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Déconstruire le fantasme Balkany pour le juger avec mesure, plaide sa défense

La 32e chambre du tribunal correctionnel, qui juge l’affaire Balkany depuis quatre semaines, a mis sa décision en délibéré au 18 octobre après les plaidoiries des avocats de Jean-Pierre Aubry et Patrick Balkany. Les conseils du premier ont plaidé la relaxe quand ceux du second ont demandé au tribunal une peine juste.

par Pierre-Antoine Souchardle 20 juin 2019

Commencer une plaidoirie par la pisse et l’hémoglobine dans une affaire de corruption et de blanchiment de fraude fiscale, pourquoi pas. Ça fleure plus la cour d’assises avec son lot d’histoires sordides que la correctionnelle financière, ses virements Swift et ses valises de billets. Mais, la violence judiciaire a-t-elle un prétoire unique, a tenté Me Éric Dupond-Moretti.

Cette violence judiciaire, « ne sent pas la pisse, elle ne sent pas l’hémoglobine. Elle porte parfois un costume du dimanche, un costume fait de satin et d’hermine. Condamner un innocent, c’est terrifiant. Condamné un coupable à une peine qu’il ne mérite pas, c’est terrifiant ». Voilà pour le ton.

Car, si les faits de corruption, les plus graves, sont contestés par la défense du maire de Levallois-Perret, ceux de blanchiment de fraude fiscale ne le sont plus. Sauf sur le montant. L’accusation l’estime à 13 millions d’euros. Les avocats à moitié moins. Et surtout, ont-ils martelé, les fonds blanchis sont d’origine familiale. Pas une once d’argent public. Le parquet national financier a requis sept ans d’emprisonnement contre M. Balkany et la confiscation de tous les biens du couple.

Comment défendre un prévenu qui, parfois, a échappé à ses avocats avec ses déclarations à l’emporte-pièce sinon en pilonnant une instruction et des témoins, forcément à charge, et déconstruire « le fantasme Balkany ».

C’est ce à quoi s’est attelé Me Antoine Vey, l’associé d’Éric Dupond-Moretti. Haro sur les trois témoignages qui cimentent l’accusation, Didier Schuller, le repenti qui a balancé, Georges Forrest, l’industriel belge qui dit avoir versé 5 millions de dollars à Patrick Balkany, et Marc Angst, le responsable de la fiduciaire suisse qui a monté le mécano complexe des sociétés offshore pour la villa marocaine.

Donc, le « fantasme Balkany », ce sont les allégations de financement politique et de détournement d’argent public instillés par Didier Schuller, l’ancien bras droit à l’Office HLM des Hauts-de-Seine dans les années 90. Sauf, selon Me Vey, qu’il n’y en a pas. « Le patrimoine des Balkany provient de leur familles. Ils ont hérité d’un système », a rappelé Me Vey pointant la fortune colossale de Mme Balkany et celle, moindre, du père de Patrick Balkany qui en avait planqué une partie en Suisse.

Quel crédit accorder à Georges Forrest et Marc Angst qui n’ont pas été inquiété par la justice? À l’entendre, les deux hommes ont négocié avec les juges. En chargeant l’élu, ils échappaient aux poursuites assure l’avocat dénonçant des « petits arrangements ». Sur le volet corruption, Antoine Vey assure qu’il n’y en pas pas trace et s’en est rapporté aux plaidoiries de ses confrères.

La veille Mes Hervé Temime et Flavien Hannoun, les avocats de Mohamed Al Jaber ont affirmé qu’il n’y avait aucune preuve d’un pacte de corruption entre l’homme d’affaires saoudien et le maire de Levallois. Selon l’accusation, ce dernier se serait fait offrir la villa de Marrakech par M. Al Jaber en échange de délai de paiement dans le projet immobilier dit des Tours de Levallois, qui n’a jamais vu le jour.

Me Vey a donc demandé au tribunal de juger Patrick Balkany « avec une juste mesure ». La mesure n’est pas toujours le fort de Me Dupond-Moretti. Dans un style qui lui est propre, il s’en est pris aux procureurs financiers. « Une justice qui réclame onze ans d’emprisonnement pour un homme qui a commis une fraude fiscale et du blanchiment de fraude fiscale, c’est trop ».

