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De la réforme des sûretés après adoption par l’Assemblée nationale du projet de loi PACTE

Le projet de loi PACTE, qui autorise la réforme des sûretés par voie d’ordonnance, vient d’être adopté par l’Assemblée nationale. Les dispositions consacrées à cette réforme au sein du texte voté comportent quelques ajouts par rapport au projet déposé par le gouvernement en juin 2018. Surtout, l’examen du texte révèle des oublis importants, de nature à nuancer la pertinence de la réforme envisagée.

par Yannick Blandinle 24 octobre 2018

La réforme des sûretés poursuit son chemin. Après que l’association Capitant ait rendu public son avant-projet de réforme du droit des sûretés à l’automne 2017 (M. Grimaldi, D. Mazeaud et P. Dupichot, Présentation d’un avant-projet de réforme des sûretés, D. 2017. 1717 s.) et qu’en juin dernier, le gouvernement ait déposé à l’Assemblée nationale le projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises (PACTE) autorisant la réforme de la matière par voie d’ordonnance (art. 16), les députés viennent d’adopter le texte (texte n° 179, adopté le 9 octobre 2018, en première lecture). Celui-ci contient peu de modifications des dispositions consacrées à la réforme des sûretés par rapport au projet déposé par le gouvernement, encore qu’il opère quelques précisions intéressantes.

Il est communément admis qu’en dépit de la réforme des sûretés par l’ordonnance du 23 mars 2006 (ord. n° 2006-346 du 23 mars 2006 relative aux sûretés) le dispositif légal manque encore de pertinence tant concernant les sûretés réelles que celles personnelles. Pour les premières, la matière a été considérablement modernisée par la réforme de 2006. Cependant, il demeure des imperfections. Ainsi en est-il, notamment, du régime des privilèges, en l’état difficilement praticable, ou encore du maintien de gages spéciaux devenus obsolètes depuis la réception du gage sans dépossession par le droit commun (v. not. D. Legeais, « La réforme des garanties ou l’art de mal légiférer », in Etudes offertes au doyen Philippe Simler, Litec/Dalloz, 2006, p. 367 s., spéc. p. 368, n° 2). Pour les secondes, la réforme de 2006 n’a malheureusement pas pu les réformer faute d’habilitation du gouvernement (P. Simler, 2006, une occasion manquée pour le cautionnement, JCP N 2016. 1109). La commission Grimaldi avait pourtant proposé un nouveau dispositif satisfaisant pour le cautionnement (M. Grimaldi, Orientations générales de la réforme, Dr. et patr. sept. 2005, p. 50 s.) mais faute d’intervention le droit est demeuré à l’état antérieur : confus et dispersé entre le code civil et le code de la consommation.

Ces insuffisances ont convaincu de la nécessité d’une nouvelle réforme du droit des sûretés. Pour ce faire, le gouvernement a inséré au sein du projet de loi relatif à la croissance et à la transformation des entreprises un article 16, offrant la possibilité de réformer la matière par voie d’ordonnance, dans un délai de vingt-quatre mois à compter de la publication de la loi. Les termes proposés pour l’habilitation se sont avérés extrêmement proches des propositions formulées par l’association Capitant au sein de son avant-projet de réforme des sûretés. Le détail n’en sera pas repris dès lors qu’il a déjà été envisagé (Dalloz actualité 25 juin 2018, obs. J.-D. PellierQuelle méthode pour la réforme des sûretés ?, Le droit en débats, par Y. Blandin ; v. égal., quant à l’avant-projet de réforme de l’association Capitant, A. Gouëzel et L. Bougerol, Le cautionnement dans l’avant-projet de réforme du droit des sûretés : propositions de modification, D. 2018. 678 s. ; G. Piette et D. Nemtchenko, L’avant-projet de réforme du droit des sûretés, Lexbase hebdo, éd. aff., 1er févr. 2018, n° 540). En revanche, il s’impose d’examiner les modifications du texte voté par l’Assemblée par rapport à celui déposé.

