Accueil
Le quotidien du droit en ligne
-A+A
Article

La décision d’un bâtonnier ne constitue pas un titre exécutoire

La décision prise par le bâtonnier d’un ordre d’avocats sur une contestation en matière d’honoraires, fût-elle devenue irrévocable par suite de l’irrecevabilité du recours formé devant le premier président de la cour d’appel, ne constitue pas une décision à laquelle la loi attache les effets d’un jugement, de sorte qu’elle ne peut faire l’objet d’une mesure d’exécution forcée qu’après avoir été rendue exécutoire par ordonnance du président du tribunal judiciaire, seul habilité à cet effet.

par Jean-Denis Pellierle 7 juin 2021

On sait que la liste des titres exécutoires prévue par l’article L. 111-3 du code des procédures civiles d’exécution est limitative, réserve faite des titres du doit local envisagés par l’article L. 111-5 du même code (V. à ce sujet, R. Perrot et P. Théry, Procédures civiles d’exécution, 3e éd., Dalloz, 2013, n° 131). L’arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 27 mai 2021 rappelle ce principe élémentaire avec force et vigueur. En l’espèce, M. B., avocat, a défendu jusqu’au mois d’octobre 1996 les intérêts de René E. et des deux sociétés que celui-ci dirigeait. Puis, par décision du 1er août 2002, le bâtonnier de son ordre a fixé à une certaine somme le montant des honoraires que René E. et les deux sociétés restaient lui devoir et, par ordonnance du 3 décembre 2003, devenue irrévocable par suite de la déchéance du pourvoi en cassation introduit par ces derniers, le premier président de la cour d’appel a déclaré irrecevable le recours formé contre la décision ordinale, au motif que son auteur n’était ni identifiable, ni expressément mandaté par un pouvoir spécial. À la suite du décès de René E., le 16 avril 2012, son avocat, poursuivant le recouvrement de sa créance à l’encontre des ayants droit du défunt, a fait signifier une opposition à partage auprès du notaire chargé du règlement de la succession et inscrire une hypothèque judiciaire sur divers immeubles appartenant aux intéressées ou dépendant de la succession. Ces ayants droit, soutenant que l’avocat ne disposait pas d’un titre exécutoire, l’ont fait assigner devant un tribunal en vue d’obtenir la mainlevée des inscriptions d’hypothèque et l’annulation de l’opposition à partage. La cour d’appel d’Aix-en-Provence, dans un arrêt du 24 novembre 2016, a considéré que l’ordonnance du 3 décembre 2003 déclarant irrecevable le recours formé contre l’ordonnance du bâtonnier de Nice du 1er août 2002 a conféré à M. B. un titre exécutoire pour le recouvrement de sa créance d’honoraires arrêtée à la somme de 500 000 € HT et qu’en conséquence, les hypothèques judiciaires avaient été valablement prises dans les délais.

Naturellement, les ayant droits se pourvurent en cassation, avec succès, la Cour régulatrice censurant l’arrêt aixois au visa des articles L. 111-2 et L. 111-3, 1° et 6°, du code des procédures civiles d’exécution, 502 du code de procédure civile et 178 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d’avocat : après avoir rappelé le contenu de ces textes (pts 6 à 8) et énoncé les termes de la décisions des juges du fond (pts 9 à 11), les hauts magistrats considèrent qu’« En statuant ainsi, alors que la décision prise par le bâtonnier d’un ordre d’avocats sur une contestation en matière d’honoraires, fût-elle devenue irrévocable par suite de l’irrecevabilité du recours formé devant le premier président de la cour d’appel, ne constitue pas une décision à laquelle la loi attache les effets d’un jugement, de sorte qu’elle ne peut faire l’objet d’une mesure d’exécution forcée qu’après avoir été rendue exécutoire par ordonnance du président du tribunal judiciaire, seul habilité à cet effet, la cour d’appel a violé les textes susvisés ».

La décision est tout à fait justifiée au regard des textes, qui ne confèrent nullement à la décision du bâtonnier la qualité de titre exécutoire. La Cour de cassation avait d’ailleurs déjà eu l’occasion d’affirmer « qu’il résulte de l’article 178 du décret du 27 novembre 1991 que le bâtonnier ne peut rendre de décision exécutoire » (Civ. 1re, 9 avr. 2002, n° 99-19.761, D. 2002. 1787, et les obs. , note B. Beignier ; V. égal. Civ. 2e, 30 janv. 2014, n° 12-29.246 : « même exécutoire de droit à titre provisoire, la décision du bâtonnier ne constitue pas une décision à laquelle la loi attache les effets d’un jugement de sorte qu’elle ne peut être exécutée que sur présentation d’une expédition revêtue de la formule exécutoire »). Comme l’a justement affirmé un auteur : « L’autorité ordinale est dénué d’imperium et il en résulte, naturellement, que la décision du bâtonnier n’est pas normalement assortie de la force exécutoire » (Y. Strickler, Les pouvoirs du président du tribunal de grande instance relatifs à l’exécution provisoire de la décision du bâtonnier, Procédures n° 3, Mars 2015, comm. 66). La décision du bâtonnier ne constitue donc pas, en elle-même, un titre exécutoire. L’imperium du président du tribunal judiciaire est nécessaire pour la parfaire.