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« De l’importance de la notification de l’acte de constitution »… ou non

La notification de l’acte de constitution d’avocat de l’intimé à l’appelant, en application de l’article 960 du code de procédure civile, tend à lui rendre cette constitution opposable. Il en résulte que, lorsque cette notification n’a pas été régulièrement faite, l’appelant satisfait à l’obligation de notification de ses conclusions à l’intimé, prévue par les articles 908 et 911, en lui signifiant ses conclusions. Il résulte, en outre, de l’article 911 que l’appelant satisfait également à cette obligation en les notifiant à l’avocat que celui-ci a constitué.

par Corinne Bléryle 13 avril 2021

Un arrêt rendu par la deuxième chambre civile le 4 juin 2020 avait conduit Me Romain Laffly à affirmer « l’importance de la notification de l’acte de constitution » en appel (Civ. 2e, 4 juin 2020, n° 19-12.959 P, Dalloz actualité, 22 juin 2020, obs. R. Laffly). Par un arrêt du 25 mars 2021, la même chambre intervient à nouveau à ce propos : elle fournit une « méthode » à l’appelant, non pas pour calculer des délais (v. R. Laffly, Délais pour conclure en appel : discours de la méthode de calcul, Dalloz actualité, 8 avr. 2021, à propos de Civ. 2e, 25 mars 2021, n° 19-20.636 P), mais pour notifier régulièrement ses conclusions en cas de difficulté relative à l’opposabilité de la constitution de l’intimé. La haute juridiction évite ici heureusement le rigorisme qu’on peut parfois lui reprocher (v. F. Kieffer, Signification à personne morale : excès de rigorisme injustifié de la Cour de cassation, Dalloz actualité, 7 avr. 2021, à propos de Civ. 2e, 4 févr. 2021, n° 19-25.271).

Notons également que l’arrêt est une nouvelle illustration d’un pouvoir récent que la Cour de cassation n’hésite plus à utiliser, à savoir celui de statuer au fond du litige sur le fondement de l’article L. 411-3, alinéa 2, du code de l’organisation judiciaire issu de la loi JXXI (v., sur ce pouvoir, Dalloz actualité, 2 févr. 2021, obs. C. Bléry).

L’exposé des faits ne facilite malheureusement pas la réception du « discours de la méthode » : il faut dès lors démêler les informations glanées au fil de l’arrêt (et corriger une erreur de date) pour comprendre la chronologie…

Le 10 octobre 2016, une association interjette appel, devant la cour d’appel de Colmar, d’un jugement rendu par un conseil de prud’hommes. L’intimée choisit un avocat parisien.

Le 28 novembre 2016 (et non 2018, comme indiqué par erreur), l’avocat de l’intimée remet sa constitution à la cour d’appel par lettre recommandée avec demande d’avis de réception. Il avise son confrère de sa constitution.

Le 10 janvier 2017, l’avocat de l’appelante adresse à l’avocat parisien ses premières conclusions d’appel, par fax ; en même temps, il les remet au greffe de la cour d’appel par RPVA.

Postérieurement au 10 février 2017 (date limite du délai de l’article 911), l’avocat de l’appelante fait signifier les premières conclusions à l’intimée.

Le 9 mars 2017, l’avocat de l’intimé adresse à la cour des conclusions (d’incident – ainsi qu’il ressort de la première branche du moyen annexé) par lettre recommandée avec avis de réception (LRAR).

Le conseiller de la mise en état, d’office, invite les parties à s’expliquer sur l’irrecevabilité de la constitution de l’avocat de l’intimée et sur l’irrecevabilité de ses conclusions (d’incident) en application de l’article 930-1 du code de procédure civile, dans sa rédaction alors applicable. À titre subsidiaire, au cas où sa constitution serait irrecevable, l’intimée soulève la caducité de la déclaration d’appel, faute pour l’association de lui avoir signifié ses premières conclusions d’appelante dans le délai prévu par l’article 911 du code de procédure civile.