L’avocat aime les statistiques. Lors du premier volet, celui de fraude fiscale, il avait égrené les catégories professionnelles fraudant le plus, et les peines prononcées, pour dédouaner son client. Là, celles pour meurtres. Quarante-six condamnations en 2017 dont neuf allant au-delà de dix ans de réclusion, vingt-huit dont le quantum est compris entre cinq et dix ans.

Ses traits sont féroces. Les magistrats du Parquet national financier (PNF) sont devenus « les chefs d’orchestre de la morale publique ». Il les compare au procureur impérial Ernest Pinard qui « a requis contre Eugène Sue et Baudelaire », dénonce, son antienne favorite, les valeurs d’une société « hygiéniste » et « moralisatrice » ; n’oublie pas les journalistes, « collaborateurs zélés du PNF », avant de s’en prendre à la foule « qui vient comme au cirque voir le roi tomber ». Il est vrai que mercredi, la file d’attente devant la 32e chambre pouvait faire penser à celle que l’on pouvait voir devant une boucherie russe des années 70.

« La fraude est à l’impôt ce que l’ombre est à l’homme ». C’est du Georges Pompidou, second président de la Ve République. Dans la bouche d’Éric Dupond-Moretti, cela signifie que la fraude fiscale, c’est le sport national. Patrick Balkany est d’une autre époque. Quant à la prison requise, c’est « une humiliation » pour un homme de 70 ans.

Il a conclu par un dialogue d’Audiard dans Mort d’un pourri de Georges Lautner. Le héros, Alain Delon, s’adresse au commissaire Moreau, joué par Michel Aumont. Difficile de ne pas y voir un dernier tacle aux procureurs : « La vérité, c’est que vous êtes un con, Moreau. Oh, rassurez-vous, il y en a d’historiques. Vos prédécesseurs s’appellent Savonarole, Fouquier-Tinville. Les deux fléaux qui menacent l’humanité sont le désordre et l’ordre. La corruption me dégoûte, la vertu me donne le frisson ».

Auparavant, Me Emmanuel Marsigny, a demandé la relaxe de Jean-Pierre Aubry, le fidèle collaborateur de Patrick Balkany, à l’époque des faits, directeur de la Semarelp. C’est lui qui se rend en Suisse en 2009 avec l’avocat Arnaud Claude pour créer les deux offshore panaméennes détentrices de la SCI propriétaire de la villa Dar Gyucy. M. Aubry est poursuivi pour blanchiment de corruption et de fraude fiscale.

Une villa que l’accusation considère appartenir aux époux Balkany. « On lui fait jouer un rôle de pivot qu’il n’a pas dans cette affaire », assure l’avocat. Il n’y a aucun pacte entre les deux hommes, sauf celui de l’amitié. « Pour mieux cacher Patrick Balkany aux yeux de tous, on met Jean-Pierre Aubry comme ayant-droit économique (NDLR des offshore), Jean-Pierre Aubry que l’on sait être l’ami de Patrick Balkany. C’est idiot. Si on fait un montage pour le rendre opaque, on le rend opaque », remarque-t-il. « Ou alors, ils sont demeurés ».

Aucun document n’a été signé, dit-il, où son client accepte d’être le bénéficiaire de ces sociétés écran. « Je ne suis pas le propriétaire de cette maison. Je n’ai pas gagné un euro dans cette affaire », s’est borné à répéter M. Aubry durant le procès, affirmant que la villa marocaine appartenait à M. Al Jaber (v. papiers précédents). Rien, selon l’avocat ne le lie aux préventions de blanchiment de fraude fiscale et de corruption. D’où la demande de relaxe.

À l’issue des plaidoiries, le président du tribunal a donné la parole aux prévenus. Les derniers mots de M. Balkany sont allés vers son fils et son épouse, absente du procès en raison d’une tentative de suicide. « Je voudrais remercier tous les avocats de la défense, je voudrais remercier le tribunal parce que vous avez été très attentif. Bien sur que j’ai des regrets de ne pas avoir fait ce que j’aurai dû faire il y a longtemps. J’ai un autre regret c’est de voir mon fils ici. Il a été traîné au tribunal, il a été traîné en prison. Il n’est responsable de rien. Ma femme m’a demandé de l’excuser encore car elle aimerait vraiment être au tribunal. Je n’aspire qu’à une chose, c’est de pouvoir rester auprès de ma femme parce qu’elle a besoin que je sois là ».

Décision le 18 octobre. Un mois après le jugement dans le volet fraude fiscal qui sera rendu le 13 septembre.

 

 

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