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[PODCAST] Cyberharcèlement : haine virtuelle, victimes réelles

L’actualité témoigne de plus en plus fréquemment ces derniers mois de l’essor de faits infractionnels discutés, qualifiés et jugés, désormais sans détour, de « cyber » harcèlement. À l’occasion de la Journée nationale de lutte contre le harcèlement, l’émission webradio Les temps électriques vous invite à approfondir la question avec ses invités.

Au début, il n’y avait « rien ». Puis, des noms d’affaires ont retenti : on se souvient du nom de Marion Fraisse il y a bientôt dix ans1, de celui de Nadia Daam2 quelques années plus tard… puis il y eu l’affaire Mila3, l’affaire Marvin fitness4 et il y a quelques jours encore les premiers échos de celle qui sera peut-être baptisée par les médias l’affaire Booba-Berdah5 … Les langues se délient peu à peu, grâce à des noms médiatisés parfois, mais surtout par la prise de conscience d’un phénomène tristement installé, diversifié et de plus en plus généralisé : l’essor du cyberharcèlement. Au début, peu en parlaient, mais en réalité ce phénomène alors latent risque désormais de concerner tout un chacun.

Pourtant, force est de constater que le harcèlement n’est pas pratique récente. Dès l’Antiquité, on trouve en la personne du divin Zeus l’image d’un « harceleur », qui, surveillé par Héra, épouse jalouse, est contraint à des métamorphoses, en satyre, aigle, taureau, voire nuage, pour abuser déesses et simples mortelles. Les historiens6 expliquent que le verbe harceler serait en fait un dérivé de herceler ou herser renvoyant alors au sens figuré au fait d’être « tourmenté », comme la herse tourmente la terre. Aujourd’hui, les dictionnaires contemporains font prédominer ce sens en définissant le terme comme le fait de soumettre quelqu’un, un groupe à d’incessantes petites attaques, à des demandes, des critiques ou des réclamations continuelles7. Ainsi dans le langage courant, le harcèlement semble relever plus de la « tactique guerrière » ou de « techniques psychologiques » que du phénomène juridique proprement dit.

Loin d’être anodin, ce phénomène grandissant a fini par être considéré par le législateur pour ce qu’il est et il peut être : très grave. La pénalisation du harcèlement est apparue dans le code pénal il y trente ans maintenant, le législateur de 1992 sanctionnant alors déjà certaines formes de harcèlement sexuel8. Quelques années plus tard, la notion de harcèlement moral fut reconnue et trouva, elle aussi, une assise dans le code pénal à l’article 222-33-2. Une réflexion sur la dualité de cette summa divisio conduisit la doctrine9 à relever qu’une « unité d’approche » liait néanmoins ces deux formes d’incrimination renvoyant à des actes matériellement différents car de nature sexuelle ou morale, mais ayant « en commun de protéger surtout et avant tout la liberté de chacun de consentir à un acte sexuel ou de ne pas subir d’agression morale ».

Vint alors s’ajouter à ce phénomène un nouveau moyen de perpétrer ces infractions : le numérique. On parle désormais de plus en plus de « cyber »-harcèlement, ce harcèlement qui s’effectue « en ligne », via internet c’est-à-dire sur un réseau social, un forum de discussion, un blog, ou encore un jeu vidéo.

Au-delà des mots assassins qui assaillent le quotidien des victimes, le phénomène peut en réalité prendre plusieurs formes, allant de la propagation de rumeurs, au montage photo ou vidéo, voire au piratage de comptes et l’usurpation d’identité digitale. Voilà donc de nouveaux visages de ce fléau de l’ère numérique, surfant sur une tendance contemporaine où l’image de soi est tributaire d’une injonction forte à la visibilité numérique10.

Le préfixe cyber est de plus en plus fréquemment accolé à des notions lui préexistant en droit pénal et procédure pénale. Pourquoi existe-t-il cette nécessité d’insister d’emblée sur un élément a priori contextuel de l’infraction s’étant déroulée dans ce que l’on nomme – logiquement – le « cyber » espace ? Les infractions s’y déroulant, à l’instar du cyberharcèlement, recouvrent-elles des réalités si différentes de leurs homologues « classiques » ? « Cyber » est issu du terme grec Kubernêtikê signifiant « gouvernail » et renvoyant à l’art de gouverner. Ce préfixe agit donc comme un aimant sur la notion qu’il précède, ralliant au milieu informatique une notion que le juriste pensait connaître.

La pratique en témoigne mieux que tout, le juriste est contraint de s’adapter à ces nouvelles formes de criminalité dont les potentiels néfastes, en évolution constante, lui donne bien du fil à retordre.

Dans le cas du cyberharcèlement, loin d’être virtuelle, cette violence commise derrière un écran, est particulièrement dangereuse puisqu’ instantanée et très souvent virale, mais aussi plus banalisée que ne le serait la violence physique. C’est dans le but d’apporter une réponse à ce phénomène que le législateur a introduit ces dernières années un article spécifique au sein du code pénal11 visant non seulement à incriminer les agissements d’une seule personne mais aussi le cyberharcèlement dit/désigné dans le langage courant « de meute » ou « raids numérique ». Cette idée de meute exprime concrètement une réalité dans laquelle le fait de harcèlement s’opère par plusieurs personnes, « de manière concertée ou à l’instigation de l’une d’elles, alors même que chacune de ces personnes n’a pas agi de façon répétée et d’autre part, successivement, par plusieurs personnes qui, même en l’absence de concertation, savent que ces propos ou comportements caractérisent une répétition ».

