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De la prescription de l’action en liquidation d’astreinte

Lorsqu’une obligation est assortie d’une astreinte fixée par jour de retard, la prescription de l’action en liquidation de cette astreinte ne court pas, de manière distincte, pour chaque jour de retard pendant lequel l’obligation n’a pas été exécutée, mais à compter du jour où l’astreinte a pris effet. Du reste, lorsqu’il est saisi d’une demande de dommages et intérêt formée à l’encontre du débiteur en raison du défaut d’exécution d’un titre exécutoire, le juge de l’exécution est tenu de trancher le litige en faisant application, le cas échéant, des dispositions d’ordre public de l’article L. 121-3 du code des procédures civiles d’exécution.

Un juge civil enjoint à deux sociétés de régulariser un acte de vente immobilière sous astreinte d’un certain montant par jour de retard à première convocation du notaire, laquelle intervient le 26 février 2013, convoquant les parties pour le 26 mars 2013. Manifestement, l’une des deux sociétés défère à l’injonction très tardivement (le 27 janv. 2016 exactement). C’est pourquoi la partie bénéficiaire l’assigne, le 19 janvier 2021, devant un juge de l’exécution (JEX) aux fins de liquidation de l’astreinte et d’allocation de dommages et intérêts pour le préjudice subi du fait du défaut de régularisation de l’acte de vente pour la période courant de mars 2013 à janvier 2016. Elle obtient gain de cause en première instance mais le jugement est infirmé sur appel.

La cour d’appel juge d’abord l’action en liquidation d’astreinte prescrite. Selon elle, une telle action est sujette à la prescription quinquennale de droit commun, qui a pour point de départ – unique – l’évènement faisant courir l’astreinte lorsqu’elle consiste en une astreinte fixée par jour de retard ; or, c’est la lettre de convocation du notaire du 26 février 2013 qui a donné le « coup d’envoi », en sorte que le 26 février 2018, l’action en liquidation d’astreinte était prescrite. Est dès lors jugée irrecevable l’assignation en liquidation d’astreinte réalisée le 19 janvier 2021.

La cour d’appel, statuant sur appel d’un jugement d’un JEX et donc avec les pouvoirs de ce dernier, s’est encore déclarée incompétente pour statuer sur la demande d’allocation de dommages et intérêts du fait du défaut de régularisation de l’acte de vente entre mars 2013 et janvier 2016. En substance, le juge d’appel considère que la prétention indemnitaire, telle que formalisée par les parties, est fondée sur le droit commun de la responsabilité ou sur la résistance à l’astreinte, et n’entre donc pas dans le champ de compétence du juge de l’exécution.

La partie déçue forme un pourvoi qui revient sur ces deux aspects – la prescription de l’action en liquidation d’astreinte et la compétence pour juger la prétention indemnitaire litigieuse.

Sur le premier versant, le requérant convient de l’application de la prescription quinquennale de droit commun ; en revanche, il incline en faveur d’un point de départ fractionné : « la prescription quinquennale de l’action en liquidation d’astreinte n’avait (…) pas un point de départ unique, mais autant de points de départ que de jours compris entre le 26 mars 2013 et le 27 janvier 2016 » (§ 4).

S’agissant de la compétence du JEX pour trancher la prétention indemnitaire litigieuse, le moyen est plus classiquement tourné et peut être résumé ainsi : conformément aux articles L. 121-3 et R. 121-4 du code des procédures civiles d’exécution, le JEX a le pouvoir de condamner le débiteur à des dommages et intérêts en cas de résistance abusive, c’est-à-dire le défaut d’exécution blâmable d’un titre exécutoire, et cette compétence est d’ordre public. Dès lors, il incombait à la cour d’appel statuant avec les pouvoirs du JEX d’exercer d’office cette compétence et de trancher la prétention indemnitaire fondée, en substance, sur le défaut d’exécution du titre exécutoire judiciaire assorti d’une astreinte.

Le pourvoi reçoit un accueil contrasté. Le moyen relatif à la prescription échoue : « lorsqu’une obligation est assortie d’une astreinte fixée par jour de retard, la prescription de l’action en liquidation de cette astreinte ne court pas, de manière distincte, pour chaque jour de retard pendant lequel l’obligation n’a pas été exécutée, mais à compter du jour où l’astreinte a pris effet » (§ 8). Le motif décisoire est là : « la condamnation, assortie d’une astreinte, prononcée par un juge ne fait pas naître une action en paiement de sommes payables par années ou à des termes périodiques plus courts, mais confère à son bénéficiaire une action en liquidation de cette astreinte, à l’issue de laquelle celui-ci est susceptible de disposer d’une créance de somme d’argent » (§ 7).

En revanche, le moyen relatif à la compétence du JEX s’agissant des prétentions indemnitaires emporte cassation partielle : « lorsqu’il est saisi d’une demande de dommages et intérêts formée à l’encontre du débiteur en raison du défaut d’exécution d’un titre exécutoire, le juge de l’exécution est tenu de trancher le litige en faisant application, le cas échéant d’office, des dispositions d’ordre public de l’article L. 121-3 du code des procédures civiles d’exécution » (§ 16). Dans la mesure où la demande indemnitaire dont elle était saisie était substantiellement fondée sur le défaut d’exécution d’un titre exécutoire judiciaire, la cour d’appel jugeant avec les pouvoirs du JEX devait exercer sa compétence et statuer à son endroit.

L’arrêt invite à revenir sur ces deux aspects du droit des procédures d’exécution, à savoir la prescription de l’action en liquidation d’astreinte et la compétence du JEX relativement aux prétentions indemnitaires.

Prescription de l’action en liquidation d’astreinte

Rappelons avant tout ce qui justifie l’application de la prescription de droit commun à l’action en liquidation d’astreinte avant de nous pencher sur la fixation de son point de départ.

Application de la prescription de droit commun

L’astreinte est un mode de « prévention des difficultés d’exécution » (tel est le titre III du livre Ier c. pr. exéc., qui contient les dispositions intéressant l’astreinte). Elle est une mesure comminatoire, de pression, destinée à vaincre la résistance du débiteur à l’exécution de l’obligation qu’elle assortit (v. not., Civ. 2e, 20 avr. 1982, n° 80-15.828).

À proprement parler, l’astreinte n’est pas une mesure d’exécution forcée ; elle est une modalité de contrainte assortissant le prononcé d’un jugement. L’astreinte n’a pas davantage une vocation indemnitaire ou réparatoire (C. pr. exéc. art. L. 131-2 ; Civ. 2e, 25 janv. 2024, n° 22-12.307, Dalloz actualité, 30 janv. 2024, obs. C. Hélaine; D. 2024. 172 ; AJDI 2024. 556 , obs. F. Cohet ; RCJPP 2024, n° 02, p. 29, obs. J.-D. Pellier ; RTD civ. 2024. 109, obs. H. Barbier ) ; elle est tout entière tournée vers le droit à exécution du bénéficiaire d’une décision, en particulier, et l’autorité des décisions de justice, en général (Civ. 2e, 20 janv. 2022, nos 20-15.261 et 19-23.721, D. 2022. 173 ; ibid. 864, chron. C. Bohnert, F. Jollec, O. Talabardon, G. Guého, J. Vigneras et C. Dudit ; Rev. prat. rec. 2022. 11, chron. O. Salati et C. Simon ; RTD civ. 2022. 452, obs. N. Cayrol ). En outre, on rappellera avec la deuxième chambre civile...

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