Accueil
Le quotidien du droit en ligne
-A+A
Article

Covid-19 : nouvelle adaptation des règles applicables aux entreprises en difficulté

L’ordonnance n° 2020-1443 du 25 novembre 2020 vient compléter les mesures adaptant le droit des entreprises en difficulté à la situation sanitaire et économique. Elle reprend et modifie certaines mesures introduites par l’ordonnance n° 2020-341 du 27 mars 2020 adaptant les règles relatives aux difficultés des entreprises et des exploitations agricoles.

par Karine Lemercier et François Mercierle 4 décembre 2020

Depuis le début de la crise sanitaire, le spectre d’une « vague de faillites » plane sur le tissu économique français. Afin de limiter ce risque, l’État a très vite mis en place des mesures de soutien (not. chômage partiel, prêt garanti par l’État, report et délais de paiement d’échéances sociales et/ou fiscales, fonds de solidarité, etc.) et aménagé les règles relatives au droit des entreprises en difficulté. Deux ordonnances sont venues ainsi adapter la législation afin de prendre en compte les conséquences de la crise sanitaire pour les entreprises et les exploitations agricoles. Une première ordonnance n° 2020-341 du 27 mars 2020 avait pour objectif d’apporter une réponse rapide aux difficultés immédiates des entreprises résultant de l’arrêt massif de l’activité économique (ord. n° 2020-341, 27 mars 2020, JO 28 mars, v. notre comm., Dalloz actualité, 1er avr. 2020). Plusieurs dispositions de l’ordonnance étaient applicables pendant une période transitoire courant tantôt jusqu’au 23 juin 2020, tantôt jusqu’au 23 août 2020. Une deuxième ordonnance n° 2020-596 du 20 mai 2020 est venue consolider certaines dispositions de la première ordonnance, et a poursuivi l’effort d’adaptation des règles du droit des entreprises en difficulté afin de renforcer l’efficacité des procédures (ord. n° 2020-596, 20 mai 2020, JO 21 mai, v. notre comm., Dalloz actualité, 28 mai 2020). Les dispositions de cette ordonnance sont applicables selon le cas, jusqu’au 31 décembre 2020 ou jusqu’au 17 juillet 2021. Les articles 1er à 6 de l’ordonnance n° 2020-596 du 20 mai 2020, à l’exclusion de l’article 7 dont certaines applications furent controversées, doivent d’ailleurs être prolongés jusqu’au 31 décembre 2021 par l’article 43 ter du projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique (dit ASAP). Ces dispositions n’avaient donc pas vocation à être prolongées ou adaptées dans le cadre d’une nouvelle ordonnance. En revanche, s’agissant de l’ordonnance n° 2020-341 du 27 mars 2020, celle-ci comporte plusieurs mesures que le gouvernement a jugé utile d’adapter dans une nouvelle ordonnance n° 2020-1443 du 25 novembre 2020 afin de tenir compte de l’évolution de la situation sanitaire et économique.

Prorogation de la durée de la procédure de conciliation par décision du président du tribunal

Selon l’article 1er de l’ordonnance, la durée de la procédure de conciliation peut être prorogée, une ou plusieurs fois, à la demande du conciliateur, par décision motivée du président du tribunal, sans que cette durée puisse excéder dix mois. Cette disposition s’inscrit dans la continuité de l’article 1er, II, de l’ordonnance n° 2020-341 du 27 mars 2020, qui avait prolongé de plein droit la durée de la procédure de conciliation. Là où la durée de la procédure avait pu laisser quelques incertitudes à la seule lecture de l’ordonnance n° 2020-341 du 27 mars 2020, celle du 25 novembre 2020 est claire : la durée maximale de la procédure est de dix mois, soit le double par rapport au délai de droit commun (C. com., art. L. 611-6). Cette disposition s’applique aux procédures en cours qui ont été ouvertes à compter du 24 août 2020, afin qu’elles ne se cumulent pas avec les prolongations résultant de l’ordonnance n° 2020-341 du 27 mars 2020, qui s’appliquaient aux procédures ouvertes au plus tard le 23 août 2020. Elle s’applique également aux procédures de conciliation ouvertes à compter de l’entrée en vigueur de l’ordonnance, soit le 27 novembre 2020, et sont applicables jusqu’au 31 décembre 2021 inclus. Selon le rapport au président de la République, cette extension de la durée de la procédure de la conciliation répond au souhait « de ne pas compromettre les efforts de recherche d’une solution préventive dans un contexte de persistance de la crise sanitaire rendant difficiles les prévisions ». Cette mesure, combinée avec celle du projet de loi ASAP qui doit prolonger la possibilité pour le débiteur de solliciter des délais de grâce ou une mesure de suspension des poursuites individuelles, poursuit l’objectif louable de prévenir les difficultés des entreprises. Dans le contexte actuel, cette mesure incite au recours aux procédures préventives avant que la situation financière de l’entreprise ne soit trop lourdement obérée, afin de négocier une issue favorable avec les créanciers, tels qu’un bailleur, par exemple.

Au demeurant, l’extension de la durée de la procédure de conciliation n’en suscite pas moins scepticisme et inquiétude.

