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De la bonne information sur le fonctionnement d’un prêt libellé en devise étrangère

Dans un arrêt rendu le 7 septembre 2022, la première chambre civile de la Cour de cassation continue la construction de sa jurisprudence sur les prêts libellés en devise étrangère tant au sujet des clauses abusives qui y sont potentiellement insérées que de l’obligation d’information.

Hasard de calendrier, la première chambre civile publie un nouvel arrêt sur les prêts libellés en devise étrangère la veille d’une importante décision rendue par la Cour de justice de l’Union européenne dont le commentaire paraîtra prochainement au Dalloz actualité (CJUE 8 sept. 2022, aff. C-80/21 à C-82/21). Ce nouvel arrêt est destiné au Bulletin et il s’(inscrit dans la continuité de plusieurs décisions que nous avons commentées ces derniers mois (V. par ex., Civ. 1re, 20 avr. 2022, n° 19-11.599 FS-B, Dalloz actualité, 12 mai 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2022. 789 ; RDI 2022. 382, obs. J. Bruttin ; et 20 avr. 2022, n° 20-16.316 FS-B, Dalloz actualité, 12 mai 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2022. 788 ; RDI 2022. 382, obs. J. Bruttin ; RTD com. 2022. 361, obs. D. Legais ). Le tout permet de concourir à l’essor d’une véritable jurisprudence sur ces prêts dont la toxicité est parfois rapidement consommée. Il ne s’agit pas, dans l’arrêt du 7 septembre 2022, de prêts « Helvet Immo » mais de contrats « Jyske Bank » dont le fonctionnement reste légèrement différent. Rappelons les faits pour mieux comprendre le problème. Ils sont classiques en la matière : suivant offre de prêt acceptée le 20 juin 2007 et formalisée par acte authentique du 30 octobre 2007, une société bancaire consent à un emprunteur un prêt dit « multidevises » d’un montant de 500 000 € ou, selon ladite clause, « l’équivalent, à la date de tirage du prêt, dans l’une des principales devises européennes, dollars américains ou yens japonais ». Le montant du prêt a été tiré pour 834 750 francs suisses et le 16 juin 2011, la banque procède à sa conversion en euros. L’emprunteur assigne en annulation de la conversion l’établissement bancaire en invoquant une irrégularité dans cette opération (fondée sur le contrôle des clauses abusives) et un manquement de la banque à ses obligations d’information. À hauteur d’appel, les juges du fond rejettent la demande tendant à faire déclarer abusives certaines clauses aux contrats puisque ces stipulations portent sur l’objet de la convention et sont rédigées de manière claire et compréhensible. Sur l’obligation d’information, la cour d’appel écarte tout manquement notamment en raison de l’envoi d’un courrier informant le futur emprunteur des possibles variations du marché avant la conclusion du contrat. L’emprunteur se pourvoit en cassation.

L’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation aboutit à une double cassation pour défaut de base légale. Nous allons examiner pourquoi à travers la question des clauses abusives et celle de l’information du prêteur de deniers.

De l’art de contrôler l’application du contrôle des clauses abusives

La jurisprudence de la Cour de cassation sur les prêts libellés en devise étrangère s’appuie assez régulièrement sur les règles protégeant les consommateurs des clauses abusives. À ce titre, il faut noter que le réputé non écrit qui sanctionne ces clauses est imprescriptible, ce que la première chambre civile a eu l’occasion de rappeler dernièrement (Civ. 1re, 30 mars 2022, n° 19-17.996 FS-B, Dalloz actualité, 4 avr. 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2022. 974 , note J. Lasserre Capdeville ; RDI 2022. 382, obs. J. Bruttin ; Rev. prat. rec. 2022. 31, chron. K. De La Asuncion Planes ; RTD civ. 2022. 380, obs. H. Barbier ; RTD com. 2022. 361, obs. D. Legais ) tout en laissant une porte entrouverte sur la transposition de cette jurisprudence en droit commun (v. par ex. pour l’articulation, Com. 26 janv. 2022, n° 20-16.782, Dalloz actualité, 1er févr. 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2022. 539 , note S. Tisseyre ; ibid. 725, obs. N. Ferrier ; ibid. 1419, chron. S. Barbot, C. Bellino, C. de Cabarrus et S. Kass-Danno ; RTD civ. 2022. 124, obs. H. Barbier ). Dans le contentieux ayant abouti au pourvoi commenté, c’est sur le terrain des conditions d’examen des clauses abusives que la discussion s’était placée. À ce titre, on rappellera que la protection issue du droit de la consommation en matière de clauses abusives ne peut pas porter sur les stipulations sur l’objet du contrat, pour autant que celles-ci soient rédigées de façon claire et compréhensible.

