Accueil
Le quotidien du droit en ligne
-A+A
Article

Déféré : lorsque la Cour de cassation offre une garantie en trompe-l’œil

Si de nouveaux moyens de défense peuvent être opposés à l’occasion du déféré pour contester l’ordonnance du conseiller de la mise en état, la cour d’appel, statuant sur déféré, ne peut connaître de prétentions qui n’ont pas été soumises au conseiller de la mise en état.

par Romain Lafflyle 29 mars 2021

Le 15 décembre 2017, la société Provence Golf Prestige relève appel devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence d’un jugement du conseil de prud’hommes dans un litige l’opposant à son salarié. Le 1er août 2018, le conseiller de la mise en état juge caduque la déclaration d’appel et un déféré est formé contre l’ordonnance. Sur déféré, la société appelante soulève alors pour la première fois, afin de faire échec à la caducité encourue, l’irrégularité de la notification à son égard de la constitution d’intimé. La Cour, sur déféré, juge le moyen irrecevable dès lors que seule avait été débattue devant le conseiller de la mise en état la demande de caducité soulevée par l’intimé. La société appelante, qui voit son appel jugé caduc définitivement, forme un pourvoi mais la deuxième chambre civile le rejette selon la solution suivante :
« 5. Si de nouveaux moyens de défense peuvent être opposés à l’occasion du déféré pour contester l’ordonnance du conseiller de la mise en état, la cour d’appel, statuant sur déféré, ne peut connaître de prétentions qui n’ont pas été soumises au conseiller de la mise en état.
6. Ayant retenu que l’appelante ne s’était pas prévalue devant le conseiller de la mise en état de l’irrégularité de la notification à son égard de la constitution de l’intimé et des conclusions d’incident et de déféré de celui-ci, laquelle constituait un incident qui devait être préalablement soumis au conseiller de la mise en état en application de l’article 914 du code de procédure civile, c’est à bon droit que la cour d’appel a déclaré irrecevables les demandes de la société Provence golf prestige ».

Voilà un arrêt de section qui laisse perplexe non pas dans la solution de principe qu’il dégage mais dans l’application qu’il en fait. - À première lecture, le principe dégagé ne pose pas de difficulté et, bien qu’aucun fondement juridique ne soit visé dans l’arrêt, celui relevant du respect du contradictoire pouvait déjà y conduire.

Ainsi donc, si de nouveaux moyens de défense peuvent être opposés à l’occasion du déféré pour contester l’ordonnance du conseiller de la mise en état, la cour d’appel, statuant sur déféré, ne peut connaître de prétentions qui n’ont pas été soumises au conseiller de la mise en état. Si l’article 916 du code de procédure civile précise uniquement que la requête en déféré doit contenir « l’indication de la décision déférée ainsi qu’un exposé des moyens en fait et en droit », il n’est pas anormal qu’un moyen d’irrecevabilité de conclusions ou de caducité de la déclaration d’appel, soulevé pour la première fois devant la formation de déféré, ne puisse être admis. L’effet dévolutif qui s’attache, aussi, au déféré et qui a déjà été rappelé par la Cour de cassation (Civ. 2e, 13 mai 2015, n° 14-13.801, D. 2015. 1423 , note C. Bléry et L. Raschel ; ibid. 1791, chron. H. Adida-Canac, T. Vasseur, E. de Leiris, L. Lazerges-Cousquer, N. Touati, D. Chauchis et N. Palle ; ibid. 2016. 449, obs. N. Fricero ; 31 janv. 2019, n° 17-22.765, Dalloz actualité, 22 févr. 2019, obs. R. Laffly ; Civ. 2e, 31 janv. 2019, n° 17-22.765, D. 2019. 848, chron. N. Touati, C. Bohnert, E. de Leiris et N. Palle ) fait encore que l’on ne peut demander à la cour statuant sur déféré de juger au-delà de ce qui a été demandé préalablement au conseiller de la mise en état. Garantie des droits de la défense, garanties et limites de la plénitude du recours permettent donc de comprendre les enjeux, ce d’autant plus que la deuxième chambre civile vise bien, non pas les moyens, mais les prétentions précédemment soumises au conseiller de la mise en état.

Mais on touche là à la difficulté de la distinction entre les prétentions et les moyens : un sfumato entretenu par la Cour de cassation elle-même, lié à des notions toujours un peu plus floues tant elles ne cessent de se confondre.

Comme il peut l’être en fait et en droit, le débat sur la régularité de la constitution est en effet, dira-t-on, mélangé entre moyen et prétention. Le moyen consistait à faire écarter la caducité soulevée par l’intimée et la prétention tendait, comme le dit la cour d’appel, seulement à faire juger irrecevable cette demande faute de constitution régulière. Le débat est d’importance car la régularité de la dénonciation de la constitution conditionne l’option de dénonciation des conclusions. Soit la partie est régulièrement constituée auprès du greffe mais aussi de l’avocat adverse et les conclusions doivent être notifiées aux deux dans le même délai, soit l’intimé n’est pas constitué (ou mal constitué) et la partie qui dépose ses conclusions au greffe par RPVA dispose alors du délai augmenté de l’article 911 du code de procédure civile qui précise que « Sous les sanctions prévues aux articles 905-2 et 908 à 910, les conclusions sont notifiées aux avocats des parties dans le délai de leur remise au greffe de la cour. Sous les mêmes sanctions, elles sont signifiées au plus tard dans le mois suivant l’expiration des délais prévus à ces articles aux parties qui n’ont pas constitué avocat ». L’erreur en cette matière, comme bien d’autres en appel, ne pardonne pas. Comme l’a déjà rappelé sèchement la Cour de cassation pour approuver la caducité de l’acte d’appel dans une affaire dans laquelle tout laissait penser que l’avocat de l’intimé était constitué : même faite dans le délai, la notification par l’appelant de conclusions à un avocat non constitué en appel est entachée d’une irrégularité de fond et ne répond pas à l’objectif de garantir l’efficacité de la procédure et les droits de la défense (Civ. 2e, 27 févr. 2020, n° 19-10.849, Dalloz actualité, 15 avr. 2020, obs. R. Laffly).

