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Cumul des qualités d’avocats salarié et d’associé d’une SEL : impossible hier, vraiment possible demain ?

Un avocat associé exerçant au sein d’une société d’exercice libéral (SEL) ne peut exercer sa profession à titre individuel, en qualité de membre d’une autre société, quelle qu’en soit la forme, ou en qualité d’avocat salarié.

par Dominique Piaule 12 mars 2018

Un avocat, salarié d’un cabinet d’avocats depuis 2005, est devenu associé de ce même cabinet en 2010. À la suite d’une restructuration du cabinet d’avocat par transformation de la société d’exercice libérale à forme anonyme (SELAFA) en société de participations financières de professions libérales (SPFPL) et création d’une société d’exercice libéral par action simplifiée (SELAS), il est devenu associé de cette dernière, sous la forme d’un prêt à la consommation des actions de la SELAS détenues par la SPFPL, et le contrat de travail qui le liait avec la SELAFA a été rompu d’un commun accord. L’avocat était également lié avec la SELAS par un « contrat d’exercice professionnel ».

L’association ayant pris fin, en octobre 2015 avec effet au mois de février 2016, des difficultés se sont élevées dans le cadre de la rupture et l’avocat avait saisi le bâtonnier, sur le fondement des articles 142 et suivants du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, d’une action tendant à voir reconnaître l’existence d’un contrat de travail entre lui et la SELAS, motif pris du fait que la rupture du contrat de travail du 20 octobre 2011 était privée d’effet faute d’avoir été faite dans le respect des dispositions prévues en matière de rupture conventionnelle (Soc. 15 oct. 2014, n° 11-22.251, Dalloz actualité, 3 nov. 2014, obs. B. Ines ; ibid. 2015. 104, chron. E. Wurtz, F. Ducloz, S. Mariette, N. Sabotier et P. Flores ; Dr. soc. 2014. 1066, obs. J. Mouly ; ibid. 2015. 32, étude G. Couturier ; RDT 2014. 752, obs. L. Bento de Carvalho ), avec toutes les conséquences qui en découlent.

Le bâtonnier avait fait droit à cette demande, reconnaissant ainsi l’existence d’un contrat de travail entre l’avocat et la SELAS, cumulativement avec la qualité d’associé de la SELAS de ce même avocat. Mais la cour d’appel avait réformé la décision du bâtonnier en considérant que le cumul par un avocat de la qualité d’associé, d’une part, et d’avocat salarié, d’autre part, n’était pas possible.

La question posée devant la Cour de cassation tenait ainsi, précisément, à la possibilité pour un avocat associé d’une structure d’exercice d’avoir également la qualité d’avocat salarié, autrement dit de cumuler ces deux modes d’exercice de la profession d’avocat. C’est le cumul des modes d’exercice professionnel qui était en cause, et non le statut social de l’avocat, qui peut, en application du code de la sécurité sociale, avoir la qualité d’assimilé salarié au sens de la législation de la sécurité sociale du fait de l’exercice de certaines fonctions dans la société d’avocat (v. CSS, art. L. 311-3) sans avoir, pour autant, le statut de salarié au sens du code du travail.

Appréciation de la solution

La haute juridiction y répond par la négative en considérant qu’il résulte des articles 7 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 et 20 du décret n° 93-492 du 25 mars 1993 qu’un avocat associé exerçant au sein d’une société d’exercice libéral ne peut exercer sa profession à titre individuel, en qualité de membre d’une autre société, quelle qu’en soit la forme, ou en qualité d’avocat salarié. Dès lors, ayant constaté que, jusqu’en février 2016, l’avocat avait la qualité d’associé de la SELAS, par l’effet du contrat de prêt de consommation d’actions à lui consenti, avec toutes les conséquences de droit y attachées, la cour d’appel en a exactement déduit qu’il ne pouvait pas être salarié au sein de cette même SELAS.

Au regard des textes alors en vigueur, la solution apparaît logique. En effet, l’article 20 du décret précité du 25 mars 1993, dans sa rédaction alors en vigueur, prévoyait qu’« un avocat associé exerçant au sein d’une société d’exercice libéral ne peut exercer sa profession à titre individuel, en qualité de membre d’une autre société, quelle qu’en soit la forme, ou en qualité d’avocat salarié ». Cet article avait été pris en application de l’article 21, alinéa 3, de la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990, précisant que les décrets d’applications propres à chaque profession : « […] peuvent également prévoir qu’un associé n’exerce sa profession qu’au sein d’une seule société d’exercice libéral et ne peut exercer la même profession à titre individuel ou au sein d’une société civile professionnelle ».

