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Cumul du recel et du blanchiment et motivation de la peine de confiscation

Hormis le cas où la confiscation, qu’elle soit en nature ou en valeur, porte sur un bien qui, dans sa totalité, constitue le produit ou l’objet de l’infraction, le juge, en ordonnant une telle mesure, doit apprécier le caractère proportionné de l’atteinte portée au droit de propriété de l’intéressé.

par Sébastien Fucinile 8 juillet 2019

Par un arrêt du 12 juin 2019, la chambre criminelle a apporté des précisions tant sur la possibilité de cumuler le délit de recel avec celui de blanchiment que sur la motivation requise pour prononcer une confiscation allant au-delà du produit ou de l’objet de l’infraction. S’agissant du premier point, elle a affirmé qu’il est possible de condamner les prévenus à la fois pour blanchiment habituel du produit des délits de travail dissimulé, d’abus de faiblesse et de fraude fiscale, d’une part, et de recel habituel du produit du délit de travail dissimulé sans violer le principe ne bis in idem, dès lors que « les juges ont retenu des faits distincts de recel et de blanchiment, l’acquisition des véhicules ayant été réalisée au moyen de fonds qui ont été remis par [l’auteur de l’infraction d’origine] mais qui ne lui ont pas été restitués ensuite en espèces ». En l’espèce, un individu avait une activité professionnelle dissimulée par laquelle il a commis des abus de faiblesse envers des personnes âgées lors de démarchages à domicile. Sur les comptes bancaires de son épouse et de ses deux filles, il a fait transiter des chèques provenant de son activité professionnelle, et ces dernières ont retiré les sommes en espèces pour les lui remettre. Elles ont en outre procédé à sa demande à des échanges de billets en francs en billets en euros. Par ailleurs, par les sommes versées en chèques sur leurs comptes, les trois prévenues ont chacune bénéficié d’un véhicule acquis en sollicitant un chèque de banque après le dépôt des chèques des clients. Pour la chambre criminelle, il y a là deux faits distincts permettant de retenir tout à la fois recel et blanchiment de la même infraction, ce qui appelle quelques observations.

C’est à partir de 2016 que la chambre criminelle a adopté une jurisprudence plus stricte sur le cumul de qualifications au visa du principe ne bis in idem, en affirmant que « les faits qui procèdent de manière indissociable d’une action unique caractérisée par une seule intention coupable ne peuvent donner lieu, contre le prévenu, à deux déclarations de culpabilité de nature pénale, fussent-elles concomitantes » (Crim. 26 oct. 2016, n° 15-84.552, Dalloz actualité, 7 nov. 2016, obs. S. Fucini ; ibid. 2017. 2501, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et E. Tricoire ; AJ pénal 2017. 35, obs. J. Gallois ; RSC 2016. 778, obs. H. Matsopoulou ; JCP 2017. 16, note N. Catelan ; Dr. pénal 2017. Comm. 4, obs. P. Conte ; Gaz. Pal. 2017. 413, obs. S. Detraz). Par cet arrêt, la chambre criminelle s’était opposée au cumul du recel et du blanchiment pour les mêmes faits. Elle a eu l’occasion de s’opposer à d’autres types de cumul, comme l’abus de biens sociaux et l’auto-blanchiment (Crim. 7 déc. 2016, n° 15-87.335, Dalloz actualité, 18 janv. 2017, obs. J. Gallois ; ibid. 2017. 2501, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et E. Tricoire ; RTD com. 2017. 205, obs. L. Saenko ), l’escroquerie et le faux ayant constitué la manœuvre frauduleuse de l’escroquerie (Crim. 25 oct. 2017, n° 16-84.133, RTD com. 2018. 227, obs. L. Saenko ), les violences, d’une part, et des appels malveillants, menaces, dénonciation mensongère, faux et usage, d’autre part (Crim. 24 janv. 2018, n° 16-83.045, Dalloz actualité, 15 févr. 2018, obs. S. Fucini ; AJ pénal 2018. 196, obs. E. Clément ; RSC 2018. 412, obs. Y. Mayaud ). Mais le premier arrêt rendu le 26 octobre 2016 est particulièrement intéressant en ce qu’il concerne le même cumul que celui du présent arrêt. Dans l’arrêt de 2016, le prévenu avait été déclaré coupable par la cour d’appel de recel d’escroquerie en ce qu’il avait détenu sur son compte bancaire des sommes provenant des escroqueries commises par sa concubine et de blanchiment en ce qu’il avait utilisé ces sommes pour l’achat de biens immobiliers. La Cour de cassation avait cassé cet arrêt en ce que « le versement effectué sur le compte du prévenu ne constituait, au moins en partie, qu’une opération préalable nécessaire à l’achat du bien réalisé par ses soins et pour lequel il a été déclaré coupable de blanchiment ». Le principe ne bis in idem s’opposait ainsi à un tel cumul puisque les faits retenus pour l’infraction de recel faisaient partie des opérations nécessaires à la réalisation du blanchiment.