Le demandeur au pourvoi estimait que ladite protection devait également s’appliquer quant à la portée concrète desdites clauses. La première chambre civile rappelle donc la dernière jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne à ce sujet (CJUE 10 juin 2021, aff. C-776/19 à C-782/19, Dalloz actualité, 9 juill. 2021, obs. J-D. Pellier, arrêt cité au paragraphe n° 8 de l’arrêt commenté ; D. 2021. 2288 , note C. Aubert de Vincelles ; ibid. 2022. 310, obs. R. Boffa et M. Mekki ; ibid. 574, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; RDI 2021. 650, obs. J. Bruttin ; RTD com. 2021. 641, obs. D. Legeais ). D’après cette décision, il faut vérifier si la banque a fourni aux emprunteurs des informations suffisantes et concrètes pour comprendre le fonctionnement du mécanisme financier du prêt libellé en devise étrangère, d’une part et, d’autre part, si la banque a fourni une information suffisante sur le risque de ces contrats notamment en cas de dépréciation de la monnaie dans laquelle l’emprunteur perçoit ses revenus par rapport à la monnaie de compte. Les juges du fond avaient, ici, bien relevé que la clause était rédigée de manière claire et compréhensible tout en portant sur l’objet du contrat. Mais aussi juste soit ce raisonnement dans les contentieux classiques des clauses abusives, il ne correspond pas à la jurisprudence de 2021 précédemment citée ; l’arrêt d’appel datant du 6 février 2020.

Il n’y a donc aucune erreur de raisonnement sur le fond, ce qui explique la cassation pour défaut de base légale. En somme, il faut vérifier in concreto cette double information (fonctionnement du mécanisme financier et risques encourus) pour pouvoir rejeter la demande sur le terrain d’une clause portant sur l’objet du contrat. La juridiction de renvoi pourrait, par ailleurs, rendre une décision dans la même orientation mais motivée autrement, en fonction des éléments fournis au dossier. Toutefois, si l’une de ces deux informations fait défaut, le contrôle des clauses abusives devra déployer ses effets. Son résultat est incertain car les clauses ne sont pas toutes rédigées de la même manière (v. par ex., Civ. 1re, 20 avr. 2022, n° 19-11.599 FS-B et 20 avr. 2022, n° 20-16.316 FS-B, préc.).

Sur l’information délivrée par le prêteur de deniers

Le second moyen reprochait à l’arrêt d’avoir rejeté la demande fondée sur le manquement à l’obligation d’information de l’établissement bancaire. L’argumentation se fondait sur l’insuffisance du courrier envoyé qui avait été utilisé par les juges du fond pour dénier tout manquement à ladite obligation. La cour d’appel avait, par ailleurs, aussi relevé qu’un investisseur normalement avisé connaissait les conséquences d’un tel prêt, notamment en raison du taux de variation possible du taux de change. Le demandeur au pourvoi reprochait l’absence de recherche par les juges du fond d’une information effective sur les risques encourus par ce type de prêt.

Là-encore, nous retrouvons une cassation pour défaut de base légale reposant sur le fondement de la responsabilité contractuelle, soit l’article 1147 du code civil dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 puisque les contrats ont été conclus en 2007. La première chambre civile rappelle sa jurisprudence habituelle : « lorsqu’elle consent un prêt libellé en devise étrangère, stipulant que celle-ci est la monnaie de compte et que l’euro est la monnaie de paiement et ayant pour effet de faire peser le risque de change sur l’emprunteur, la banque est tenue de fournir à celui-ci des informations suffisantes et exactes lui permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d’évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, d’une telle clause sur ses obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat, notamment en cas de dépréciation importante de la monnaie ayant cours légal dans l’État où celui-ci est domicilié et d’une hausse du taux d’intérêt étranger » (nous soulignons). On retrouve, sans grande surprise, une correspondance entre le contrôle des clauses abusives et l’obligation d’information sur cette thématique puisque les motivations déployées dans ces deux parties différentes de l’arrêt se recoupent. Ce contrôle très poussé exigé des juges du fond implique, bien souvent, pour la banque de se voir reprochée une information insuffisante sur les risques des contrats conclus au détriment des emprunteurs.

En creux, la première chambre civile refuse de considérer que le courrier envoyé avant la signature du serait un élément déterminant pour vérifier l’information suffisante et exacte pour la compréhension du mécanisme financier du prêt libellé en devise étrangère. Pour rejeter tout défaut dans l’obligation d’information de la banque, il aurait fallu motiver la décision en trouvant des éléments factuels permettant de justifier la délivrance de ces informations « suffisantes et exactes ». Dans le cas contraire, le manquement serait alors consommé et la responsabilité du prêteur de deniers sera alors recherchée.

Voici une jurisprudence toute en nuance qui impose la vigilance à tous les praticiens concernés. Aux établissements bancaires d’abord, de se préserver des preuves écrites de la délivrance de cette information « suffisante et exacte » sur le fonctionnement du mécanisme financier du prêt libellé en devise étrangère. Aux avocats ensuite, d’axer leur raisonnement devant les juges du fond sur ces points précis justifiant des indemnisations importantes. Aux magistrats enfin, dans la motivation de leurs décisions puisque la Cour de cassation, en raison de celle de la Cour de justice de l’Union européenne, veille au grain. Ces échelles de complexité ne facilitent donc pas la tâche aux professionnels du droit. Mais la jurisprudence se forge de manière de plus en plus précise en tout état de cause. Affaire à suivre.