Soulignons-le immédiatement, les modifications du projet de loi quant à la réforme des sûretés sont mineures, tant en volume qu’en substance. En volume, dix amendements ont été déposés en séance publique, dont cinq ont été rejetés : deux proposant de réduire la durée de l’habilitation ; un envisageant de façon fantaisiste de suspendre le privilège du Trésor pendant deux années pour renforcer la position des chirographaires ; un autre retenant la survie du privilège de prêteur de deniers, qui doit être fondu au sein d’une nouvelle hypothèque légale ; un, enfin, s’opposant à toute modification des dispositions du code civil par voie d’ordonnance. Par ailleurs, un amendement n’a pas été soutenu qui proposait, encore, la réduction de la durée de l’habilitation. Finalement, seuls quatre amendements ont donc été adoptés. Leur examen révèle que deux d’entre eux ne sont que des modifications rédactionnelles, visant à rectifier des erreurs de plume (amendements nos 1122 et 1123). Dès lors, seuls deux amendements constituent des modifications substantielles, qui concernent l’écrit électronique des actes constitutifs de sûretés (amendement n° 2584) et le régime des sûretés en présence de procédures collectives (amendement n° 2826).

L’absence de modifications importantes opérées par l’Assemblée montre que le domaine et les contours proposés par le gouvernement pour l’habilitation quant à la réforme des sûretés lui ont paru satisfaisants. Si ce constat est certainement exact pour les sûretés personnelles, il s’avère contestable concernant les sûretés réelles. En effet, le projet déposé par le gouvernement comportait des oublis qui n’ont malheureusement pas été comblés. En somme, outre les quelques ajouts opérés, le texte adopté marque surtout par ses oublis.

Les ajouts

Les ajouts opérés par l’Assemblée nationale sont maigres. L’un concerne les actes constitutifs de sûretés par voie électronique ; les deux autres sont relatifs aux sûretés en présence de procédures collectives.

L’article 16 du projet de loi a été amendé par l’ajout d’un numéro 11 bis qui habilite le gouvernement à « moderniser les règles du code civil relatives à la conclusion par voie électronique des actes sous signature privée relatifs à des sûretés réelles ou personnelles ». L’exposé sommaire de l’amendement rappelle que « l’article 1175 du code civil interdit aujourd’hui, lorsqu’un écrit est exigé pour la constitution d’une sûreté, personnelle ou réelle, ou qu’une mention écrite est requise de la main du constituant, que l’acte puisse être établi sous forme électronique, lorsqu’il n’est pas passé par une personne pour les besoins de sa profession ». Aussi, « afin de favoriser les transactions sous forme électronique, notamment dans les relations avec les banques, il apparaît opportun, que derdans le cadre de la réforme envisagée du droit des sûretés, qu’une réflexion puisse être menée sur une plus grande ouverture de la possibilité de constituer des sûretés sous forme électronique […] ». Cet ajout semble utile. La rapidité, la simplicité et l’efficacité sont des qualités évidentes de l’écrit électronique. Par ailleurs, cette forme dématérialisée permet, tout autant que le papier, de s’assurer de l’imputabilité et de l’intégrité des éléments contenus (C. civ., art. 1366 s.). Aussi, l’éviction de l’écrit électronique en matière de sûretés ne se justifie pas, d’autant plus qu’en principe, l’article 1174 du code civil procède à une assimilation de la forme papier et électronique. Il faut seulement remarquer que cette modification dans le cadre d’une loi relative à « la croissance et la transformation des entreprises » surprend. En effet, l’article 1175 permet déjà, par exception, la conclusion de sûretés par voie électronique pourvu qu’elles soient consenties « par une personne pour les besoins de sa profession ». Autrement dit, l’écrit électronique est déjà reçu lorsqu’il s’agit d’entreprises et l’élargissement concerne essentiellement les sûretés octroyées dans un cadre autre que professionnel. Il n’en reste pas moins que l’élargissement de la possibilité de conclure des sûretés par voie électronique s’impose et qu’il aurait été incohérent de ne pas l’opérer avec la réforme d’ensemble des sûretés.