Or il n’en est pas de même ici. Depuis que la chambre criminelle a développé cette jurisprudence, elle a plusieurs fois approuvé le cumul de qualifications dès lors que des faits réellement distincts pouvaient être retenus pour les deux infractions. Cela a par exemple été le cas du faux et de l’escroquerie lorsque le faux a été utilisé à d’autres occasions que pour commettre l’escroquerie (Crim. 16 janv. 2019, n° 18-81.566, Dalloz actualité, 29 janv. 2019, obs. D. Goetz ; AJ pénal 2019. 155, obs. Y. Mayaud ). Cela a également été le cas du favoritisme et de la prise illégale d’intérêts, lorsque la prise illégale d’intérêts par le maire a pu être commise grâce au favoritisme commis par ce même maire (Crim. 16 avr. 2019, n° 18-83.025, Dalloz actualité, 16 mai 2019, obs. S. Fucini ; D. 2019. 890 ). En l’espèce, ce sont bien des faits distincts qui ont été retenus par la cour d’appel : dans les deux cas, il s’agit des sommes qui ont été versées sur les comptes bancaires des prévenues. Mais, pour le blanchiment, il leur a été reproché d’avoir retiré ces fonds en espèce pour les remettre à l’auteur de l’infraction d’origine et d’avoir converti des billets en francs en billets en euros. Pour le recel ensuite, il leur est reproché d’avoir acquis un véhicule grâce aux sommes qui étaient versées sur leurs comptes. Ainsi, pour le blanchiment, les faits ne concernent que le concours apporté à une opération de conversion tandis que, pour le recel, les faits concernent le profit tiré par les prévenues de l’infraction commise, par l’acquisition à titre personnel d’un véhicule. Les faits sont donc nettement distincts même s’ils ont été initialement permis tous les deux par l’encaissement des chèques sur les comptes bancaires.

La chambre criminelle a également rappelé sa position concernant la motivation de la peine de confiscation. De manière générale, la Cour de cassation a adopté, à compter de plusieurs arrêts du 1er février 2017 (Crim. 1er févr. 2017, n° 15-85.199, Dalloz actualité, 16 févr. 2017, obs. S. Fucini , note C. Saas ; ibid. 2501, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et E. Tricoire ; JCP 2017. 277, note J. Leblois-Happe ; n° 15-83.984, Dalloz actualité, 16 févr. 2017, obs. C. Fonteix , note C. Saas ; ibid. 1557, chron. G. Guého, E. Pichon, B. Laurent, L. Ascensi et G. Barbier ; ibid. 2501, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et E. Tricoire ) une nouvelle jurisprudence s’agissant de la motivation de la peine en matière correctionnelle, découlant de l’article 132-1, alinéa 3 du code pénal selon lequel « la juridiction détermine la nature, le quantum et le régime des peines prononcées en fonction des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur ainsi que de sa situation matérielle, familiale et sociale, conformément aux finalités et fonctions de la peine énoncées à l’article 130-1 ». Cette exigence de motivation s’applique également à la peine de confiscation, comme le rappelle le présent arrêt.

Mais celui-ci ajoute également d’autres éléments propres à la confiscation qu’elle avait déjà affirmé auparavant (Crim. 12 sept. 2018, n° 17-84.295 ; 16 janv. 2019, n° 17-86.581, Dalloz actualité, 19 févr. 2019, obs. C. Fonteix ; AJ pénal 2019. 218, obs. J. Hennebois ). Tout d’abord, « hormis le cas où la confiscation, qu’elle soit en nature ou en valeur, porte sur un bien qui, dans sa totalité, constitue le produit ou l’objet de l’infraction, le juge, en ordonnant une telle mesure, doit apprécier le caractère proportionné de l’atteinte portée au droit de propriété de l’intéressé ». C’est au visa de l’article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme que la chambre criminelle fonde cette affirmation. Elle exige ainsi que le juge procède à un contrôle de proportionnalité dans le prononcé de la peine de confiscation afin de ne pas causer une atteinte disproportionnée au droit à la propriété. Comme dans l’arrêt du 16 janvier 2019, elle a ajouté que cet examen s’impose « lorsqu’une telle garantie est invoquée ou procéder à cet examen d’office lorsqu’il s’agit d’une confiscation de tout ou partie du patrimoine ». Mais la Cour de cassation ne s’arrêt pas là. Elle ajoute « qu’il incombe en conséquence au juge qui décide de confisquer un bien, après s’être assuré de son caractère confiscable en application des conditions légales, de préciser la nature et l’origine de ce bien ainsi que le fondement de la mesure et, le cas échéant, de s’expliquer sur la nécessité et la proportionnalité de l’atteinte portée au droit de propriété du prévenu ». Au-delà de l’insistance sur le caractère nécessaire et proportionné, la chambre criminelle exige de préciser, entre autres, le fondement de la mesure. C’est que l’article 131-21 du code pénal, maintes fois modifié, permet de prononcer la peine de confiscation, d’une étendue plus ou moins grande, dans plusieurs séries de situations. En l’espèce, la cour d’appel avait bien précisé ce fondement : il s’agissait de l’alinéa 5 de l’article 131-21 du code pénal, selon lequel, « s’il s’agit d’un crime ou d’un délit puni d’au moins cinq ans d’emprisonnement et ayant procuré un profit direct ou indirect, la confiscation porte également sur les biens meubles ou immeubles, quelle qu’en soit la nature, divis ou indivis, appartenant au condamné ou, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi, dont il a la libre disposition, lorsque ni le condamné ni le propriétaire, mis en mesure de s’expliquer sur les biens dont la confiscation est envisagée, n’ont pu en justifier l’origine ». Or le prononcé d’une telle peine suppose d’identifier l’origine des biens dont la confiscation est envisagée pour s’assurer que leur origine ne peut être justifiée et, au vu de la masse de biens concernés, prononcer une confiscation dont l’étendue ne cause pas une atteinte disproportionnée au droit de propriété, ce qui peut se justifier par rapport aux faits commis et à l’étendue des biens qui peuvent faire l’objet d’une confiscation.