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Cumul des poursuites et des sanctions : la situation des comptables de fait

Le Conseil constitutionnel déclare, avec réserve, l’article L. 131-11 du code des juridictions financières conforme à la Constitution et apporte d’utiles précisions à propos du cumul des poursuites et des sanctions appliqué aux comptables de fait.

par Dorothée Goetzle 25 mai 2020

Cette question prioritaire de constitutionnalité (QPC) porte sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l’article L. 131-11 du code des juridictions financières, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2008-1091 du 28 octobre 2008 relative à la Cour des comptes et aux chambres régionales des comptes. Selon le premier alinéa de ce texte, les comptables de fait peuvent, dans le cas où ils n’ont pas fait l’objet pour les mêmes opérations des poursuites prévues à l’article 433-12 du code pénal, être condamnés à l’amende par la Cour des comptes en raison de leur immixtion dans les fonctions de comptable public. La gestion de fait est constituée par l’immixtion dans les fonctions de comptable public d’une personne n’ayant pas cette qualité. Dans un tel cas, le comptable de fait peut être sanctionné par une amende prononcée par le juge des comptes sur le fondement de l’article L. 131-11 du code des juridictions financières (C. Descheemaeker, L’examen du compte de la gestion de fait et les condamnations à des amendes, RFFP 1999, n° 66, p. 65 ; L’audience publique dans les juridictions financières, Le courrier juridique des finances, 1997, n° 81, p. 1). Cette amende ne peut être infligée que si le comptable de fait n’a pas fait l’objet, pour les mêmes opérations, de poursuites sur le fondement de l’article 433-12 du code pénal, qui réprime le fait, par toute personne agissant sans titre, de s’immiscer dans l’exercice d’une fonction publique en accomplissant l’un des actes réservés au titulaire de cette fonction. L’article L. 311-11 du code des juridictions financières n’interdit pas, en revanche, le cumul de poursuites pour gestion de fait et de poursuites sur le fondement d’autres dispositions répressives, en particulier abus de confiance, concussion, corruption passive, détournement de fonds publics et abus de biens sociaux.

C’est précisément sur ce point que se cristallisent les arguments des requérants. Selon eux, les dispositions contestées autoriseraient, à l’encontre des comptables de fait, un cumul de poursuites contraire aux principes de nécessité des délits et des peines et d’égalité devant la loi. Ils observent en effet que ce texte n’exclut le prononcé, par le juge financier, d’une amende pour gestion de fait que dans le cas où le comptable de fait est poursuivi pour les mêmes opérations sur le fondement de l’article 433-12 du code pénal, qui sanctionne l’immixtion dans l’exercice d’une fonction publique. Or ils font valoir que des poursuites pénales pour abus de confiance, concussion, corruption passive, détournement de fonds publics et abus de biens sociaux tendent à réprimer les mêmes faits que ceux sanctionnés par l’amende pour gestion de fait, protègent les mêmes intérêts sociaux et aboutissent à des sanctions de même nature. Il est vrai que toutes ces infractions sont susceptibles de réprimer le même comportement. Toutefois, le Conseil constitutionnel rappelle que cette seule circonstance est insuffisante pour caractériser ipso facto l’identité de faits. Il est en effet nécessaire qu’en complément de la répression du même comportement, les textes qualifient tous les faits de manière identique. Cette précision est importante. Il en découle la conséquence suivante : pour caractériser l’abus de confiance, la concussion, la corruption passive, le détournement de fonds publics et l’abus de biens sociaux, il ne suffit pas de démontrer qu’une personne s’est rendue coupable de gestion de fait. En d’autres termes, si ces infractions peuvent effectivement réprimer des faits par lesquels une personne s’est rendue coupable de gestion de fait, elles ne se limitent pas, contrairement à l’article L. 311-11 du code des juridictions financières, à cette seule circonstance.

Ce faisant, pour les Sages, ces infractions ne répriment pas les mêmes faits, qualifiés de manière identique. Une réserve relative aux modalités du cumul entre les poursuites pour gestion de fait et d’autres poursuites est toutefois énoncée par le Conseil constitutionnel. Ces cumuls éventuels doivent toujours respecter le principe de nécessité des délits et des peines, qui implique qu’une même personne ne puisse faire l’objet de plusieurs poursuites susceptibles de conduire à des sanctions de même nature pour les mêmes faits, en application de corps de règles protégeant les mêmes intérêts sociaux. Sous cette réserve, la jurisprudence selon laquelle ne doivent pas faire obstacle au prononcé de l’amende prévu par l’article L. 131-11 du code des juridictions financières des poursuites pénales exercées contre le comptable de fait sur un autre fondement que l’article 433-12 du code pénal reste d’actualité (CE 2 mars 1973).