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Le demandeur à une mesure d’instruction in futurum doit-il toujours supporter le coût du procès ?

Par un arrêt publié au Bulletin du 21 novembre 2024, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation considère que la partie défenderesse à une demande de mesure d’instruction in futurum ne peut être condamnée ni aux dépens ni, en conséquence, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile. La généralité de la motivation de l’arrêt interroge.

La deuxième chambre civile de la Cour de cassation a rendu, le 21 novembre 2024, un arrêt qui intéressera autant les praticiens que les auteurs. À l’origine du litige, un différend relativement courant opposait une société à deux de ses anciens associés et à une nouvelle société qu’ils avaient créée, qu’elle accusait de pratiques déloyales. La société avait obtenu d’un tribunal de commerce une ordonnance sur requête sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile. Les personnes sujettes de la mesure d’instruction ont ensuite assigné en référé-rétractation la société requérante, mais ont été déboutées de cette demande de rétractation. La Cour d’appel de Paris confirme le refus de rétracter l’ordonnance, la condamnation des défenderesses aux dépens ainsi qu’à l’article 700 du code de procédure civile, et ajoute elle-même à cette condamnation les dépens d’appel et une somme supplémentaire sur le fondement de l’article 700.

La Cour de cassation casse l’arrêt de la Cour d’appel de Paris sur ce dernier point, au motif que « la partie défenderesse à une demande de mesure d’instruction, ordonnée sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, ou demanderesse à la rétractation d’une telle mesure, ne peut être considérée comme une partie perdante au sens de l’article 696 du code de procédure civile, cette mesure d’instruction n’étant pas destinée à éclairer le juge d’ores et déjà saisi d’un litige mais n’étant ordonnée qu’au bénéfice de celui qui la sollicite en vue d’un éventuel futur procès au fond ».

Avant de discuter de l’opportunité et du bienfondé de cette décision, il convient de rappeler les principes applicables en procédure civile en matière de dépens.

L’office du juge civil quant aux dépens et à l’article 700 du code de procédure civile 

Selon les professeurs Cadiet et Jeuland, « les dépens peuvent être définis comme les frais juridiquement indispensables à la poursuite du procès et dont le montant fait l’objet d’une tarification, soit par voie réglementaire, comme les émoluments des officiers publics ou ministériels, soit par décision judiciaire, ce qui est le cas de la rémunération des techniciens investis d’une mesure d’instruction, comme les experts. La liste, exhaustive, en est précisément donnée par l’article 695 du code de procédure civile » (L. Cadiet et E. Jeuland, Droit judiciaire privé, § 47, LexisNexis, 2020).

En vertu de l’article 696, alinéa 1er, du code de procédure civile, « La partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie ». Le code de procédure civile prévoit donc un principe, l’imputation des dépens à la charge de la partie perdante, et une exception, leur attribution partielle ou totale par le juge à une partie non perdante, à condition toutefois d’une décision motivée du juge. Comme l’écrivait le professeur Perrot, cette dernière option doit être vue comme une dérogation, et « le juge qui estime bon de faire supporter tout ou partie des dépens à un autre qu’au perdant, doit s’en...

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