Outre l’écrit électronique, la seconde modification substantielle opérée par l’Assemblée nationale découle d’un amendement (art. 16, al. 13, 12°) qui concerne les sûretés en présence de procédures collectives (C. com., livre VI). Alors que le projet déposé par le gouvernement se limitait à une autorisation large de « simplifier, clarifier et moderniser les règles relatives aux sûretés et aux créanciers titulaires de sûretés » dans les différentes procédures collectives, l’amendement précise les contours de l’habilitation en renvoyant à deux aspects particuliers.

En premier lieu, l’Assemblée nationale invite le gouvernement à améliorer « la cohérence des règles applicables aux garants personnes physiques en cas de procédure collective ». Ainsi que le rappelle l’exposé sommaire, cet amendement permet de revenir sur la distinction actuelle entre les garants personnes physiques, qui peuvent invoquer les délais, les remises et le bénéfice de la suspension des poursuites individuelles profitant au débiteur principal dans le cadre d’un plan de sauvegarde (C. com., art. L. 626-11, al. 2), alors que cette possibilité ne leur est pas offerte s’il s’agit d’un plan de redressement (C. com., art. L. 631-20). Aussi convient-il, toujours aux termes de l’exposé sommaire, « de s’interroger sur le maintien de cette différence de traitement et de se donner la possibilité d’améliorer la cohérence des règles applicables aux garanties personnes physiques en cas de procédure collective ».

La réception de cette différence de traitement a été motivée par une stratégie d’incitation. Souhaitant promouvoir l’anticipation des difficultés des entreprises, le législateur a encouragé le recours à la sauvegarde, qui permet une appréhension précoce des difficultés. Pour ce faire, il s’imposait d’inciter les acteurs économiques à se placer au plus tôt dans le giron de la procédure de sauvegarde. Partant du constat que, derrière les personnes morales débitrices, il y a le plus souvent des associés ou des gérants garants, le législateur a pensé favoriser le choix de la sauvegarde en leur faisant bénéficier des mesures profitant au débiteur principal que sont les délais, remises et suspensions des poursuites prévus par le plan. Ce faisant, les gérants du débiteur ne sont pas dissuadés de recourir à une procédure collective par la crainte d’être poursuivis en qualité de garant. D’inspiration « humanitaire et pragmatique » (F. Pérochon, Entreprises en difficulté, 9e éd., LGDJ, 2012, p. 315, n° 625), il n’en reste pas moins que cette mesure vient à l’inverse de la raison d’être des sûretés personnelles, dont l’objet est proprement de surmonter la défaillance du débiteur principal (en ce sens, C. com., art. L. 626-11, al. 2, qui interdit aux personnes morales garantes ou coobligées de se prévaloir des dispositions du plan de sauvegarde, et art. L. 631-20, qui interdit à tous les garants ou coobligés de se prévaloir du plan de redressement). Au demeurant, il n’est pas certain que cette mesure soit réellement incitative. Dès lors, cette invitation de l’Assemblée nationale à s’interroger sur le maintien de l’exception apparaît opportune. Et s’il se confirme qu’elle n’encourage qu’à la marge l’anticipation des difficultés des entreprises, il faudra s’orienter vers sa suppression, pour aligner le régime du plan de sauvegarde sur celui du redressement judiciaire.

En sus de ce premier aspect, l’amendement de l’alinéa 13 de l’article 16 par l’Assemblée nationale invite également le gouvernement à réformer les sûretés dans le cadre des procédures collectives « en prévoyant les conditions permettant d’inciter les personnes à consentir un nouvel apport de trésorerie au profit d’un débiteur faisant l’objet d’une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire avec poursuite d’activité ou bénéficiant d’un plan de sauvegarde ou de redressement arrêté par le tribunal ». Ainsi que l’explique l’exposé sommaire, il s’agit de s’interroger « quant aux conditions à prévoir afin d’inciter les personnes à consentir de nouveaux financements au profit d’un débiteur faisant l’objet d’une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire avec poursuite d’activité ou bénéficiant d’un plan de sauvegarde ou de redressement […], et ce afin de faciliter l’accès au financement des entreprises dans les moments cruciaux de leur existence (période d’observation, exécution du plan, etc.) ». En effet, avec pessimisme mais lucidité, l’exposé sommaire rappelle que l’entrée en procédure collective rend l’accès à de nouveaux financements presque impossible ce qui réduit les chances de redressement. Aussi, s’impose-t-il « de réfléchir à des dispositifs incitatifs pour les apporteurs de ces nouveaux financements ainsi qu’aux conditions à remplir ».

