques de ceux que la diffusion des arrêts de la Cour dérange seront toujours repoussées.

Pour améliorer le fonctionnement de la Cour en temps ordinaires et l’aider, de manière agressive, selon l’expression du président, à faire face dans des délais satisfaisants au flux toujours considérable des affaires nouvelles et pendantes, plusieurs pistes ont été évoquées. Certaines dépendent des efforts, soulignés par Mme Tsirli et par M. Campos, de la Cour elle-même relativement à la procédure de règlement amiable. Celle qui semble retenir plus particulièrement l’attention du président Spano consisterait à distinguer à partir de critères plus transparents les affaires recevables prioritaires relevant d’un traitement accéléré. Une autre reste suspendue à la ratification par l’Italie du Protocole n° 15 qui introduirait d’importants changements procéduraux (comme l’abaissement de six à quatre mois du délai dans lequel les requêtes doivent être introduites après épuisement des voies de recours internes). Cet État est en effet le dernier des quarante-sept membres États membres du Conseil de l’Europe à ne pas avoir ratifié ce Protocole d’amendement dont l’entrée en vigueur est subordonnée à une ratification par l’ensemble des États membres. Le président dispose d’informations encourageantes laissant sous-entendre que 2021 pourrait être l’année de l’entrée en vigueur du Protocole n° 15.

Les messages adressés à l’extérieur

À tout bon entendeur, le président Spano a d’abord fermement rappelé les valeurs que sert la Cour et qui fondent le Conseil de l’Europe, à savoir la démocratie, l’État de droit et l’indépendance de la justice ; ensuite, il a courageusement affirmé, alors que leur mise en cause ne cesse de progresser, que le rôle de la Cour de Strasbourg n’avait jamais été aussi important qu’en ce moment. Il a donc énergiquement appelé l’ensemble des États à lui assurer par des actes et pas seulement par des paroles les moyens de continuer à exercer ses fonctions. Aux quelques États dont on met en lumière le refus de tenir compte de ses arrêts, qui pourtant d’une manière générale sont de plus en plus souvent exécutés sous la surveillance du comité des ministres, il oppose résolument l’article 46 de la Convention européenne des droits de l’homme grâce auquel leur caractère contraignant ne peut pas faire le moindre doute sur le plan juridique. Au passage, il annonce que la marge de manœuvre des États quant à l’exécution des arrêts serait d’autant plus réduite que la Cour, habituée à leur laisser le choix des moyens pour le faire, serait plus précise dans l’indication des conséquences à en tirer.

L’essentiel de son message est plus directement réservé aux juges nationaux avec lesquels il estime devoir impérativement dialoguer quand bien même cela lui attirerait des critiques comme celles, dûment rappelées par les journalistes, qu’il a essuyées après son voyage controversé en Turquie en septembre 2020. Selon le président Spano, en effet, le système de la Convention ne peut pas fonctionner sans juges nationaux indépendants qui comprennent l’importance, dans une structure démocratique, d’interpréter et d’appliquer avec force la Convention et qui doivent saisir les messages contenus dans la jurisprudence de la Cour. À cet égard, dans la perspective de l’entrée en vigueur du Protocole n° 15 qui inscrira dans le Préambule de la Convention européenne la marge nationale d’appréciation et le principe de subsidiarité, il semble indiquer que la Cour laissera aux États les mains d’autant plus libres que leurs juges appliqueront la Convention de bonne foi.

Le président Spano a aussi un message à l’intention de l’Union européenne. Se gardant prudemment d’aborder la question sous l’angle politique, il ne dissimule pas son impatience de la voir adhérer à la Convention européenne des droits de l’homme afin qu’en matière de droits de l’homme, il y ait plus de clarté et moins de risques de contradictions entre l’Europe des quarante-sept et celle des vingt-sept.

À l’adresse des justiciables, il signale les domaines dans lesquels ont été rendus les arrêts les plus importants de 2020 : l’indépendance de la justice (1er déc. 2020, Gudmundur Andri Asstradsson c. Islande, req. n° 26374/18, AJDA 2021. 200, chron. L. Burgorgue-Larsen ), les droits électoraux (10 juill. 2020, Mugemangango c. Belgique, req. n° 310/15, AJDA 2020. 1844, chron. L. Burgorgue-Larsen ), les tensions et les conflits interétatiques (21 déc. 2020, Géorgie c. Russie n° II, req. n° 38263/08 qui aide à ne pas oublier que des requêtes interétatiques, complètement éclipsées par des dizaines de milliers de requêtes individuelles, sont également prévues par l’article 33 de la Convention), les détentions arbitraires de personnalités publiques (22 déc. 2020, Selahattin Demirtas c. Turquie, préc.), les expulsions collectives de migrants (1er févr. 2020, N.D. et N.T. c. Espagne, req. n° 8675/15, AJDA 2020. 1844, chron. L. Burgorgue-Larsen ; D. 2021. 154, obs. J.-F. Renucci ).

Surtout, en réponse à des questions insistantes et pertinentes, le président Spano signale les événements générateurs de questions inédites dont la gravité appellera, en 2021, des arrêts importants : le climat et l’environnement, d’une part, la covid-19, d’autre part. Ainsi, le droit de l’environnement peut-il espérer enfin le grand arrêt de principe qu’il mérite depuis des années dans l’affaire déjà célèbre des six enfants portugais ayant souffert de la canicule et des incendies qui ont introduit une requête contre trente-trois États à qui ils reprochent de ne pas avoir convenablement agi contre la crise climatique. Enfin, on peut tabler sur un grand arrêt covid-19 puisque le président Robert Spano, décidément très combatif, a estimé qu’il ne serait pas acceptable que la CEDH traîne en longueur sur ce sujet, déjà au cœur de neuf affaires communiquées, qui fait peser de si lourdes menaces inédites sur les droits de l’homme.