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La dématérialisation des services publics doit préserver les droits des usagers

« Un service public dématérialisé reste un service public. » Il doit s’adapter aux besoins divers d’usagers différents et ne pas leur faire supporter ses difficultés techniques, martèle le Défenseur des droits.

par Marie-Christine de Monteclerle 18 janvier 2019

« Si une seule personne devait être privée de ses droits du fait de la dématérialisation d’un service public, ce serait un échec pour notre démocratie et pour l’État de droit. » Tel est le message fort du rapport Dématérialisation et inégalités d’accès aux services publics, que le Défenseur des droits a rendu public le 17 janvier.

Jacques Toubon tire la sonnette d’alarme : si la dématérialisation des services publics peut constituer un progrès, les conditions de sa mise en œuvre se traduisent pour beaucoup d’usagers par un véritable recul de leurs droits. « La mise en œuvre des politiques publiques de dématérialisation se doit donc de respecter les principes fondateurs du service public : l’adaptabilité, la continuité et l’égalité devant le service public », insiste le rapport.

Si la question n’est pas nouvelle, le rapport du Défenseur des droits a deux mérites : en souligner l’ampleur et proposer des solutions concrètes. Les difficultés d’accès aux services publics dématérialisés ne concernent en effet pas que quelques personnes âgées mal à l’aise avec l’informatique. Certes, les plus de 70 ans sont la catégorie de la population la moins équipée en accès à internet. Mais 17 % des moins de 18 ans – digital natives s’il en est – se déclarent en réelle difficulté pour les démarches administratives. Le Défenseur des droits rappelle aussi que 500 000 personnes vivent dans des zones « blanches », sans accès à internet et 15 % de la population dans des endroits où la connexion est de mauvaise qualité. Les plus démunis, eux, ne peuvent souvent payer ni l’abonnement ni le matériel nécessaire.

Les laissés pour compte de la dématérialisation

Le rapport identifie particulièrement trois catégories de « laissés pour compte de la dématérialisation ». Les personnes handicapées, tout d’abord. « La plupart des sites publics de l’État ne sont toujours pas en conformité avec la réglementation en vigueur » sur l’accessibilité. Réglementation que le Défenseur des droits juge, au demeurant, insuffisamment contraignante. Il réclame la mise en place d’un dispositif de contrôle de conformité des sites « assorti de sanctions dissuasives ». Le dispositif de dématérialisation est, par ailleurs, inadapté au cadre juridique spécifique aux majeurs protégés. Il impose au mandataire d’utiliser les identifiants de la personne protégée, excluant de fait celle-ci de la démarche. C’est pourquoi le Défenseur demande la généralisation rapide, pour tous les sites publics, d’un double accès, pour la personne protégée et son mandataire. Enfin, les détenus, qui n’ont pas accès à internet, dépendent de conseillers d’insertion et de probation débordés pour réaliser leur déclaration de revenus. Quant à l’obtention d’une carte d’identité, elle est pratiquement impossible pour eux.

Le Défenseur des droits pointe également « une conception et un déploiement des sites internet parfois inadaptés ». Il rappelle ainsi les multiples difficultés rencontrées par le site de l’agence nationale des titres sécurisés, qui a privé de certificats d’immatriculation des milliers d’automobilistes. Certains se sont adressés aux délégués du Défenseur des droits, d’autres ont même dû saisir le juge administratif.

Plusieurs modalités d’accès au service public

Autres victimes : les étrangers. Trente préfectures rendent obligatoire la demande de rendez-vous par internet pour solliciter un titre de séjour. Mais les sites bloquent toute demande dès que le quota de rendez-vous est atteint. « Aux files d’attente indignes des usagers cherchant à atteindre le guichet de la préfecture est venue se substituer une file invisible qui parvient encore moins qu’auparavant à accéder aux guichets », déplore le rapport. En outre, certains sites ne permettent pas techniquement de déposer une demande sur plusieurs fondements (admission exceptionnelle au séjour et vie privée, par exemple).

Les difficultés liées à l’ergonomie des sites sont toutefois loin de ne concerner que les étrangers. Le Défenseur des droits plaide pour une uniformisation en la matière et un délai de rectification pour l’usager qui aurait commis une erreur. Il exprime également sa préoccupation quant au consentement aux échanges dématérialisés. Certaines administrations, en effet, considèrent que, dès lors qu’un usager leur a donné une adresse mail, il a consenti aux échanges sous cette forme. Elles lui notifient ainsi des décisions importantes, tandis que lui attend une notification par courrier. Le Défenseur des droits « constate régulièrement les conséquences désastreuses que cela peut entraîner pour l’accès aux droits de certaines personnes ».

Pour que la dématérialisation soit une chance et non une menace pour les usagers, le Défenseur des droits propose une batterie de mesures très concrètes : clause de protection des usagers en cas de problème technique, dispositifs d’accompagnement des personnes en difficulté numérique, principe d’envoi sous forme papier des notifications d’attribution de suppression ou de révision de droits… Mais la première de ces recommandations est l’adoption d’une disposition législative, au sein du code des relations entre le public et l’administration, imposant de préserver plusieurs modalités d’accès au service public pour qu’aucune démarche administrative ne soit accessible uniquement par voie dématérialisée.

Le projet de loi Justice et l’accès au juge

Le Défenseur des droits exprime sans détour sa préoccupation face aux mesures de dématérialisation prévues par le projet de loi de programmation et de réforme pour la justice, actuellement en fin de parcours parlementaire. La suppression des tribunaux d’instance combinée à une nouvelle procédure électronique de règlement des petits litiges lui semble lourde de menaces pour l’accès au droit, à un juge et à la justice des usagers, notamment les plus vulnérables. À tout le moins, les lieux d’accès au droit devront, demande-t-il, bénéficier d’un matériel adéquat (scanner et imprimantes) en quantité suffisante et d’un accompagnement par un personnel qualifié.