Si le constat dressé est certainement exact, cette incitation à la réflexion ressemble surtout à un vœu pieux. En effet, il existe déjà de nombreux dispositifs incitatifs afin d’encourager le financement du débiteur objet d’une procédure collective. En l’état actuel, les créanciers titulaires de créances postérieures élues, c’est-à-dire de créances nées régulièrement après l’ouverture de la procédure et s’avérant utiles, ne sont pas soumis au principe d’interdiction des paiements pendant la période d’observation outre qu’elles offrent un privilège permettant paiement par préférence (C. com., art. L. 622-17). Aussi, les mécanismes d’incitation – le paiement à l’échéance et l’octroi d’une position préférentielle grâce à un privilège – sont d’ores et déjà connus et utilisés même s’ils ne manifestent qu’une efficacité mesurée. Les pistes de réflexion et les leviers d’action semblent donc éprouvés encore que deux voies pourront certainement être explorées.

D’abord, les créanciers postérieurs soutenant le débiteur poursuivant son activité pendant la période d’observation disposent certes d’un privilège général, mais qui ne vient pas en premier rang. En effet, sans entrer dans les méandres des classements, et si l’on s’en tient à la sauvegarde et au redressement, les créances postérieures élues ne viennent qu’au quatrième rang, après les créances salariales superprivilégiées, les frais de justice nés après le jugement d’ouverture pour les besoins du déroulement de la procédure (par ex. la rémunération des mandataires) et les créances garanties par le privilège de la conciliation en cas d’accord homologué (C. com., art. L. 622-17, II). Aussi pourrait-on envisager que les créanciers consentant de nouveaux crédits au débiteur pendant la période d’observation bénéficient d’un privilège de meilleur rang. Cependant, la solution revient nécessairement à favoriser les intérêts des uns au détriment des autres. Or il semble bien difficile de sacrifier les salariés ou les acteurs de la procédure : les premiers parce qu’ils tirent du débiteur leurs revenus de subsistance ; les seconds parce qu’ils sont indispensables au bon déroulement de la procédure. Ensuite, qui constitue la seconde voie d’exploration, si les créanciers postérieurs bénéficient d’un traitement favorable pendant la période d’observation, rien n’est prévu pour le passif nouveau, né après l’adoption du plan, qui relève du droit commun (sur ce point, v. F. Pérochon, Entreprises en difficulté, op. cit., p. 462, n° 948). Certes, la protection des créanciers est alors moins nécessaire puisqu’ils sont en principe payés aux échéances. Néanmoins, il y a probablement matière à réflexion puisqu’il est envisageable d’offrir, aux créanciers octroyant de nouveaux crédits pendant l’exécution du plan, un privilège de nature à les protéger en cas de défaillance. De la même façon que, pour le privilège de la procédure prévu en faveur des créances nées pendant la période d’observation, ce privilège pourrait alors être conditionné à son utilité pour la procédure et, partant, pour le redressement du débiteur.

Le propos a mis en évidence les quelques ajouts opérés par l’Assemblée nationale. Manifestement intéressants, ils sont également secondaires, ce qui place au premier plan les modifications qui auraient dû être accomplies.

Les oublis

À la lecture du texte voté, il apparaît un certain nombre d’omissions. En premier lieu, il est regrettable que la proposition de l’avant-projet Capitant de consacrer un chapitre préliminaire, au sein du livre du code civil relatif aux sûretés, posant les principes directeurs de la matière (caractère accessoire des sûretés, absence d’enrichissement du créancier ou encore libre disponibilité du bien grevé) ne soit pas reprise. Certes, le gouvernement l’avait lui-même oubliée au sein du projet déposé mais cette maladresse aurait pu être corrigée. Dans le même sens, le projet déposé par le gouvernement n’évoquait pas la réception d’un régime propre pour le nantissement de monnaie scripturale en dépit des propositions de l’association Capitant. Si l’on avait jusqu’alors pu hésiter entre oubli et renoncement, il semble désormais acquis qu’il s’agit d’un renoncement. Enfin, tout comme le projet déposé par le gouvernement, le texte voté n’évoque pas la proposition de l’association Capitant de renommer la sûreté réelle sans dépossession sur l’immeuble par le terme « antichrèse » plutôt que « gage immobilier ». L’oubli est regrettable et l’emploi du terme « gage » s’avère maladroit puisque depuis la réforme du 23 mars 2006, ce terme désigne les sûretés réelles sur meubles corporels.

