Accueil
Le quotidien du droit en ligne
-A+A
Article

La couverture obligatoire d’un véhicule stationné sur un terrain privé

Un véhicule apte à circuler et non retiré officiellement de la circulation doit néanmoins être couvert par une assurance responsabilité civile automobile même si son propriétaire, qui n’a plus l’intention de le conduire, a choisi de le stationner sur un terrain privé.

par Rodolphe Bigotle 18 septembre 2018

Par suite de soucis de santé, la propriétaire d’un véhicule immatriculé au Portugal avait cessé de le conduire. L’ayant stationné dans la cour de sa maison, elle n’avait cependant entrepris aucune démarche afin de le retirer officiellement de la circulation. Sans l’autorisation et à l’insu de sa mère, son fils avait pris possession du véhicule en novembre 2006. À l’origine d’un accident de la route, ce conducteur était alors décédé, de même que deux autres personnes qui se trouvaient à bord en tant que passagers. Or la mère n’avait pas souscrit, à cette date, une assurance de la responsabilité civile automobile. Pour compenser leurs dommages résultant de l’accident, les ayants droit des passagers avaient été indemnisés par le fonds de garantie automobile (du Portugal). Le fonds avait cependant estimé que la propriétaire avait manqué à son obligation de souscrire une assurance responsabilité civile pour son véhicule. Conformément à la possibilité prévue par le droit portugais, le fonds avait ensuite assigné en justice la propriétaire notamment en lui demandant le remboursement de la somme de 437 345,85 € qu’il avait versée aux ayants droit des passagers. Cette dernière avait fait valoir qu’elle n’était pas responsable du sinistre et que, dans la mesure où elle avait stationné son véhicule dans la cour de sa maison et où elle n’entendait pas le mettre en circulation, elle n’était pas obligée de souscrire pareil contrat d’assurance.

En la matière, le droit de l’Union européenne relève de deux directives relatives à l’assurance responsabilité civile automobile.

La première, du 24 avril 1972, énonce que la responsabilité civile relative à la circulation des véhicules ayant leur stationnement habituel sur le territoire des États membres doit être couverte par une assurance (dir. 72/166/CEE du Conseil, 24 avr. 1972, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à l’assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation de véhicules automoteurs, et au contrôle de l’obligation d’assurer cette responsabilité, JO 1972, L 103, p. 1 ; telle que modifiée par dir. 2005/14/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 mai 2005, JO 2005, L 149, p. 14).

La seconde, du 30 décembre 1983, prévoit la création d’un organisme ayant pour mission d’indemniser les dommages matériels ou corporels causés notamment par un véhicule pour lequel il n’a pas été satisfait à l’obligation d’assurance (Dir. 84/5/CEE du Conseil, 30 déc. 1983, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à l’assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules automoteurs, JO 1984, L 8, p. 17 ; mod. par dir. 2005/14/CE du Parlement européen et du Conseil, 11 mai 2005, JO 2005, L 149, p. 14).

La directive 2009/103/CE du Parlement européen et du Conseil (16 sept. 2009, concernant l’assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation de véhicules automoteurs et le contrôle de l’obligation d’assurer cette responsabilité, JO 2009, L 263, p. 11) a abrogé notamment les première et deuxième directives. Néanmoins, compte tenu de la date des faits, l’affaire demeure régie par ces deux derniers textes. Les États membres peuvent réglementer les recours entre cet organisme et le responsable du sinistre et d’autres assureurs ou organismes de sécurité sociale tenus d’indemniser les victimes.

C’est dans ce cadre que le fonds de garantie a saisi la Cour suprême portugaise, laquelle a posé deux questions à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) ainsi formulées :

  • la conclusion d’un contrat d’assurance responsabilité civile automobile est-elle obligatoire lorsque le véhicule concerné se trouve, par le seul choix de son propriétaire qui n’a plus l’intention de le conduire, stationné sur un terrain privé ?
     
  • la directive du 30 décembre 1983 s’oppose-t-elle à une législation nationale qui prévoit que l’organisme d’indemnisation a le droit de former un recours contre la personne qui était soumise à l’obligation de souscrire une assurance responsabilité civile pour le véhicule ayant causé les dommages pris en charge par cet organisme, mais n’avait pas conclu de contrat à cet effet, quand bien même cette personne ne serait pas civilement responsable de l’accident dans le cadre duquel ces dommages sont survenus ?

En ce qui concerne la première question, la Cour de justice, par l’arrêt du 4 septembre 2018, dit pour droit que, selon la directive précitée du 24 avril 1972, la conclusion d’un contrat d’assurance responsabilité civile automobile est obligatoire lorsque le véhicule concerné est toujours immatriculé dans un État membre et est apte à circuler, mais qu’il se trouve stationné sur un terrain privé par le seul choix de son propriétaire qui n’a plus l’intention de le conduire.