Si le cyberharcèlement est susceptible de toucher n’importe quel internaute, on constate que certaines catégories de la population y sont plus sujettes que d’autres. Parmi elles, les femmes12, mais aussi de plus en plus de jeunes, comme le rappelle le professeur Catherine Blaya13. En France, les dernières enquêtes nationales de victimisation en milieu scolaire14 montrent bien que les violences verbales sont plus importantes que les violences physiques et c’est bien dans leur prolongement, en ligne, que la victimisation s’inscrit désormais hors du temps scolaire, mais comme une continuité à cette sphère. En effet, près d’un adolescent sur quatre serait aujourd’hui confronté au cyberharcèlement.

Mais le cyberharcèlement n’est pas que scolaire, l’arbre cachant en réalité une « forêt » bien plus vaste15.

Comme chaque mois de novembre, le premier jeudi après les vacances scolaires de la Toussaint est marqué en France par la Journée nationale de lutte contre le harcèlement. Elle avait lieu cette année il y a une semaine, le 10 novembre 2022.

Quelques jours seulement se sont écoulés, mais depuis, combien de (nouvelles) victimes ?

En sus des efforts du législateur, d’autres projets de recherche ont pris le problème à bras le corps. C’est le cas du projet CyberNeTic, projet universitaire mené en partenariat avec la Gendarmerie Nationale. Les porteurs de ce projet vous en parlent ce mois-ci dans le podcast Les temps électriques où j’ai reçu Madame Marlène Dulaurans, Réserviste citoyenne de la GN & Maître de conférences en Sciences de l’Information et de la Communication à l’Université Bordeaux Montaigne et le major Jean-Christophe Fedherbe, chef du groupe des Enquêteurs en Nouvelles Technologies (NTECH), au sein de la Section opérationnelle de lutte contre les cybermenaces au groupement de gendarmerie de la Gironde.

Pour écouter cette émission, connectez-vous sur Amicus Radio, rubrique Les Temps électriques. Bonne écoute !

Écouter le podcast

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1. L’affaire Marion Fraisse a pour origine le suicide par pendaison d’une collégienne de treize ans, le 13 févr. 2013. La Cour de cassation a finalement rejeté mercredi 19 janv. 2022 le pourvoi des parents de Marion Fraisse suite au non-lieu rendu dans cette affaire en août 2018, Crim. 19 janv. 2022, n° 21-82.598.
2. Si cette affaire remonte à 2019, la cour d’appel de Rennes s’est prononcée récemment le 24 août 2022 sur cette affaire, en aggravant légèrement la peine prononcée suite à la condamnation de première instance en 2019.
3. Au sujet du cyberharcèlement en bande, le jugement Mila, T. corr. Paris, 7 juill. 2021, Légipresse 2021. 581 ; E. Daoud, Affaire #Mila : la justice sanctionne le harcèlement et les menaces de mort, Actu-juridique, Lextenso, 31 mai 2022.
4. Connu sous le nom de Marvel Fitness, Habannou S., avait été condamné en appel en septembre 2021 à 2 ans de prison dont 22 mois avec sursis pour avoir harcelé en ligne d’autres influenceurs.
5. M. Berdah, la fondatrice de l’agence d’influenceurs Shauna Events, dénonce le cyberharcèlement dont elle serait victime suite à une plainte déposée à son encontre par le chanteur Booba courant mai 2022, la mettant en cause pour « pratiques commerciales trompeuses ».
6. J. Chevé, Harcèlement : une si longue histoire, Historia, 02/2018.
7. Larousse, Harcèlement.
8. Ce comportement est aujourd’hui incriminé à l’art. 223-33 c. pén.
9. Rép. pén., v° Harcèlement, par P. Mistrettamai 2019 (actualisation, avr. 2022).
10. Sur ce sujet, A. Rizzarello et H. Madet, L’image de soi à l’ère numérique, Podcast Les Temps électriques réalisé par S. Sontag Koenig, 20 juill. 2022.
11. C. pén., art. 222-33-2-2.
12. Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne, La violence à l’égard des femmes : une
enquête à l’échelle de l’Union européenne
, 2014.
13. C. Blaya, Cyberhaine. Les jeunes et la violence sur internet, Nouveau Monde éditions, 2019. À ce sujet égal., C. Blaya, Enfance, violence et numérique, Podcast Les Temps électriques, préc.
14. H. Fréchou, 2021, Résultats de l’enquête Sivis 2020-2021 auprès des écoles publiques et des collèges et lycées publics et privés sous contrat, note d’information, n° 21.39 MENJS-DEPP.
15. E. Friedmann et A. Condomines, Cyberharcèlement : Bien plus qu’un mal virtuel, Pygmalion, 2019.