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Crash d’un vol domestique russe : la justice française reconnue compétente
Crash d’un vol domestique russe : la justice française reconnue compétente
Un avion ATR-72 s’est écrasé dans l’Oural le 2 avril 2012. Après avoir obtenu des dédommagements sur le territoire russe, des victimes et ayants droit ont assigné à Toulouse le constructeur aéronautique ATR et la société russe UTair.
par Maxence Peniguetle 1 février 2018
Pour David Kukhalashvili, c’est une victoire doublée d’une première. Pour la première fois, son équipe a réussi à rendre compétente une justice étrangère concernant l’indemnisation des ayants droit et victimes d’un accident survenu lors d’un vol domestique en Russie.
« On a eu l’opportunité d’essayer en 2006 et 2008 », explique l’avocat, qui regrette que la compétence étrangère n’ait alors pas été acceptée. En 2006, il s’agissait de l’accident d’un Airbus A310 de la compagnie aérienne S7, causant la mort de 125 personnes lors de l’atterrissage à Irkoutsk, en Sibérie. En 2008, l’affaire concernait le crash d’un boeing 737 d’Aeroflot-Nord, à Perm, tuant les 88 personnes présentent dans l’avion.
Et puis, un nouveau drame. Le 2 avril 2012, le vol UTA-120 de la compagnie aérienne UTair s’écrase quelques instants après le décollage, près de l’aéroport international Roshchino, non loin de la ville de Tioumen. L’appareil, un ATR-72, devait rejoindre la ville de Sourgout avec à son bord quatre membres d’équipage et 39 passagers. Trente personnes sont mortes avant l’arrivée des secours, une est décédée pendant son évacuation, deux autres à l’hôpital des suites de leurs blessures.
Un an plus tard, selon le quotidien russe Kommersant, l’enquête menée pointe du doigt plusieurs personnes : le commandant de bord, qui n’a pas demandé l’application du traitement antigel sur l’appareil et les employés d’UTair-Technik, qui auraient dû insister sur le bon suivi des mesures contre le froid. En outre, lors du décrochage de l’avion, l’équipage n’a pas pris les dispositions adéquates, démontrant un manque de formation.
Prison et indemnisation
Au terme de la procédure pénale, la justice russe a jugé coupables deux personnes. Anatoly Petrochenko et Andrei Pisarev, membres de l’équipe technique au sol, ont été condamnés à cinq ans et un mois de colonie pénitentiaire. Le pilote, Sergei Antsin, a été reconnu responsable, mais en raison de son décès lors de l’accident, les charges contre lui ont été abandonnées.
Question indemnisation, comme l’explique David Kukhalashvili, « la compagnie aérienne UTair a été obligée de verser jusqu’à deux millions de roubles (28 700 €). Elle avait un mois après le crash pour le faire. Mais cela ne voulait pas dire que l’affaire était terminée ».
En France
Pour obtenir une indemnisation plus importante, les avocats décident d’attaquer en France l’entreprise ATR et la compagnie aérienne UTair. « Nous avions l’information que l’avion avait des problèmes de fabrication », raconte David Kukhalashvili. Un élément qui leur permet d’espérer la compétence de la justice française.
Fin 2013, des victimes et ayants droit ont donc assigné devant le tribunal de grande instance de Toulouse les deux entreprises. Pour ces dernières, comme le note le juge de mise en état dans une ordonnance du 27 octobre 2016, « en l’absence de tout commencement de preuve rendant vraisemblable une mesure d’instruction visant cette société [ATR], l’assignation revêt un caractère artificiel destiné à contourner l’application des règles de compétence pour rattacher l’indemnisation aux barèmes d’indemnisation pratiqués en France ».
Et le juge, avant de faire droit à l’exception d’incompétence soulevée, de rajouter que « les défenderesses font remarquer que les extraits du rapport mettant en cause le système de dégivrage (…) concernent un autre appareil ».
Trois ans après, le 22 novembre 2017, rebondissement. La cour d’appel rend un arrêt contradictoire, dont voici le motif central : « Attendu qu’au soutien de l’action en responsabilité engagée à l’encontre du GIE ATR les demandeurs invoquent, dans leur acte introductif d’instance, un défaut de conception dans la gestion du givre sur les ailes du modèle de première génération de l’aéronef de marque et type ATR 72-201 ; que ce moyen, qui est bien en relation avec l’activité de constructeur d’aéronefs du GIE ATR, dont le siège social est situé en France, suffit à qualifier de réelle et sérieuse la qualité de ce défendeur à l’instance introduite devant le tribunal de grande instance de Toulouse ».
Un arrangement éventuel
Un flou subsiste toutefois. L’arrêt précise « qu’en vue d’une bonne administration de la justice, il convient de surseoir à statuer dans l’attente des décisions judiciaires définitives à rendre par les juridictions de Russie ».
Pour David Kukhalashvili, cela s’explique facilement : « Lors de l’appel, la défense a demandé qu’en cas de reconnaissance de compétence, la justice française ne devrait commencer à analyser l’affaire qu’à la fin de la procédure en Russie. En fait, il n’y avait pas de procédure civile contre UTair (…). Il n’y avait qu’au pénal que l’affaire était en cours », précise-t-il. « Et quand l’arrêt a été rendu, elle était terminée».
La suite, pour les victimes et ayants droit du vol UTA-120, ne passera cependant pas forcément par la justice. « Nous essayons de discuter avec UTair, nous voulons trouver un arrangement (…). Mais s’ils refusent (…), nous demanderons à la cour de continuer la procédure », conclut David Kukhalashvili.
Contactés, la compagnie aérienne UTair, le constructeur ATR et ses représentants n’ont pas donné suite à nos demandes d’information à parution de cet article.
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