Le 6 juillet 2017, le conseiller de la mise en état rend une ordonnance, par laquelle, d’une part, il déclare irrecevables la constitution de l’avocat de l’intimée du 28 novembre 2018 (sic) et ses conclusions datées du 9 mars 2017 et, d’autre part, il constate la caducité de la déclaration d’appel de l’association, le dessaisissement de la cour d’appel et que le jugement entrepris est définitif.

Le 9 janvier 2018, sur déféré, la cour d’appel de Colmar confirme l’ordonnance. Pour constater la caducité de la déclaration d’appel de l’association, l’arrêt retient que l’appelant n’a pas signifié en temps utile ses conclusions à l’intimée « bien qu’elle n’ait pas été destinataire d’un acte de constitution par voie électronique d’un avocat pour l’intimée, qu’elle ne justifie pas d’un avis électronique de réception d’un acte de constitution d’un avocat pour l’intimée et qu’elle ne peut prétendre que l’envoi de ses conclusions par fax à Me H…, avocat non constitué, le 10 janvier 2017, pourrait suppléer le défaut de signification de ses conclusions à [l’intimée] »…

L’association se pourvoit en cassation, son moyen étant divisé en cinq branches. La quatrième branche, la seule à laquelle répond la Cour de cassation, reproche à la cour d’appel une violation des articles 902, 906 et 901 du code de procédure civile, ensemble les droits de la défense : « lorsque l’avocat de l’appelant n’a reçu aucun avertissement du greffe l’informant d’un défaut de constitution et qu’au contraire, il a été avisé par l’avocat de l’intimée de sa constitution (hors RPVA s’agissant d’un confrère d’un barreau étranger à la cour d’appel), l’appelant est tenu de notifier ses écrits et ses pièces à cet avocat, régulièrement constitué à ses yeux, la signification à partie n’étant requise qu’à défaut de constitution du défendeur ».

La Cour de cassation casse, sans renvoi, l’arrêt de la cour d’appel pour violation des articles 908, 911 et 960 du code de procédure civile (et non des articles visés par le pourvoi), dont elle expose l’articulation (reproduite dans le chapô). Statuant au fond, elle infirme l’ordonnance du conseiller de la mise en état du 6 juillet 2017, dit n’y avoir lieu à caducité de la déclaration d’appel en application des articles 908 et 911 du code de procédure civile, dit recevables la constitution et les conclusions de l’intimée et dit que l’instance se poursuivra devant la cour d’appel de Colmar.

Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 25 mars 2021, il s’agit de l’appel d’un jugement prud’homal. L’intimée a choisi, pour la représenter, un avocat d’un barreau extérieur au ressort de la cour d’appel où le procès se déroule. Cela n’est pas pour surprendre, puisque, si depuis le 1er août 2016, la procédure de l’appel en matière prud’homale est avec représentation obligatoire, il y a quelques particularités : l’avocat n’a pas le monopole de la représentation obligatoire, il la partage avec le défenseur syndical. Et il n’y a pas de territorialité juridique de la postulation (Cass., avis, 5 mai 2017, nos 17-70.005 P et 17-70.004 P, rendu en termes identiques, Dalloz actualité, 10 mai 2017, obs. C. Bléry). Cela a pu susciter des difficultés, en raison d’une territorialité technique du RPVA.

