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Décisions collectives de SAS adoptées à une minorité de voix : la cour d’appel de Paris résiste à la Cour de cassation

Sur le fondement de l’article L. 227-9 du code de commerce, la cour d’appel de Paris saisie sur renvoi après cassation, énonce que les associés d’une SAS sont libres « de définir dans les statuts une procédure d’adoption par un vote des décisions collectives – y compris celles portant sur une augmentation de capital avec suppression du droit préférentiel de souscription – qui n’applique pas une règle de majorité, telle qu’une condition de seuil dont la seule atteinte permet de considérer comme adoptée la résolution soumise au vote ». Est donc jugée licite par les magistrats parisiens, et ce contrairement à ce qu’avait indiqué la chambre commerciale de la Cour de cassation dans un arrêt du 19 janvier 2022, la clause statutaire stipulant que « les décisions collectives des associés sont adoptées à la majorité du tiers des droits de vote des associés, présents ou représentés, habilités à prendre part au vote considéré ». Selon la cour d’appel de Paris, à rebours de la solution de la Cour de cassation, « une telle condition de seuil pour adopter une résolution ne peut pas être remplie simultanément par ses partisans et ses adversaires puisque [la clause] des statuts ne prévoit pas de condition de rejet de la résolution ».

46 % des voix pour ; 54 % des voix contre. Les pour l’emportent ! C’est le sens de l’arrêt rendu par la cour d’appel de Paris le 4 avril 2023, lequel mérite une attention particulière, pour deux raisons, au moins.

La première est qu’il s’agit d’un arrêt rendu sur renvoi après cassation, dans une affaire qui a donné l’occasion à la Cour de cassation de poser un principe selon lequel, même dans les SAS, la liberté offerte par l’article L. 227-9 du code de commerce, n’autorise pas à stipuler une clause statutaire en vertu de laquelle les décisions collectives peuvent être adoptées à la minorité des voix (Com. 19 janv. 2022, n° 19-12.696, D. 2022. 342 , note A. Couret ; ibid. 1875, obs. E. Lamazerolles et A. Rabreau ; Rev. sociétés 2022. 493, note L. Godon ; RTD com. 2022. 99, obs. J. Moury ; RJDA 2022/347 ; JCP E 2022. 1091, note B. Dondero ; ibid. 1363, spéc. n° 5, obs. F. Deboissy et G. Wicker ; Dr. sociétés 2022. Comm. 42, note J.-F. Hamelin ; Gaz. Pal., 21 juin 2022, n° 21, p. 65, note M. Caffin-Moi).

La seconde raison est que la cour d’appel de Paris résiste à la chambre commerciale de la Cour de cassation en considérant qu’une décision collective d’augmentation de capital avec suppression du droit préférentiel de souscription (DPS) peut être adoptée, dans une SAS, à la minorité des votes exprimés. Or, en résistant, les juges parisiens ouvrent la voie à une possible saisine de l’assemblée plénière de la Cour de cassation si, toutefois, leur décision « est attaquée par les mêmes moyens » que ceux ayant fondé la cassation à l’origine du renvoi (COJ, art. L. 431-6).

Un bref rappel du contexte s’impose. Dans cette affaire, est en jeu une clause des statuts d’une SAS stipulant que « les décisions collectives des associés sont adoptées à la majorité du tiers des droits de vote des associés, présents ou représentés, habilités à prendre part au vote considéré ».

En application de cette clause, il a été décidé le 22 octobre 2015 d’augmenter le capital social de la SAS par l’émission de nouvelles actions, de supprimer le DPS des associés et de réserver l’émission des nouvelles actions à une société, présidente de la SAS. Les décisions litigieuses ont ainsi été adoptées « par 229 313 voix contre 269 185 », ce qui représente « la majorité requise du tiers des droits de vote des associés présents ou représentés, soit 46 % des voix exprimées, tandis que 54 % des voix exprimées ont voté contre ces opérations, aucune abstention n’ayant été constatée ».

Le premier arrêt d’appel du 20 décembre 2018, ayant rejeté les demandes d’annulation des décisions d’assemblée et de la clause statutaire, a été censuré par la Cour de cassation le 19 janvier 2022, « mais seulement en ce qu’il [a débouté les associés] de leur demande d’annulation de la délibération litigieuse ».

Sur le fondement de l’article L. 227-9, alinéa 2, du code de commerce, la Cour de cassation dégage une règle d’ordre public en matière de fixation statutaire des règles de majorité des décisions collectives de SAS. Elle énonce que, certes les statuts sont libres de déterminer les conditions, singulièrement celles de majorité, dans lesquelles les décisions collectives en certaines matières peuvent être adoptées ; mais elle précise immédiatement que cette liberté « trouve sa limite dans la nécessité d’instituer une règle d’adoption des résolutions soumises à l’examen collectif des associés qui permette de départager ses partisans et ses adversaires ». Or, pour la chambre commerciale de la Cour de cassation, ne permet pas ce départage la « clause statutaire stipulant qu’une résolution est adoptée lorsqu’une proportion d’associés représentant moins de la moitié des droits de vote présents ou représentés s’est exprimée en sa faveur, puisque les partisans et les adversaires de cette résolution peuvent simultanément remplir cette condition de seuil ».

Il en résulte le principe jurisprudentiel suivant lequel « nonobstant les stipulations contraires des statuts, les résolutions ne peuvent être adoptées par un nombre de voix inférieur à la majorité simple des votes exprimés ». Toute clause contraire est donc inefficace et une décision collective ne peut être réputée valablement adoptée sur son fondement ; à tout le moins, la décision collective qui serait ainsi prise, encourrait, selon notre lecture de l’arrêt, l’annulation sur le fondement de l’article L. 227-9, alinéa 4, du code de commerce (égal. M. Caffin-Moi, note ss Com. 19 janv. 2022, préc.).

C’est ce principe que la cour d’appel de renvoi contredit en jugeant régulière la décision d’augmentation de capital avec suppression du DPS adoptée à la minorité de 46 % des voix.

Détermination des règles de fixation des conditions d’adoption des décisions collectives de SAS

La cour d’appel de Paris juge qu’il s’infère des deux premiers alinéas de l’article L. 227-9 du code de commerce,...

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