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Cour pénale internationale : les États-Unis font pression sur la procureure

En pleine campagne présidentielle, l’administration américaine a décidé de passer des paroles aux actes en prononçant le 2 septembre des sanctions économiques à l’égard de fonctionnaires de la Cour pénale internationale. Ces mesures entendent protester contre l’ouverture d’enquêtes à l’égard de militaires américains envoyés en Afghanistan.

par Charlotte Collinle 25 septembre 2020

Le secrétaire d’État américain Mike Pompéo a annoncé le 2 septembre dernier le gel des avoirs de deux fonctionnaires de la Cour pénale internationale (CPI) : la procureure Fatou Bensouda et de Phakiso Mochochoko, directeur de la division de la compétence, de la complémentarité et de la coopération de la juridiction. Il a par ailleurs indiqué que les individus ou entités qui continueraient à assister matériellement la Cour s’exposaient également à de telles sanctions.

Or celles-ci ont pour effet de priver leurs destinataires d’accès à leurs avoirs aux États-Unis, ainsi que de toute interaction commerciale et financière avec des personnes ou entités qualifiées de « US persons », c’est-à-dire aux individus et aux sociétés (dont les banques) domiciliées aux États-Unis.

L’administration américaine entend ainsi contester ce qu’elle considère comme des tentatives illégitimes de la Cour de soumettre des soldats américains à sa juridiction. La CPI a en effet autorisé en mars dernier l’ouverture d’une enquête pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité en Afghanistan malgré l’opposition de l’administration Trump. L’enquête vise entre autres des exactions et des actes de torture. La compétence de la Cour, gouvernée par le Statut de Rome auquel les États-Unis ne sont pas partie, lui permet en effet de juger des crimes commis sur le territoire d’un État partie au statut, en l’occurrence : l’Afghanistan (v. art. 12.2.a).

L’administration Trump avait menacé à plusieurs reprises de prendre des mesures et avait déjà annulé le visa américain de la procureure en 2019. Le décret présidentiel (executiv order) du 11 juin, sur la base duquel sont prononcées les sanctions, va toutefois plus loin. Il permet en effet la prise de sanctions individuelles, dont la liste est très large, à l’encontre de tout employé ou agent de la Cour participant aux enquêtes, aux poursuites, à l’arrestation ou à la détention de particuliers servant ou ayant servi les États-Unis. C’est également la première fois que Donald Trump affirme l’existence d’une urgence nationale et d’une menace à la sécurité et la souveraineté nationales et autorise l’imposition à certains responsables de la CPI d’un gel de leurs avoirs et d’une interdiction d’entrée sur le territoire américain, s’appliquant aussi à leurs familles. La publication du décret n’avait alors pas manqué de soulever de vives inquiétudes. Ainsi, soixante-sept États parties au Statut de la Cour avaient ainsi émis une déclaration conjointe transrégionale réaffirmant leur « soutien indéfectible à la Cour en tant qu’institution judiciaire indépendante et impartiale ». Cette réaction s’accompagnait de communiqués de la part de l’Union européenne, du président de l’Assemblée des États de la CPI ainsi que d’organisations non gouvernementales.

Le prononcé des mesures de sanction n’a pas manqué de raviver ces réactions. Dans un communiqué du 2 septembre, la Cour a indiqué regretter profondément l’annonce de nouvelles menaces et actions coercitives contre la Cour et ses représentants, y compris de mesures financières et a réaffirmé son soutien à l’égard des membres du personnel et ses représentants ainsi que sa détermination à exercer son mandat. Selon la Cour, « ces attaques constituent une escalade et une tentative inacceptable de porter atteinte à l’état de droit et aux procédures judiciaires de la Cour. Elles sont annoncées dans le but déclaré d’influencer les actions des responsables de la CPI dans le cadre des enquêtes indépendantes et objectives et des procédures judiciaires impartiales de la Cour ». La Cour ajoute en outre qu’il s’agit « également une attaque contre les intérêts des victimes de crimes d’atrocités, pour beaucoup desquelles la Cour représente le dernier espoir de justice ». La Cour rappelle enfin la déclaration conjointe de dix États parties à la CPI membres du conseil de sécurité des Nations unies, reconfirmant leur « soutien indéfectible à la Cour en tant qu’institution judiciaire indépendante et impartiale ».

Au-délà de la menace directe formulée à l’égard de la CPI et de ses agents, il s’agit également d’une nouvelle manifestation de la défiance américaine vis-à-vis de la coopération multilatérale, alors que l’on fêtait, le 21 septembre 2020, les 75 ans des Nations unies.