Depuis, le décret n° 2016-878 du 29 juin 2016, pris en application de la loi Macron n° 2015-990 du 6 août 2015, est venu abroger l’article 20 précité faisant que la solution pourrait désormais être inverse et le cumul de la qualité d’associé d’une SEL et d’avocats salariés (ou de collaborateur libéral) devrait être possible.

Divergence de jurisprudence

La où le bât blesse, eu égard à la motivation de l’arrêt sous commentaire, c’est que la cour d’appel, approuvée implicitement par la Cour de cassation, fonde sa solution non seulement sur feu l’article 20 du décret n° 93-492 du 25 mars 1993 mais également sur l’article 7 de la loi du 31 décembre 1971 qui prévoit que « l’avocat peut exercer sa profession soit à titre individuel, soit au sein d’une association, une société civile professionnelle, d’une société d’exercice libéral ou d’une société en participation soit en qualité de salarié ou de collaborateur libéral d’un avocat ou d’une association ou société d’avocats », et considère que « la conjonction “soit” montre le caractère alternatif et non cumulatif de ces modes d’exercice ». Laissant ainsi entendre que ce cumul ne serait toujours pas possible aujourd’hui, l’article 7 de la loi du 31 décembre 1971 n’ayant pas été modifié en sa rédaction par la loi du 6 août 2015.

Le Conseil d’État, qui avait été saisi d’un recours à l’encontre du décret précité du 29 juin 2016, avait considéré, dans un arrêt du 5 juillet 2017, que, « si les dispositions de l’article 7 de la loi du 31 décembre 1971 énumèrent, de manière limitative, les formes selon lesquelles un avocat peut exercer sa profession, ni ces dispositions ni celles de la loi du 31 décembre 1990 n’interdisent à un associé d’une société d’exercice libéral d’exercer la profession d’avocat sous plusieurs des formes énumérées à l’article 7 » (CE 5 juill. 2017, req. n° 403012), laissant entendre, à l’inverse, que l’article 7 ne s’opposerait pas à un exercice cumulatif de la profession d’avocat sous différents modes d’exercice.

L’on peut donc légitimement s’interroger sur cette contradiction de position, les divergences de jurisprudence entre la Cour de cassation et le Conseil d’État n’étant pas cas d’école et aucune juridiction n’étant en mesure de les aplanir, et de l’insécurité juridique qui en découle, d’autant que le renvoi à l’article 7 de la loi du 31 décembre 1971 n’était pas nécessaire pour fonder la solution du litige qui aurait plus se satisfaire du seul visa des articles 21 de la loi du 31 décembre 1990 et, surtout, 20 du décret du 25 mars 1993.

La fin du principe de l’exclusivité d’exercice présente de réels intérêts pour les avocats que nous avons pu souligner de longue date (v. D. Piau, Collaboration libérale : revenir aux fondamentaux, Gaz. Pal. 25/27 juill. 2010, p. 7), elle méritait mieux qu’une réforme à la sauvette, juridiquement bâclée par de prétendus experts, et faisant courir de (trop) nombreuses incertitudes à l’ensemble des avocats qui souhaitent s’y aventurer.

Le cas d’espèce était au demeurant topique d’un des réels intérêts de la pluralité d’exercice destiné à permettre d’offrir un réel statut à des associés en situation de dépendance économique (l’avocat n’était associé que dans le cadre d’un prêt à la consommation) en leur permettant ainsi de cumuler leur situation d’associé avec celle d’avocat salarié ou de collaborateur libéral, et non, comme c’était le cas en l’occurrence, avec un « contrat d’exercice professionnel » qui ne leur offre aucune protection de quelque nature que ce soit (v. D. Piau, art. préc.).

Il reste à espérer, faute de clarification législative souhaitable et nécessaire, que la Cour de cassation, saisie d’une situation postérieure à l’entrée en vigueur du décret n° 2016-878 du 29 juin 2016, aspire à une autre lecture de l’article 7 de la loi du 31 décembre 1971 venant lever les craintes et les incertitudes que ne peut que susciter la lecture de cet arrêt destiné aux honneurs de la publication au Bulletin.