En effet, en procédure avec représentation obligatoire, l’article 930-1, qui s’applique aux procédures ordinaires et à jour fixe, prévoit qu’« à peine d’irrecevabilité relevée d’office, les actes de procédure sont remis à la juridiction par voie électronique » (al. 1er) ; les alinéas 2 et 3 prévoient, eux, le retour au papier en cas de cause étrangère : l’acte est remis ou adressé par LRAR – alternative offerte depuis le décret du 6 mai 2017. Or le RPVA ne fonctionne actuellement qu’au sein d’une cour d’appel, donc un avocat extérieur ne peut se connecter (P. Gerbay et N. Gerbay, Guide du procès civil en appel, LexisNexis, 2020, n° 267), même si les choses évoluent. Par des arrêts inédits du 6 septembre 2018, la deuxième chambre civile a admis implicitement que cette territorialité technique est une cause étrangère : l’acte pouvait dès lors être remis au greffe, mais pas adressé par LRAR, compte tenu de l’état du droit au moment de la transmission ; plusieurs autres arrêts ont ensuite confirmé cette position (Civ. 2e, 6 sept. 2018, n° 17-18.698 NP, Gaz. Pal. 27 nov. 2018, p. 73, obs. C. Bléry ; 6 sept. 2018, n° 17-18.728 NP, Gaz. Pal. 27 nov. 2018, p. 75, obs. V. Orif). Cette jurisprudence s’applique aux avocats, et non au défenseur syndical, exclu de la CPVE (C. pr. civ., art. 930-2 et 3 ; adde C. Bléry, Droit et pratique de la procédure civile. Droits interne et de l’Union européenne, 10e éd., ss la dir de S. Guinchard, Dalloz Action, 2021/2022, n° 273.51 ; Rép. pr. civ.,  Communication électronique, par E. de Leiris, n° 95 ; J.-L. Gallet et E. de Leiris, La procédure civile devant la cour d’appel, 4e éd., LexisNexis, 2018, n° 507.

Ici, l’avocat parisien n’a pu remettre sa constitution par voie électronique à la cour d’appel de Colmar : du fait de cette cause étrangère, il a adressé sa constitution par LRAR (v. première branche du moyen)… La cour d’appel avait jugé que cet envoi était irrecevable, puisque non prévu par l’article 930-1 à l’époque de son envoi (v. la jur. préc.) : de fait, il est de jurisprudence constante que, lorsqu’un acte a été accompli selon une modalité autre que celle prescrite – dans les relations parties/juridiction –, la sanction est une fin de non-recevoir (C. Bléry, Droit et pratique de la procédure civile, op. cit., nos 272.225 et 273.51). En outre, l’auxiliaire de justice parisien a avisé son confrère de sa constitution autrement que par acte du palais (art. 671 s.) (par RPVA ou par un mode traditionnel), sans doute par courriel ou fax… alors que la technique n’empêche pas de notifier par voie électronique des actes entre avocats. Or l’article 960 prévoit qu’elle soit notifiée par voie de notification entre avocats à l’avocat de l’appelant. Il a été jugé qu’une transmission irrégulière est entachée d’une nullité de forme (Civ. 2e, 16 oct. 2014, n° 13-17.999 P, Dalloz actualité, 4 nov. 201, obs. M. Kebir ; D. 2015. 517, chron. T. Vasseur, E. de Leiris, H. Adida-Canac, D. Chauchis, N. Palle, L. Lazerges-Cousquer et N. Touati ; JCP 2014. 1331, obs. C. Bléry et J.-P. Teboul ; P. Gerbay et N. Gerbay, Guide du procès civil en appel, op. cit., n° 1027). La cour d’appel a estimé que la constitution ainsi transmise était inopposable.

Dès lors – faute de constitution recevable et opposable –, la cour d’appel avait considéré que l’appelant aurait dû procéder comme lorsqu’il n’y a pas d’avocat constitué par l’intimé : il aurait dû signifier ses premières conclusions à la partie dans le délai de l’article 911, soit « dans le mois suivant l’expiration du délai de trois mois dont il dispose à compter de la déclaration d’appel pour remettre ses conclusions au greffe (art. 908) » (J.-L. Gallet et E. de Leiris, La procédure civile devant la cour d’appel, op. cit., n° 303).

La Cour de cassation ne statue pas sur la recevabilité de la constitution, admettant implicitement que la LRAR pouvait être utilisée en cas de cause étrangère avant 2017, par une application rétroactive du décret n° 2017-891 – c’est une nouveauté –, sans répondre aux deuxième et troisième branches du moyen qui évoquait cette possibilité.

