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« Dans ce dossier, il n’y a pas de charge, vous devez relaxer Me Schwerdorffer »

Maître Randall Schwerdorffer, avocat de Jonathann Daval – un homme accusé du meurtre de sa compagne –, était poursuivi pour violation du secret professionnel dans le cadre de cette instruction. Conformément aux réquisitions, il a été relaxé.

par Julien Mucchielli, à Strasbourgle 9 octobre 2020

Le 7 décembre 2018, Jonathann Daval est auditionné par le juge qui instruit l’affaire du meurtre de sa compagne, Alexia. Le palais de justice de Besançon est cerné par la presse : caméras, micros et presse écrite traquent la moindre information, car le dossier défraie la chronique, et il faut alimenter la chronique. Dans le bureau du juge d’instruction, le suspect est confronté à plusieurs personnes, dont la mère de la victime qui a apporté une photo du petit chat, Happy, qui appartenait au couple. Sorti fumer une cigarette durant la confrontation (son collaborateur demeurant au côté de Daval pour l’assister), Me Schwerdorffer se rapproche de la mère de son client, qui lui demande des nouvelles. « Elle n’était pas loin de l’endroit où l’on fume, elle vient me demander des nouvelles de son fils », dit-il ce jeudi 8 octobre au tribunal correctionnel de Strasbourg, qui le juge pour violation du secret professionnel (qui découle du secret de l’instruction, auquel les avocats ne sont pas soumis). La scène est filmée, photographiée, de l’avocat qui s’entretient quelques minutes avec la mère inquiète. Quelques minutes plus tard, l’Est républicain écrit : « On lui a montré une photo d’Alexia, il a craqué. » Comprenant sans doute l’équivoque de cette phrase, France 3 ajoute : « sans changer de version ».

Le propos poursuivi est le suivant : « Lors de la confrontation avec Isabelle F…, une photo lui a été montrée. Il [Jonathann Daval] a craqué, sans changer de version. » Interrogés, les journalistes ont opposé le secret des sources. La mère de Jonathann Daval a confirmé que l’avocat, qui l’assume, lui a dit la première phrase, mais pas la seconde. « La première phrase, si c’était à refaire, je le redirais, dit Me Schwerdorffer au tribunal. Cela fait partie de notre devoir d’information. Le but du secret c’est de préserver l’enquête, pas d’être mutique. J’explique à la mère quel est l’état émotionnel de son fils, qu’est-ce que ça fait au secret de l’enquête de révéler qu’une photo d’Alexia et de son chat a été montrée ? Si je ne peux pas dire “on lui a montré une photo, il a pleuré”. […] Je n’ai pas prêté serment pour avoir peur et me taire », explique-t-il, avant que le président ne donne la parole au procureur.

« Un rapport parlementaire du 18 décembre 2019 sur le secret de l’instruction, débute le procureur, dit ceci : “La valeur protégée du secret est celle de la vie privée, d’une part, et du secret de l’enquête, d’autre part”. Il s’agit d’éviter que des éléments à charge n’échappent au secret pour que les personnes mises en cause ne soient pas livrées à la vindicte populaire », rappelle-t-il. « Admettons que Randall Schwerdorffer sorte et dise : “Jonathann Daval maintient sa version”, ça n’aurait en rien entravé le secret de l’enquête », juge-t-il. Il analyse : « L’information, ça file, c’est pas le journal le soir avec la pipe et les chaussons, il faut nourrir le fil. Il y a un doute sur le terme “craquer”, car dans une affaire criminelle, cela signifie aussi “reconnaître les faits”. L’Est républicain ajoute “sans changer de version”, par déontologie », pour lever l’équivoque. « Dans ce dossier, il n’y a pas de charge, vous devez relaxer Me Schwerdorffer ».