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Demandes de rapatriement des familles françaises de djihadistes retenus en Syrie : nécessité de procéder à un examen individuel indépendant des demandes*

La formation la plus solennelle de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a rendu, le 14 septembre, un arrêt se prononçant sur la question inédite des demandes de rapatriement des familles françaises de djihadistes retenues dans le Nord-Est syrien1. Elle juge que l’État français n’a pas d’obligation de rapatrier ses nationaux mais qu’il est contraint à procéder à un examen individuel indépendant des demandes.*

Cet arrêt, très attendu au regard des enjeux humains et juridiques de l’affaire, frappe par le souci de pédagogie et la grande prudence de la Cour. Confortant la jurisprudence de la Cour sur la notion de « juridiction » au sens de l’article 1er de la Convention2, conformément aux demandes des États, il met néanmoins à la charge de l’État une nouvelle obligation procédurale, sur le fondement de l’article 3, § 2, du Protocole n° 4, article jusque-là très peu usité, dont la Cour précise les contours3.

Pas d’extension de la notion de « juridiction »

Les enjeux

La question préalable était de déterminer si, comme le soutenaient les requérants, la CEDH considérerait que l’État français exerce sa juridiction sur leurs proches au regard de deux nouveaux critères, consacrés notamment par le Comité des droits de l’enfant des Nations unies4 : leur nationalité et la capacité à agir de la France, qui a procédé à plusieurs rapatriements5. En outre, l’existence de procédures pénales en France et de recours juridictionnels exercés pour obtenir le rapatriement est-elle de nature à créer un lien juridictionnel avec la France ?

Le gouvernement et les autres États intervenants6 avaient alerté la Cour sur les risques d’une interprétation extensive de la notion de juridiction, source d’une grande insécurité juridique pour les États, qui la conduirait de surcroît à porter une appréciation sur leur action diplomatique.

La jurisprudence existante confortée

Confirmant sa jurisprudence aux termes de laquelle la notion de juridiction est essentiellement territoriale et que la situation d’espèce ne relève d’aucune des exceptions jusqu’alors consacrées7, la CEDH conclut que la France n’exerce ni « autorité » ni « contrôle » sur les proches des requérants et que l’engagement de procédures au niveau national ne crée pas de lien juridictionnel entre la France et leurs proches.

Elle refuse ainsi de consacrer les critères de nationalité et de capacité à agir, relevant que ni le droit interne ni le droit international n’imposent à l’État d’agir en faveur de ses ressortissants et de les rapatrier, que la Convention ne garantit pas le droit à une protection diplomatique et consulaire et retenant l’argument du gouvernement qui insistait sur la nécessaire coopération des autorités locales non étatiques pour organiser les opérations de rapatriement.

Droit au retour : pas de droit au rapatriement mais de nouvelles obligations positives procédurales pour l’État

La reconnaissance inédite mais très circonstanciée d’un lien juridictionnel sur le fondement de l’article 3, § 2, du Protocole n° 4

La CEDH a saisi l’opportunité de cette affaire pour examiner la portée de l’article 3, § 2, du Protocole n° 4, prenant soin de préciser l’angle de l’examen des griefs au début de son analyse.

Rappelant que cet article a fait l’objet de peu de jurisprudence8, la Cour estime qu’il suppose par nature que les ressortissants se trouvent hors du territoire national ou d’un territoire sur lequel l’État exerce un contrôle effectif. En juger autrement reviendrait à priver des ressortissants qui, d’un point de vue pratique, auraient le plus besoin de cette protection.

Procédant à une analyse téléologique du texte, à la lumière des travaux préparatoires et du rapport explicatif, la Cour rappelle que cet article, qui a pour objectif d’interdire définitivement l’exil, doit se lire à la lumière du nouveau contexte international dans lequel, face à une mondialisation croissante, les États sont confrontés à de nouveaux défis au regard du droit d’entrer sur le territoire national, en termes de sécurité et de défense dans le domaine de la protection diplomatique et consulaire, du droit international humanitaire et de la coopération internationale.

La CEDH rejette ainsi la lecture...

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