En revanche, l’arrêt nous précise que l’absence de notification de la constitution conformément à l’article 960 a pour conséquence l’inopposabilité, s’agissant de relations entre plaideurs (et non, logiquement, l’irrecevabilité). Il ajoute aussi que le non-respect de la lettre de l’article 960 ne « bloque » pas la procédure, qu’au contraire « l’appelant dispose d’un choix :

  • soit il signifie ses conclusions directement à la partie, la constitution ne lui étant pas opposable faute d’avoir été régulièrement notifiée,
     
  • soit il notifie les conclusions au confrère constitué » (C. Lhermitte, L’opposabilité de la constitution, GDL Avocats associés, le blog).

Ce n’est pas totalement nouveau : « en l’absence de notification par l’avocat de l’intimé de sa constitution à l’appelant, celui-ci est fondé à l’ignorer de sorte, par exemple, qu’il disposera du délai supplémentaire d’un mois, prévu par l’article 911 du code de procédure civile, pour signifier ses conclusions à cet intimé » (J.-L. Gallet et E. de Leiris, La procédure civile devant la cour d’appel, n° 304 : les auteurs citent Civ. 2e, 15 oct. 2015, n° 14-24.322 P, Dalloz actualité, 6 nov. 2015, obs. M. Kebir ; D. 2016. 449, obs. N. Fricero ; ibid. 736, chron. H. Adida-Canac, T. Vasseur, E. de Leiris, G. Hénon, N. Palle, L. Lazerges-Cousquer et N. Touati  ; Gaz. Pal. 22 déc. 2015, p. 36, obs. C. Bléry). Ou encore « l’appelant qui n’a pas reçu de notification de la constitution d’un avocat par l’intimé, dans les conditions prévues par le dernier de ces textes, satisfait à l’obligation de notification de ses conclusions à l’intimé, prévue par les deux premiers textes, en lui signifiant ses conclusions dans le délai d’un mois, courant à compter de l’expiration du délai de trois mois prévu pour la remise de ses conclusions au greffe » (Civ. 2e, 4 juin 2020, n° 19-12.959, préc.).

Ici, l’appelant avait signifié à la partie ses premières conclusions après le dernier jour du délai de quatre mois de l’article 911, mais la signification était inutile puisqu’il avait notifié ses conclusions en temps utile (le dernier jour du délai de l’article 908) à son confrère qui était, contrairement à ce que disait la cour d’appel, constitué. Dès lors, la déclaration d’appel n’était pas caduque. Notons également que l’article 902, invoqué par le pourvoi, alors qu’il vise l’hypothèse d’un défaut de constitution d’avocat par l’intimé et la marche à suivre par l’appelant, était hors sujet ; ce n’était d’ailleurs pas le visa de l’arrêt d’appel… Les articles 906 et 901 étaient également hors de propos.

Rappelons, pour compléter,

• qu’une signification impose le recours à un acte d’huissier de justice, de sorte que l’envoi aux intimées de ses conclusions par l’appelant au moyen d’un courriel ne satisfaisait pas aux exigences de l’article 911 (Com. 17 mars 2021, n° 19-11.410 NP) ;

• qu’« en aucun cas, la notification des écritures ne doit être faite à l’avocat plaidant s’il n’assure pas la postulation ni à l’avocat de première instance qui ne serait pas encore constitué en appel et dont la constitution ultérieure ne régulariserait pas rétroactivement une notification mal dirigée (Civ. 2e, 27 févr. 2020, n° 19-10.849 P, Dalloz actualité, 15 avr. 2020, obs. R. Laffly ; D. 2020. 491 ; JCP 2020. 26, obs. N. Gerbay) » (P. Gerbay et N. Gerbay, Guide du procès civil en appel, op. cit., p. 307 : « piège »).

Finalement, ce mot « piège » est sans doute celui qui caractérise le mieux la procédure d’appel… malheureusement pour les avocats et les justiciables.