À nouveau, dans le cas présent, la société appelante, qui avait conclu dans son délai de trois mois, avait été sanctionnée par le conseiller de la mise en état pour ne pas avoir adressé ses conclusions à l’avocat de l’intimé, identique en première instance et extérieur au ressort de la cour d’appel, dans ce même délai de trois mois. Ce n’est qu’après avoir reçu un message de son confrère l’alertant de l’absence de notification des écritures que l’avocat de l’appelant adressa ses premières conclusions, par lettre recommandée avec accusé de réception, à l’avocat de l’intimé, mais avec cinq jours de retard. La cour, sur déféré, avait noté que si l’appelante avait bien «soulevé l’irrecevabilité de la demande aux fins de caducité et répondu sur la caducité soulevée par l’intimé, elle n’a pas invoqué l’irrecevabilité de cette demande tenant à l’irrégularité de la notification à son égard de la constitution de l’intimé ». De son côté, la demanderesse au pourvoi, appelante devant la cour d’appel, avançait qu’avait pourtant bien été discutée devant le conseiller de la mise en état « la question des conditions de communication entre avocat de sorte que celle relative à l’irrégularité de la notification de la constitution de l’avocat du défendeur était en discussion devant ce magistrat ».

La solution retenue à la fausse apparence de la clarté : c’est au mieux un clair-obscur qui se dégage dans l’appréciation du moyen et de la prétention. - Elle revient en effet à écarter, au-delà d’une prétention, un moyen de défense et de contestation de la sanction encourue. Ce qui est en effet troublant est qu’à considérer que l’appelante n’ait pas, devant le conseiller de la mise en état, expressément formulé une prétention relative à la recevabilité de la demande de caducité en raison de l’irrégularité de la constitution de l’intimé, la question avait été débattue tandis qu’il s’agissait surtout de défendre au moyen de caducité adverse. Comment ne pas faire prévaloir le moyen de défense sur la demande de voir écartée, justement, la prétention adverse ? Et à l’instar des prétentions non soutenues devant le premier juge et qui sont recevables devant la cour, ne pourrait-on considérer que celles qui tendent aux mêmes fins, ou qui sont l’accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire, le sont également sur déféré ?

Il y a aussi un pas, immense, entre l’écart d’un moyen soulevé par une partie qui n’aurait pas initialement émis une demande visant à combattre un moyen adverse et qui conduit à la poursuite du procès, et celui qui, pour la même raison, amène à l’immédiateté d’une sanction comme la caducité de la déclaration d’appel, sans examen au fond.

Pour la Cour de cassation, l’irrégularité de la notification de la constitution, « constituait un incident qui devait être préalablement soumis au conseiller de la mise en état en application de l’article 914 du code de procédure civile ». Pourtant, alors que c’était l’appel stricto sensu qui était en cause, ne devait-on pas privilégier le moyen de défense qu’il constituait avant tout ? Cette défense consistait à faire échec au moyen de caducité adverse tandis qu’il n’est pas rare d’affiner sa position sur déféré en proposant d’autres pistes de réflexion et en articulant différents moyens, notamment lorsqu’ils constituent, comme ici, une fin de non-recevoir qui peut être soulevée en tout état de cause. Ce n’était pas une prétention tendant à l’irrecevabilité d’un recours voire des conclusions adverses qui était avancée mais, comme le dit la cour d’appel, d’irrecevabilité de la demande de caducité de l’intimé, ce qui fait toute la différence !

Car si l’on peut comprendre qu’une prétention conduisant à une sanction d’irrecevabilité pour l’intimé ne puisse prospérer si elle n’a jamais été discutée devant le conseiller de la mise en état, le même raisonnement laisse amer lorsque l’argument, qu’il soit qualifié de moyen ou de prétention, vise à contrer l’argumentation adverse pour faire juger recevable sa procédure. Car c’est bien de cela dont il s’agit : en arguant de l’irrégularité de la dénonciation de la constitution de l’avocat de l’intimé, l’appelant entendait voir jugées recevables ses conclusions notifiées dans le délai augmenté d’un mois de l’article 911. Mis bout à bout, les principes de concentration des prétentions, de respect du contradictoire et d’effet dévolutif devraient céder le pas, justement, contre celui, même unique, des droits de la défense quand une telle sanction est encourue.

On voit bien les principes, en filigrane, maniés par la Cour de cassation pour trancher entre la thèse de l’appelant et de l’intimé, mais en se plaçant du côté de la sanction plutôt que de la défense, on aura de sérieux doutes sur le résultat atteint par cette garantie en trompe-l’œil.