En effet, répond à la notion de « véhicule », selon la CJUE, une automobile apte à circuler et n’ayant pas été retirée régulièrement de la circulation. La Cour de justice de l’Union européenne apporte une précision supplémentaire à celle livrée en 2014 selon laquelle l’obligation d’assurance vise les dommages causés alors que le véhicule circule dans un lieu ou non à la circulation publique (CJUE 4 sept. 2014, n° C-162/13, Dalloz jurisprudence). Par conséquent, bien que son propriétaire n’ait plus l’intention de le conduire et l’ait immobilisé sur un terrain privé, il relève toujours de l’obligation d’assurance énoncée dans la directive de 1972. En l’espèce, non seulement le véhicule de la propriétaire était en état de marche, mais encore avait-il son stationnement habituel sur le territoire d’un État membre (le Portugal) où il était toujours immatriculé. La Cour de justice rejette ainsi la pertinence de l’argumentation de la propriétaire consistant à déclarer, à cet égard, qu’elle n’avait plus l’intention de le conduire et l’avait garé dans la cour de sa maison, avant que son fils n’en prenne possession à son insu.

S’agissant du droit français, l’article L. 211-1, alinéa 1er, in fine, du code des assurances, modifié par la loi n° 2007-1774 du 17 décembre 2007, retient, à propos de la notion de véhicule soumise à l’obligation d’assurance, que, « pour l’application du présent article, on entend par "véhicule" tout véhicule terrestre à moteur, c’est-à-dire tout véhicule automoteur destiné à circuler sur le sol et qui peut être actionné par une force mécanique ». L’article L. 211-2 énonce que les dispositions de l’article L. 211-1 du code des assurances ne sont pas applicables aux dommages causés « par les chemins de fer et les tramways ». Dès lors, ce texte ne prévoit pas expressément d’autres exclusions de l’obligation d’assurance. En outre, l’article L. 211-4-1, créé par la loi n° 2007-1774 du 17 décembre 2007, dispose que « le véhicule est réputé avoir son lieu de stationnement habituel en France : 1° Lorsqu’il porte une plaque d’immatriculation qui lui correspond et qui a été délivrée par les autorités françaises […] ». Il n’est donc pas distingué, pour l’application de l’obligation, selon que le stationnement soit public ou privé. Telle que redéfinie en droit français en 2007, la notion de véhicule a ainsi été rendue exactement conforme à la définition paraissant à l’article 1er de la directive du 24 avril 1972. En l’état, la définition française ne semble pas contrarier celle qui est à présent précisée par la Cour de justice. En outre, la jurisprudence française retient enfin une définition extensive de la notion de véhicule terrestre à moteur, dont le contentieux est important quant au type d’engin concerné (par ex., à propos d’une nacelle autoportée, v. Crim. 15 janv. 2008, n° 07-80.800, D. 2008. 554 ; ibid. 2009. 123, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé et S. Mirabail ; AJ pénal 2008. 189, obs. C. Saas ; RDT 2008. 247, obs. L. Lerouge ; RTD com. 2008. 638, obs. B. Bouloc ; RGDA 2008. 349, note J. Landel ; ou d’une mini-moto, v. Civ. 2e, 22 oct. 2015, n° 14-13.994, Dalloz actualité, 4 nov. 2015, obs. T. de Ravel d’Esclapon ; ibid. 2016. 35, obs. P. Brun et O. Gout ; RTD civ. 2016. 135, obs. P. Jourdain ). Enfin, la Cour de cassation a participé dernièrement au mouvement de renforcement de l’assurance obligatoire automobile, commandant aux juridictions du fond d’appliquer, au besoin d’office, les dispositions d’ordre public de la loi du 5 juillet 1985 (R. Bigot, L’assurance automobile et l’application d’office des dispositions d’ordre public de la loi du 5 juillet 1985, ss. Civ. 2e, 5 juill. 2018, n° 17-19.738 P, dès lors, selon la Cour de cassation, que « les dommages avaient été causés par un accident de la circulation survenu entre deux véhicules à moteur », il incombait à la juridiction du fond, « pour trancher le litige de faire application, au besoin d’office, des dispositions d’ordre public de la loi du 5 juillet 1985 »).

Quant à la seconde question, la Cour de Luxembourg juge que la directive du 30 décembre 1983 ne s’oppose pas à une législation nationale qui, à l’instar de la loi portugaise, prévoit que l’organisme d’indemnisation – ici le fonds de garantie automobile – peut intenter une action récursoire « non seulement contre le ou les responsables du sinistre, mais également contre la personne qui, alors qu’elle était soumise à l’obligation de souscrire une assurance responsabilité civile automobile pour le véhicule ayant causé le sinistre, n’a pas conclu de contrat à cet effet, et ce quand bien même cette personne ne serait pas civilement responsable du sinistre » (CJUE 4 sept. 2018, communiqué de presse n° 125/18, préc.). En l’absence d’harmonisation par le législateur de l’Union européenne des multiples aspects relatifs aux recours d’un fonds de garantie, notamment de détermination des personnes autres que « le ou les responsables du sinistre » susceptibles de faire l’objet d’un tel recours, chaque État membre peut agencer ces aspects à l’aide de son droit national (CJUE 4 sept. 2018, communiqué de presse n° 125/18, préc., in fine : « Il s’ensuit qu’une législation nationale peut prévoir que, lorsque le propriétaire du véhicule impliqué dans l’accident a manqué à l’obligation qui lui incombait d’assurer ce véhicule, cet organisme d’indemnisation peut exercer un recours non seulement contre le ou les responsables du sinistre, mais également contre ce propriétaire, et ce indépendamment de la responsabilité civile de ce dernier dans la survenance de l’accident »).