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Défaut d’enregistrement audiovisuel d’un IPC : précisions sur l’étendue de la nullité

L’annulation d’un interrogatoire de première comparution pour défaut d’enregistrement audiovisuel, à l’issue duquel la personne est mise en examen pour des faits de nature criminelle et délictuelle, porte sur l’intégralité de l’acte et non pas uniquement sur la mise en examen criminelle.

par Victoria Morgantele 7 mai 2018

À la suite d’une enquête portant sur un trafic international de produits stupéfiants, deux individus étaient poursuivis des chefs d’infraction à la législation sur les armes, à la législation sur les stupéfiants, importation de stupéfiants en bande organisée et association de malfaiteurs. Ils étaient mis en examen à la suite d’un interrogatoire de première comparution au cours duquel un des mis en cause avait accepté de répondre aux questions du juge d’instruction. L’interrogatoire, n’avait fait l’objet d’aucun enregistrement audiovisuel en dépit de la qualification criminelle d’une partie des faits.

Le 15 juin 2017 son avocat déposait une requête en nullité de ce procès-verbal et des actes subséquents pour défaut d’enregistrement audiovisuel.

La chambre de l’instruction d’Aix-en-Provence en date du 6 novembre 2017 qui, dans l’information suivie contre le mis en examen des chefs susvisés, limitait l’annulation à la seule mise en examen criminelle, ordonnait la cancellation dans les pièces subséquentes des seules références à la mise en examen de nature criminelle et rejetait le surplus de demandes en lien avec la mise en examen délictuelle.

À cela, la chambre criminelle répondait que l’annulation d’un interrogatoire de première comparution à l’issue duquel la personne est mise en examen pour des faits de nature criminelle et délictuelle, porte nécessairement sur l’intégralité de l’acte. En effet, depuis la loi n° 2007-291 du 5 mars 2007 les interrogatoires en matière criminelle doivent faire l’objet d’un enregistrement, selon les dispositions de l’article 116-1 du code de procédure pénale, tout comme les auditions des individus placés en garde à vue en matière criminelle.

La chambre criminelle est venue à diverses reprises, interpréter cet article 116-1 dans le dessein de préserver les droits de la défense et la bonne administration de la justice. Elle considère de « façon constante que le défaut d’enregistrement [porte nécessairement atteinte aux intérêts de la personne ] qu’elle ait fait de simples déclarations ou qu’elle ait accepté d’être interrogée» (D. 2017. 1236, obs. L. Belfanti ) ou encore lorsqu’elle préfère garder le silence.

L’arrêt d’espèce vient une nouvelle fois préciser les contours et l’application de cette règle. Arrêt qui nous renvoie vers un cas récent et similaire de la chambre criminelle du 21 mars 2017 (n° 16-84.877, D. 2017. 1236 , note L. Belfanti ), dans lequel la chambre de l’instruction avait indiqué que seules les mises en examen de nature criminelle encouraient la nullité, et rajoutait que les mises en examen délictuelles continuaient à produire leurs effets. La chambre de l’instruction avait été sanctionnée sur cette nullité partielle, tout comme le présent arrêt du 11 avril 2018. En somme, une solution loin d’être surprenante.

En effet, des dérogations à l’obligation d’enregistrement sont possibles (AJ pénal 2015. 438, l’enregistrement audiovisuel des interrogatoires hors du « cabinet du juge d’instruction », oui, mais !). Elles sont prévues aux alinéas 5 et 6 de ce même article : pour les interrogatoires simultanés et l’impossibilité technique d’enregistrer (Crim. 13 mai 2015 ; 22 juin 2016 ; 4 oct. 2016, n° 16-81.867). Or, dans le présent arrêt, rien ne permet d’avancer l’une ou l’autre de ces exceptions. La cassation de l’arrêt de la chambre de l’instruction était par conséquent prévisible. Cependant la cassation n’était pas encourue sur ce point, la chambre de l’instruction ayant effectivement annulé la mise en examen criminelle pour défaut d’enregistrement. La difficulté résidait alors sur les contours de cette annulation.

Cet impératif d’enregistrement audiovisuel devient au fil des arrêts rendus, une formalité substantielle quasi automatique qui semble finalement devenir d’ordre public. La démonstration du grief n’est alors pas une condition préalable à la sanction. La chambre criminelle semble ainsi opter pour une annulation globale et intégrale de l’acte alors même qu’aucun texte de loi ne prévoit l’interdiction pour la chambre de l’instruction de prononcer une nullité partielle. « La loi accorde ainsi aux juges du fond le pouvoir d’apprécier, au cas par cas, les actes ou pièces de la procédure subséquente susceptibles d’être contaminés et, partant, d’être annulés. Ainsi, l’annulation de l’acte litigieux, si elle est opposable à toutes les parties, n’entraîne pas nécessairement celle de la totalité de la procédure » (D. 2010. 1688, obs. L. Belfanti ).

La chambre criminelle vient combler cette lacune législative en homogénéisant sa jurisprudence et en condamnant fermement tout manquement à cette obligation mais surtout plus largement en condamnant les sanctions partielles prononcées par les chambres de l’instruction. Il est désormais indéniable que le manquement à l’obligation de l’enregistrement en matière criminelle doit être sanctionné par une nullité intégrale s’étendant aux actes de mise en examen délictuelle. La chambre criminelle se veut plus sévère à l’égard des juges du fond dans un souci de protection des droits de la défense et de l’effectivité de son respect. Cependant, poussée à l’extrême, cela ne pourrait-il pas nuire de façon radicale à la protection de l’ordre public ?