Outre ces premiers oublis, trois autres doivent être soulignés, qui concernent pourtant des aspects essentiels de la réforme du droit des sûretés.

D’abord, le texte ne s’attache aucunement au droit fictif de rétention. Ce droit consacré par la loi du 4 août 2008 (L. n° 2008-776, 4 août 2008, de modernisation de l’économie) au sein de l’article 2286, 4°, du code civil retient de façon générale que peut se prévaloir d’un droit de rétention « celui qui bénéficie d’un gage sans dépossession ». Par le caractère fictif qu’implique une telle proposition – il serait possible de retenir ce que l’on ne détient pas –, le législateur rompt avec la condition centrale d’existence du droit de rétention : la détention. En découle un droit à la fois incohérent et inutile (pour une critique du droit de rétention fictif, v. not. S. Piedelièvre, Le nouvel article 2286, 4°, du code civil, D. 2008. 2950 s.). Incohérent, le droit fictif de rétention l’est conceptuellement, puisqu’il rompt avec l’essence d’une rétention qui suppose par nature une détention. Il l’est également avec l’esprit de la réforme du 23 mars 2006 qui, libérant le gage de la nécessité d’une dépossession de l’assiette, permettait enfin de dépasser les difficultés en résultant. Octroyer au gagiste un droit de rétention, même fictif, revient à réaffirmer le pouvoir de blocage du créancier que l’on voulait proprement écarter. Incohérent, le droit fictif de rétention se révèle par ailleurs largement inutile, ce qui ajoute à la nécessité de le supprimer. Faute d’emprise matérielle sur la chose, la rétention ne peut s’exprimer que par un blocage juridique de ses utilités. Cette restriction des droits sur le bien pour simuler une détention est artificielle, d’autant qu’elle ne sera efficace qu’en cas de vente de la chose, par l’immobilisation du prix de vente entre les mains de l’acquéreur. L’ensemble de ces défauts montre que la réforme des sûretés doit être l’occasion de rompre avec cette fiction. Malheureusement, le projet voté par l’Assemblée, dans la lignée de celui déposé par le gouvernement, oublie entièrement cet aspect.

Ensuite, toujours au titre des omissions, le texte manque de clarté quant au domaine des sûretés mobilières spéciales dont la suppression est envisagée. L’alinéa 5 de l’article 16 permet d’« abroger les sûretés mobilières spéciales tombées en désuétude ou inutiles, pour les soumettre au droit commun du gage, afin d’améliorer la lisibilité du droit des sûretés ». Si certaines sûretés viennent immédiatement à l’esprit (par ex. les warrants de stocks de guerre), cette formulation interroge quant à la possibilité de supprimer un autre gage spécial reçu beaucoup plus récemment : le gage des stocks du code de commerce (C. com., art. L. 527-1 s. ; P. Bouteiller, Le gage sur stocks de biens ou de marchandises, JCP E 2006. 1698). Cette sûreté consacrée à l’occasion de la réforme du 23 mars 2006 n’est probablement pas tombée en désuétude, encore que son succès demeure très mesuré. En revanche, elle est certainement inutile dès lors que permettant de faire fluctuer une assiette de choses fongibles, elle n’ajoute rien au droit commun du gage qui offre déjà cette possibilité (C. civ., art. 2342). Plus encore, cette sûreté a généré des difficultés de coordination avec le droit commun avant que l’ordonnance du 29 janvier 2016 ne la rende facultative (ord. n° 2016-56, 29 janv. 2016, relative au gage des stocks ; C. Juillet, La réforme du gage des stocks. Commentaire de l’ordonnance n° 2016-56 du 29 janvier 2016 relative au gage des stocks, D. 2016. 561 s. ; Y. Blandin, La réforme du gage des stocks par l’ordonnance n° 2016-56 du 29 janvier 2016, RD banc. fin. juill.-août 2016, étude 20). Il demeure difficile de comprendre la pertinence d’une sûreté spéciale, réputée plus adaptée aux besoins des professionnels, pour laquelle le législateur a dû consacrer le caractère supplétif afin que ces mêmes professionnels recourent au gage de droit commun… comprenne qui pourra ! Quoi qu’il en soit, il sera probablement opportun de retenir que les termes larges de l’habilitation offrent la possibilité de l’abroger. Il n’en demeure pas moins que cette absence d’appréhension particulière du gage des stocks révèle un oubli plus grave : l’absence d’appréhension spécifique des biens du professionnel voués à circuler objet de sûretés.

