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Le CSM ne transmet pas la QPC sur les décrets de déport du garde des Sceaux

Mercredi, le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) a décidé de ne pas transmettre au Conseil d’État une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) autour du mécanisme du déport, qui était censé solutionner les conflits d’intérêts du garde des Sceaux. Le débat n’est pas clos pour autant.

par Antoine Bloch, Journalistele 23 mars 2023

Avec la nomination d’Éric Dupond-Moretti Place Vendôme, en juillet 2020, est apparue une difficulté : l’ex-avocat tempétueux disposait dès lors, en vertu d’une ordonnance portant loi organique relative au statut de la magistrature (n° 58-1270 du 22 déc. 1958), d’un pouvoir disciplinaire sur les magistrats de l’ordre judiciaire, dont certains avec lesquels il avait pu croiser le fer dans les prétoires. Ce qui fut le cas avec la procédure disciplinaire qui a donné lieu à cette QPC : en 2016, « Acquittator » avait publiquement mis en cause la probité de Marie-Laure Piazza, lorsque celle-ci présidait la Cour d’assises de Haute-Corse devant laquelle était jugé l’un de ses clients. Devenu ministre, il avait ordonné une enquête de l’Inspection générale de la Justice (IGJ) sur la cour d’appel de Cayenne (Guyane) dont la même Piazza avait dans l’intervalle pris la présidence : une enquête qui avait pointé du doigt des lacunes de sa part en termes de management.

C’est par la suite la Première ministre qui avait signé l’acte de saisine du CSM (Dalloz actualité, 14 mars 2023, obs. A. Bloch). Car, pour tenter de régler ce problème de conflits d’intérêts, le gouvernement avait eu recours au mécanisme du déport, au travers d’une série de décrets portant spécifiquement sur le cas de Dupond-Moretti, et qui ont en commun de viser un autre décret relatif aux attributions des ministres (n° 59-178 du 22 janv. 1959), lui-même modifié par un décret en Conseil d’État (n° 2014-34 du 16 janv. 2014) en application de la loi sur la transparence de la vie publique (n° 2013-907 du 11 oct. 2013).

Ce n’est pas, loin s’en faut, la première fois que la question de la régularité de ce mécanisme de déport est soulevée au cours d’une audience disciplinaire par la défense d’un magistrat poursuivi. L’idée n’est bien sûr pas tant de dénier aux Premiers ministres successifs la compétence de saisir le CSM, que de sous-entendre que, faute d’encadrement suffisant, ce mécanisme n’empêcherait en fait pas le garde des Sceaux de régler d’éventuels comptes avec certains magistrats par personne interposée, en l’occurrence le « PM ». Plusieurs avocats l’ont fait sous plusieurs angles, notamment celui de la nullité de l’acte de saisine du CSM en raison de l’incompétence de son auteur. La question d’une éventuelle inconstitutionnalité des décrets de déport a été évacuée par le CSM, qui considère qu’il n’a « pas à apprécier la conformité à la Constitution [d’un] décret pris en application d’une loi [celle de 2013] dont la constitutionnalité n’a pas été régulièrement contestée ».

C’est le point de départ de cette QPC. La défense soutenait pour faire simple que la loi de 2013 ne pouvait renvoyer à un décret (fût-il en pris Conseil d’État) pour fixer les modalités du déport du garde des Sceaux en matière de pouvoir disciplinaire (qu’il tient donc d’une loi organique), et y voyait une incompétence négative. Dans sa décision, le CSM considère, d’ailleurs contre l’avis de sa rapporteure, que les dispositions de cette loi « ne sont pas dépourvues de lien avec les termes du litige ». Mais oppose qu’elles ont déjà été déclarées conformes à la Constitution, au terme d’un contrôle a priori (Cons. const. 9 oct. 2013, n° 2013-676 DC, AJDA 2013. 1942 ; D. 2013. 2483, chron. A. Laude ; ibid. 2713, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et T. Potaszkin ; Constitutions 2013. 542, obs. J. Benetti ; ibid. 545, obs. P. Bachschmidt ). À l’audience, les avocats avaient tenté de plaider qu’un changement (« majeur ») de circonstances de fait était intervenu avec la nomination de « Dupond ». Mais le CSM estime que « ni la nomination en 2020 du ministre de la Justice, garde des Sceaux, ni sa reconduction dans ses fonctions en 2022, alors que celui-ci aurait été en situation de conflit d’intérêts avec des magistrats, ni les deux décisions rendues […] par le Conseil supérieur de la magistrature […] et faisant état d’une “situation objective de conflit d’intérêts” du garde des Sceaux ne sauraient caractériser un tel changement de circonstances, qu’elles soient de droit ou de fait ».

Prochain round lors de l’audience au fond, puisque l’empilement un peu baroque de normes en la matière permet toutes sortes de combinaisons d’arguments. La défense y soulèvera notamment l’illégalité des décrets de déport, mais aussi, de nouveau, leur inconstitutionnalité.