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Crimes de guerre : un tribunal populaire dans l’est de l’Ukraine

Des citoyens des régions séparatistes de l’est de l’Ukraine ont créé un tribunal qui doit juger des responsables de crimes de guerre qui auraient été commis par les forces gouvernementales. Une initiative qualifiée de « performance politique » par une organisation de la société civile.

par Maxence Peniguetle 13 avril 2018

Sur les images de l’agence de presse DAN, la salle d’audience est pleine, le 3 avril 2018. Elle semble avoir été aménagée pour l’occasion. Des caméras se font très présentes et le logo de la juridiction, rouge foncé et lettres avec effet 3D, a tout l’air d’avoir été créé pour ces dernières. Bienvenue au « Tribunal populaire ukrainien pour l’investigation des crimes de guerre du régime de Petro Poroshenko » (TPU), à Donetsk, capitale de la République populaire et séparatiste du même nom, à l’est de l’Ukraine, dans la région du Donbass. 

Plus de 10 000 personnes ont perdu la vie dans la guerre du Donbass depuis le début du conflit. Le bureau de la procureure de la Cour pénale internationale (CPI), qui réalise un examen préliminaire de la situation, précisait en décembre dernier « avoir recensé plus de 1 200 épisodes au cours desquels des crimes auraient été commis depuis le 20 février 2014 dans le contexte des événements survenus dans l’est de l’Ukraine ».

Ces crimes, qui auraient été commis par les forces nationales et les groupes séparatistes, restent impunis. C’est contre une partie de cette impunité qu’un groupe de citoyens des deux républiques séparatistes (Donetsk et Lougansk) justifie la création du TPU, le président ukrainien élu en mai 2014.

Législation ukrainienne et droit international

L’établissement du TPU, qui siège à Donetsk, a été annoncé le 15 mars dernier. « Les affaires et les éléments relatifs aux crimes seront examinés sur la base de la législation ukrainienne et en tenant compte des normes du droit international », explique l’agence de presse russe TASS. Lors de sa première journée de travail, le 26 mars, le tribunal a lancé des accusations contre huit personnes : le président Poroshenko, des membres de son gouvernement, le président du parlement, un ancien premier ministre et deux éléments de l’appareil militaire ukrainien.

« Les accusés n’étaient pas présents, mais cela n’a pas empêché le TPU d’ouvrir sa première session », a déclaré la juge présidente de l’institution, Elena Shishkina, à l’agence de presse DAN. La présentation des crimes se fera par « blocs » : « l’utilisation de forces armées contre la population civile, torture, blocus, la création illégale de formations armées, génocide, etc. Pour chaque bloc, les faits les plus choquants seront portés à l’attention de la communauté internationale », a expliqué Elena Shishkina.

Pour la présidente du TPU, les travaux contribueront à leur manière à trouver une sortie à la guerre du Donbass. Et, une fois les accords de Minsk (qui doivent faciliter une sortie du conflit) appliqués, « le Tribunal transférera à la Cour suprême ukrainienne tous les éléments pour que soit rendu un verdict officiel ».

Retour sur la journée du 3 avril 2018

Ce 3 avril, la salle d’audience est donc pleine. Selon les agences de presse TASS et DAN, les discussions du jour tournent autour des atrocités qui auraient été commises par des bataillons nationalistes ukrainiens contre la population du Donbass. Un homme témoigne et apporte des éléments de preuves en tant qu’ancien prisonnier. Il dit avoir été torturé.

Une femme, à son tour, raconte son enlèvement dans la ville de Marioupol (aujourd’hui sous contrôle gouvernemental) : « Deux voitures se sont approchées, des militaires en sont sortis, ils ont placé un sac sur ma tête et m’ont emmenée. Ils m’ont interrogée, ils m’ont mis un sac en cellophane sur la tête et l’ont serré fort ». Ce jour-là, la victime confie avoir perdu conscience. Deux autres femmes ont déposé des témoignages similaires.

Le TPU, une simple « performance politique » ?

Désignant à l’avance les accusés (le régime de Petro Poroshenko), et étant situé sur un territoire dont la légitimité est discutée, l’établissement de cette cour ne fait pas l’unanimité.

Contactée, la coalition d’organisations Justice pour la paix dans le Donbass, explique, au travers un de ses membres, que « l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme dispose que toute personne a droit à un procès équitable, public et une à justice rendue dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial établi par la loi ». Puis de préciser que « l’article 124 de la Constitution ukrainienne stipule que la justice en Ukraine n’est administrée que par les tribunaux », et que « la délégation des fonctions des tribunaux, ainsi que l’appropriation de ces fonctions par d’autres organes ou fonctionnaires ne sont pas autorisées ». Et de continuer la logique, avec l’article 125 qui « interdit de créer des tribunaux d’urgence et spéciaux », avant de conclure : « Par conséquent, le “Tribunal populaire” […] ne peut être considéré comme un tribunal au sens de la législation ukrainienne », et qu’il s’agit ici « d’une performance politique ».

L’espoir vient des Pays-Bas

L’établissement du TPU, toute « performance politique » qu’il puisse être, a le mérite de remettre sur la table le besoin de justice qu’ont les victimes des crimes commis dans le Donbass. Et la route pour répondre à ce besoin semble encore longue, même si deux espoirs existent.

Il y a, d’abord, l’examen préliminaire ouvert par la Cour pénale internationale en avril 2014. Le bureau de la procureure précisait, en décembre dernier, qu’il continuait son analyse de la situation et de sa compétence sur les crimes commis.

La seconde initiative est plus précise. Elle concerne l’abattage, le 17 juillet 2014, du vol MH17 de la compagnie Malaysia Airlines en provenance d’Amsterdam en direction de Kuala Lumpur. On sait depuis juillet 2017 que les suspects ayant causé la mort des 283 passagers et des 15 membres de l’équipage devraient être jugés aux Pays-Bas.