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Danske Bank : une nouvelle CJIP conclue pour des faits de blanchiment de fraude fiscale

Le 27 août 2024, la société Danske Bank a conclu avec le procureur national financier (PNF) une convention judiciaire d’intérêt public (CJIP), validée par le président du Tribunal judiciaire de Paris, le 18 septembre 2024, pour des faits de blanchiment de fraude fiscale en bande organisée. La banque danoise a accepté de payer au Trésor public plus de 6 millions d’euros à titre d’amende d’intérêt public et 300 000 € à titre de dommages et intérêts.

La CJIP conclue

Une information judiciaire a été ouverte en avril 2015, après une enquête préliminaire ouverte le 8 juillet 2014. Cette instruction a mis en évidence des flux financiers constitutifs de fraude fiscale commis par la gérante de la société Decobat, lesquels transitaient par des comptes ouverts en Estonie, dans des livres de la succursale estonienne de la Danske Bank, la Sampo Bank.

L’identification de ces flux financiers a mis au jour le rôle de la banque et ses nombreuses négligences. L’enquête a en effet permis d’établir que la Sampo Bank, dont une part importante de ses activités en Estonie consistait à fournir des services bancaires à des clients résidant dans des juridictions à haut risque, savait que le PNR (portefeuille de clients résidant en dehors de l’Estonie) était à haut risque en raison de ses clients, lesquels utilisaient fréquemment des sociétés écrans susceptibles de masquer l’identité de leur bénéficiaire effectif, de l’expéditeur ou du destinataire des transactions et effectuaient des transactions suspectes.

Certes, la banque avait mis en place un dispositif de conformité. Mais celui-ci est apparu inadéquat et inefficace dans la mesure où sa succursale estonienne avait des pratiques et procédures qui permettaient aux clients du PNR d’ouvrir des comptes et d’enregistrer des transactions sans contrôle ou diligence raisonnable. Il avait en effet été constaté la possibilité d’ouvrir des comptes PNR à distance, sans envoyer de documents nécessaires à l’ouverture de compte à la banque en Estonie, d’autoriser des intermédiaires financiers tels que des sociétés de transfert de fonds non réglementées situées en dehors de l’Estonie ou encore d’ouvrir des comptes avec des diligences minimales de connaissance du client.

Plus particulièrement, il lui était reproché l’ouverture de deux comptes dans les livres de la succursale estonienne de la banque, respectivement au nom de la société Argenta Systems LTD (ci-après Argenta) enregistrée au Bélize et de la Maycroft United LLP (ci-après Maycroft) enregistrée au Royaume-Uni, lesquels étaient utilisés comme des comptes de transit dans l’activité d’import-export de la gérante de la société Decobat.

Ces comptes permettaient à la gérante de la société Decobat de commettre des infractions de fraude fiscale et de blanchiment de fraude fiscale pour lesquelles elle a été condamnée, par comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, le 9 janvier 2024.

L’établissement bancaire, quant à lui, avait été mis en examen en février 2019 du chef de blanchiment de fraude fiscale commis en bande organisée pour avoir, en France et à l’étranger, de 2007 à 2014, apporté son concours à de multiples opérations de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirecte de délits au sens de l’article 324-1 du code pénal.

Compte tenu de ces faits, le procureur de la République a proposé à la société Danske Bank la conclusion d’une CJIP qu’elle a acceptée le 27 août 2024.

Le respect du principe ne bis in idem en raison de l’existence de précédents accords conclus avec des autorités étrangères

Il faut relever que la banque danoise a déjà fait l’objet de plusieurs accords avec des autorités étrangères.

Le 9 décembre 2022, la société Danske Bank était condamnée par le National Special Crime Unit au paiement d’une amende d’un montant de 3 500 millions de couronnes danoises et à la confiscation de 1 249 millions de couronnes danoises, pour avoir manqué à ses obligations de LCB-FT en réalisant des opérations bancaires concernant un nombre important de ses clients PNR logés dans la succursale estonienne de la banque, pour un montant total d’au moins 14 000 millions de couronnes danoises, au cours de la période ayant couru jusqu’au 31 janvier 2016.

Trois jours plus tard, le Department of Justice a conclu avec la banque un plea agreement, cette dernière ayant plaidé coupable d’avoir conspiré en vue de commettre une fraude bancaire consistant au traitement de la somme d’environ 160 milliards de dollars US transitant par l’intermédiaire de banques américaines pour le compte des clients du PNR et ayant accepté de payer la somme d’environ 2 milliards de dollars US. Dans le cadre de ce plea agreement, la banque s’était par ailleurs engagée à renforcer et améliorer ses programmes de conformité.

Enfin, le même jour, la Securities and Exchange Commission américaine concluait un accord séparé avec la banque dans le cadre d’une procédure parallèle connexe, et ce pour un montant de 178,6 millions de dollars US.

La présente CJIP, visant, quant à elle, des faits de blanchiment de fraude fiscale s’agissant des infractions reprochées à la gérante de la Decobat, respecte le principe ne bis in idem, lequel interdit de poursuivre ou punir deux fois la personne morale relativement aux mêmes faits. C’est certainement en vertu de ce principe que la CJIP n’impose pas à la banque le renforcement de son programme de mise en conformité, lequel s’était avéré insuffisant.

L’amende d’intérêt public et les dommages et intérêts convenus

L’amende d’intérêt public prononcée, en l’espèce, à l’encontre de la personne morale a été fixée à la somme de 6 028 799 €.

Ce montant se décompose classiquement en deux parties, sachant que ce montant ne pouvait pas excéder la somme de 1 983 millions d’euros, montant correspondant à la limite des 30 % du chiffre d’affaires moyen annuel de la banque calculé sur les trois derniers chiffres d’affaires connus à la date du constat de ces manquements.

La première, restitutive, correspond aux avantages tirés des manquements. Ces derniers ont été ici évalués à la somme de 4 257 825 €, formée du montant des droits éludés par la société Decobat au titre de la TVA et des droits de douanes russes à hauteur de 2 252 228 € et de l’impôt sur le revenu et de la contribution de solidarité éludés par la gérante à hauteur de 2 005 597 €. Cependant, la part restitutive est ici limitée aux profits effectivement perçus par la banque sur les comptes Argenta et Maycroft au cours de la période litigieuse, lesquels ont été évalués à 153 000 €.

La seconde partie, afflictive, tient compte de cinq facteurs majorants – la taille de l’entreprise, s’agissant de la première institution financière danoise, l’insuffisance de son programme de conformité, le caractère répété des faits en cause, l’utilisation des ressources de la personne morales pour dissimuler la circulation des fonds échappant à l’impôt et du trouble grave à l’ordre public occasionné par ces faits, compte tenu notamment de la confiance recherchée et nécessaire dans le système bancaire – et de trois facteurs minorants – la coopération active de la banque, malgré la réalisation tardive d’une enquête interne, les mesures correctives mises en place au sein de la Danske Bank, laquelle a renforcé considérablement son système de contrôle interne notamment au sein de sa succursale estonienne et la pertinence des investigations internes – de sorte que le montant de cette part s’élève à 5 875 799 €.

L’on notera ici l’effort de motivation accompagnant chaque facteur, offrant davantage de clarté à l’amende d’intérêt public prononcée.

Comme le PNF a pu le rappeler dans ses lignes directrices publiées...

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