En effet, troisième omission et probablement la plus grave, le projet de réforme ignore l’affectation en sûreté des biens du professionnel voués à circuler. Le financement des entreprises, qui est d’ailleurs au cœur des préoccupations du projet de loi voté, suppose d’identifier les sûretés qu’elles peuvent fournir à leurs créanciers. À cet égard, les pratiques sont en mutation : face aux insuffisances des sûretés personnelles, et en particulier du cautionnement, qui s’avère souvent déceptif lorsque la caution tire ses revenus de l’entreprise débitrice, les sûretés réelles émergent comme de meilleurs outils de sécurisation des créances. En particulier, les entreprises disposent d’une richesse considérable constituée par les biens aliénés, détruits ou encore incorporés dans le cadre de leur activité. Ces biens circulants, tels que des matières premières ou encore des produits manufacturés, pourraient être utilement affectés en garantie des crédits des entreprises. Malheureusement, leur appréhension par le droit en vigueur demeure trop parcellaire. Si le gage de droit commun permet de constituer une assiette fluctuante sur choses fongibles (C. civ., art. 2342), tout comme le gage des stocks du code de commerce (C. com., art. L. 527-5, al. 2), le dispositif légal demeure néanmoins largement inadapté, notamment parce que ces régimes sont construits autour de la nature physique des biens grevés, parce qu’ils ne permettent pas le renouvellement des éléments de l’assiette au regard d’une simple équivalence de valeur et parce qu’ils enferment la réalisation conventionnelle des sûretés dans des frontières trop étroites. Certes, le texte adopté par l’Assemblée nationale propose la suppression de certains gages spéciaux sur certains biens des professionnels devenus inutiles (art. 16, al. 5, 4°). Cependant, se contenter de supprimer les sûretés spéciales surabondantes ne peut suffire à satisfaire les besoins des entreprises. Il s’impose, dans le même temps, de recevoir une sûreté nouvelle, commune à l’ensemble des biens des professionnels voués à circuler et qui permettent à ces actifs d’être renouvelés par d’autres alors que la garantie est pendante (pour une proposition en ce sens, v. Y. Blandin, Sûretés et bien circulant, contribution à la réception d’une sûreté réelle globale, thèse, préf. A. Ghozi, LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit privé », t. 567, LGDJ, 2016). De la sorte, cette richesse pourrait participer au financement des entreprises sans pour autant être soustraite à sa fonction économique, ce que le droit actuel ne permet que marginalement. En omettant cette dimension essentielle, dans la lignée du projet déposé par le gouvernement et de l’avant-projet de l’association Capitant, le texte voté par l’Assemblée nationale contribue au risque que la réforme des sûretés manque, une fois encore, l’objectif de modernisation de la matière.

Finalement, par sa proximité avec le projet déposé par le gouvernement, le texte voté par l’Assemblée comporte les mêmes qualités mais aussi les mêmes défauts. Si l’occasion de corriger certaines omissions n’a pas été saisie, tout espoir n’est pas perdu. Il demeure encore possible pour le Sénat d’amender le texte, notamment pour inviter le gouvernement, dans le cadre de son habilitation, à réfléchir à la suppression du droit fictif de rétention ou encore à la réception d’une sûreté nouvelle de droit commun pleinement adaptée aux biens du professionnel voués à circuler.