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Créance alimentaire : portée du régime dérogatoire dans la procédure collective

Cet arrêt est le bienvenu qui fournit un vade-mecum, aussi précieux que complet, du régime des créances alimentaires, et en particulier des créances nées d’une prestation compensatoire, détenues contre un débiteur en procédure collective.

par Alain Lienhardle 26 juin 2019

Dans le fond, il ne s’agit là que de rappels, car la Cour de cassation reprend, en les synthétisant et les clarifiant, une solution prétorienne remontant à 2003 et sa consécration légale en 2005 et 2008. Mais, ce faisant, elle lève des doutes, qu’un arrêt récent avait encore amplifiés.

Pour l’essentiel, et initialement, le sort des créances alimentaires, auxquelles sont assimilées les créances de prestation compensatoire, malgré leur caractère mixte, alimentaire et indemnitaire à la fois, résulte d’une jurisprudence d’avant la loi de sauvegarde (Com. 8 oct. 2003, nos 99-21.682 et 00-14.760, D. 2003. 2637 , obs. A. Lienhard ; ibid. 2004. 54, obs. F.-X. Lucas ; ibid. 1965, obs. A. Danis-Fatôme ; AJ fam. 2004. 23, obs. S. D. ; RTD com. 2004. 368, obs. A. Martin-Serf ) : « La créance d’aliments, qui est une dette personnelle du débiteur soumis à une procédure collective, doit être payée sur les revenus dont il conserve la disposition, ou bien être recouvrée par la voie de la procédure de paiement direct ou de recouvrement public des pensions alimentaires ». La loi du 26 juillet 2005, puis, pour plus de précision, l’ordonnance du 18 décembre 2008, étaient venues ultérieurement tirer les conséquences de ce traitement particulier, en exceptant expressément les créances alimentaires (antérieures et postérieures) de l’interdiction de paiement, à l’article L. 622-7 du code de commerce, et en les dispensant de l’obligation de déclaration, à l’article L. 622-24.

D’où deux questions, incertaines jusqu’ici, auxquelles répond parfaitement l’arrêt du 13 juin 2019.

Première question : quelle était la portée de l’autorisation de payer les créances, celle-ci se limitait-elle toujours aux revenus dont le débiteur conserve la disposition, ce qui, à vrai dire, ne concernait que la liquidation judiciaire, en raison du dessaisissement, ne laissant guère en pratique alors d’autre assiette que les subsides éventuellement accordés ? L’hésitation était permise, et de mise chez tous les commentateurs, nécessairement dubitatifs quant à la signification du silence à cet égard du législateur. Désormais, c’est clair et dit : pour la Cour de cassation, rien n’a changé.

Réponse d’autant mieux venue qu’une décision du 16 janvier 2019 avait semé le trouble. Au motif que l’action en divorce était attachée à la personne du débiteur en liquidation judiciaire, la Cour de cassation y avait estimé que le débiteur, bien que dessaisi, pouvait seul l’intenter ou y défendre, s’agissant de la fixation de la prestation compensatoire, à charge, pour le liquidateur souhaitant contester l’abandon d’un bien propre à ce titre, de le faire par la voie de la tierce opposition (Com. 16 janv. 2019, n° 17-16.334, D. 2019. 980 , note F. Hartman ). De cette décision, une partie de la doctrine avait craint de devoir déduire – ce qui valait pour la prestation compensatoire en capital devant s’appliquer aussi à la prestation compensatoire sous forme de rente – que, dorénavant, le paiement de celle-ci pourrait se faire, au-delà des revenus dont le débiteur conserve la disposition, sur tous les actifs de la procédure (v. Leden, mai 2019, p. 5, obs. P. Rubellin ; APC 2019, n° 35, obs. F. Petit). Mais non, fausse alerte : là encore, rien de modifié depuis 2003. Pas de brèche dans l’effet réel de la liquidation, la chambre commerciale y insiste : le règlement ne peut pas intervenir sur les fonds disponibles dans la procédure.

Ajoutons encore qu’autorisation de paiement pour le débiteur ne signifie pas – pour une fois, car, en général, c’est le cas – autorisation de poursuite individuelle pour le créancier. Sur ce point aussi, l’arrêt du 13 juin 2019 met fin à certains flottements d’interprétation, alors même que le législateur n’avait pas voulu (ou songé à) modifier l’article L. 622-21.

Seconde question : quelle était la portée de la dispense de déclaration de la créance ? Là, le doute balayé était moins fort. Dispense n’est pas interdiction, confirme la chambre commerciale (comme, dans un tout autre contexte, en cas de nouvelle procédure après résolution du plan, v. Com. 30 janv. 2019, n° 17-31.060, D. 2019. 253 ; Rev. sociétés 2019. 214, obs. P. Roussel Galle ), mais n’équivaut pas, en revanche, à déclaration. Autrement dit, pour profiter des dividendes en cas de plan, ou des répartitions en cas de liquidation, le créancier alimentaire devra déclarer sa créance à la procédure dans les conditions du droit commun.