Scepticisme d’abord face aux derniers chiffres révélant que les entreprises recourent toujours aussi peu aux procédures préventives, et en particulier les TPE/PME (v. T. Gardon, Les entreprises sont toujours sous assistance respiratoire, La Tribune, 24 nov. 2020). En Île-de-France, là où les sociétés de taille significative recourent plus facilement aux procédures amiables, les derniers chiffres indiquent qu’après une légère baisse jusqu’à la fin juillet, le recours à la procédure de conciliation progresse de 10 % (OCED, Flash Info, Les entreprises en difficulté en chiffres, oct. 2020). C’est d’ailleurs face à ce constat qu’une mission sur la justice économique a été installée début octobre en vue de formuler des recommandations destinées à mieux accompagner les entreprises en difficulté (v. Communiqué de presse, 5 oct. 2020, Installation de la mission justice économique).

Vigilance ensuite, en ce que la prolongation de la durée des procédures de conciliation doit être utilisée par les conciliateurs à sa juste mesure pour obtenir une issue favorable, et non comme un levier jusqu’au-boutiste grevant toute solution alternative de redressement. Les rôles du conciliateur et du président du tribunal, voire du ministère public, sont ici déterminants de l’efficacité de la mesure. Dans ce prolongement, on peut s’interroger sur la pertinence d’une procédure de conciliation dont la durée avoisine celle d’une procédure collective qui, elle, est opposable à tous les créanciers, à la différence de la procédure de conciliation. Rappelons qu’en droit commun, la résolution des difficultés d’une entreprise peut l’être dans un cadre amiable et confidentiel, par la succession d’un mandat ad hoc et d’une conciliation, dont la temporalité est proche de celle d’une procédure collective. La mesure dérogatoire ne prend donc tout son sens que si elle répond à l’esprit de la conciliation.

Accélération de la prise en charge des créances salariales

Afin d’accélérer la prise en charge des créances salariales, l’article 2 de l’ordonnance reprend une mesure instaurée par l’ordonnance n° 2020-341 du 27 mars 2020 (art. 1er, I, 2°). Dès qu’ils sont établis par le mandataire judiciaire, les relevés de créances salariales sont transmis, sous sa seule signature, à l’association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés (AGS), l’avis du représentant des salariés et le visa du juge-commissaire devant être rendus ultérieurement. Certainement pour plus de sécurité juridique, l’alinéa 2 de l’article 2 de l’ordonnance précise que, « lorsque l’exemplaire n’est pas conforme au relevé sur lequel est apposé le visa du juge-commissaire, le mandataire judiciaire transmet sans délai ce dernier » à l’AGS. Nous pensons qu’il s’agit plus d’un relevé complémentaire qui est ici visé, que d’une absence de conformité. Au-delà, le rétablissement de cette mesure dans l’ordonnance n° 2020-1443 du 25 novembre 2020 ne soulève pas d’autre commentaire si ce n’est celui de son opportunité en permettant aux salariés d’être indemnisés rapidement, et d’éviter en cela de créer des tensions sociales dans un contexte économique tendu. D’ailleurs, ces dispositions s’appliquent aux procédures en cours et jusqu’au 31 décembre 2021.

Assouplissement de certaines formalités

L’article 3 de l’ordonnance reprend divers assouplissements des formalités applicables entre les administrateurs et mandataires judiciaires, le greffe du tribunal et les organes juridictionnels de la procédure. Ces assouplissements, initialement prévus par le 3° du I de l’article 2 de l’ordonnance n° 2020-341 du 27 mars 2020, permettent aux acteurs de la procédure de communiquer par tous moyens dans le cadre des procédures du livre VI du code de commerce. Toutefois, cette disposition ne s’applique pas lorsque les textes du livre VI du code de commerce imposent d’en prendre connaissance au greffe du tribunal. Il en est ainsi lorsque la loi impose un dépôt pour que le débiteur ou des tiers puissent prendre connaissance des éléments concernés. Tel sera le cas par exemple d’un accord de conciliation homologué, du dépôt des offres de reprise ou encore du dépôt par l’administrateur ou le mandataire judiciaire du compte-rendu de fin de mission. Ces dispositions s’appliquent aux communications effectuées à compter de la date d’entrée en vigueur de l’ordonnance, jusqu’au 31 décembre 2021 inclus. Le rapport au président de la République précise que ces dispositions sont applicables aux procédures en cours.

En définitive, les dispositions d’adaptation issues de cette ordonnance sont peu nombreuses et n’offrent pas de solutions nouvelles aux grandes inquiétudes. Les derniers chiffres sur les difficultés des entreprises indiquent que depuis le mois de janvier 2020, le nombre de défaillances d’entreprises est au niveau le plus bas depuis plus de trente ans (v. Altares, Défaillances et sauvegardes d’entreprises en France, 3e trimestre 2020). Des chiffres qui font donc craindre à de nombreux acteurs un rebond des ouvertures de procédures dans les mois à venir (v. not. Coronavirus : « Les entreprises sont toutes sous perfusion », une vague de faillites attendue en 2021, La Voix du Nord, 13 oct. 2020). Mais surtout, c’est le nombre de liquidations judiciaires directes qui augmente (au 3e trimestre 2020, les liquidations judiciaires concernaient plus de trois entreprises sur quatre, contre deux procédures sur trois traditionnellement). Autrement dit, la situation financière des entreprises qui se présentent devant le tribunal ne permet plus d’envisager une poursuite d’activité. Un constat qui soulève un certain nombre d’interrogations sur les mesures dérogatoires mises en place par les ordonnances prises en droit des entreprises en difficulté.