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Décret hongrois contre la « propagande LGBT » relatif aux produits vendus en ligne destinés aux enfants : la Commission européenne juge le texte contraire au droit de l’Union

Dans son avis circonstancié envoyé aux autorités hongroises, la Commission européenne juge contraire au droit de l’Union le décret national qui contraint les vendeurs de produits vendus en ligne, destinés aux enfants et s’inscrivant dans le cadre d’une « propagande LGBT », d’inscrire clairement l’information « Contenu sensible ! ». Outre des considérations relatives au commerce et aux services numériques au sein de l’Union, ce sont également les valeurs de cette dernière qui sont bafouées par ce texte. Il s’agit d’un premier avertissement pour la Hongrie, lequel pourrait être bientôt suivi, en l’absence de réaction par l’exécutif, de l’ouverture par la Commission d’une procédure d’infraction.

La loi hongroise entrée en vigueur en juillet 2021 visant à interdire auprès des mineurs « la promotion » de l’homosexualité ou du changement de sexe – interdit depuis 2020 –, sur le modèle de la Russie, a fait couler beaucoup d’encre. Appelée loi anti-LGBT, critiquée de toutes parts par les gouvernements nationaux, les associations de défense des droits dont ceux de la communauté LGBTQIA+, elle s’est également attiré les foudres de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, quant à sa compatibilité avec les valeurs de l’Union. Le 30 mai 2024, les autorités hongroises ont notifié à la Commission un projet visant à modifier un décret relatif aux conditions d’exercice des activités commerciales, qui s’inscrit dans le prolongement de cette loi. En effet, celui-ci prévoit, pour protéger les mineurs de la « propagande LGBT », que les produits destinés aux enfants et vendus en ligne « dont l’élément essentiel est la promotion ou la représentation d’identités de genre qui ne correspondent pas au genre assigné à la naissance, à la réassignation sexuelle ou à l’homosexualité ou potentiellement à la représentation directe, naturelle ou volontaire de la sexualité » doivent contenir l’information « Contenu sensible ! » de manière clairement visible.

Le 2 septembre, la Commission européenne a rendu son avis circonstancié sur ce décret par le biais du commissaire européen Thierry Breton qui, depuis, a été remplacé par l’ancien ministre Stéphane Séjourné. L’avis circonstancié permet à la Commission ou à un État membre d’alerter sur un texte entravant la libre circulation des marchandises ou des services ou la liberté d’établissement des opérateurs de services dans le marché intérieur (Dir. [UE] 2015/1535 du 9 sept. 2015, art. 6, § 2). L’exécutif européen juge le texte hongrois contraire au droit de l’Union sur le fondement de différents textes tenant à la libre prestation des services de la société de l’information ainsi que sur le fondement de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, estimant qu’il est contraire aux valeurs de l’Union au regard de la restriction à la liberté de circulation des biens qu’il impose et de la discrimination des personnes LGBTGIA+ qui découle clairement du type de produits visés.

L’Espagne a également émis un avis circonstancié, ce qui peut s’expliquer par la libéralisation de son droit en matière de transidentité, grâce à une loi de 2023 consacrant le droit à « l’autodétermination de genre » et permettant ainsi un changement de sexe à l’état civil sur simple déclaration de transidentité dès seize ans. L’État dénonce une atteinte à la liberté d’expression, une discrimination fondée sur l’orientation sexuelle mais également une atteinte potentielle à l’intérêt supérieur de l’enfant, à son droit au libre développement de sa personnalité et à son droit à l’information sur les questions de genre et d’orientation sexuelle. La limitation de la commercialisation de certains produits destinés à être achetés en Hongrie est pointée du doigt, pour sa contrariété non seulement avec le droit de l’Union mais également avec le droit espagnol interne et, en particulier, avec la loi de 2023 précitée qui impose aux employeurs et fournisseurs de biens et services de prévenir toute discrimination envers les personnes LGBTQIA+. Le risque est donc celui d’une entrave de la commercialisation des produits espagnols à destination de la Hongrie.

La Suède a, quant à elle, fait part d’observations plus brèves dans lesquelles elle interroge la conformité du décret avec le droit de l’Union, mettant notamment en lumière des difficultés pratiques relatives à l’évaluation du caractère « sensible » des contenus du produit vendu en ligne et aux coûts résultant de l’apposition de cette mention.

L’avis circonstancié de la Commission interroge la compatibilité du décret hongrois au regard de chaque texte de l’Union applicable, l’un après l’autre : il s’agit à la fois de dispositions relatives au marché unique européen, du récent règlement sur les services numériques (DSA) et de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

Contrariété avec les règles du marché unique européen

La directive e-commerce

Pour la Commission, le décret viole l’article 3 de la directive e-commerce (Dir. 2000/31/CE du 8 juin 2000). En effet, le décret concerne l’exercice de l’activité des fournisseurs de services de la société de l’information proposés en Hongrie, qu’ils soient établis dans ce pays ou dans un autre État membre, et a vocation à protéger les mineurs au sens de l’article 3 de la directive : cette dernière est bien applicable. L’article...

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