Accueil
Le quotidien du droit en ligne
-A+A
Article

Denis Mannechez, la terreur en famille

Au procès de Denis Mannechez, jugé pour double assassinat, ses enfants ont témoigné. Battus, violés, terrorisés, ils ont raconté à la cour d’assises leur vie d’enfant et l’emprise spectaculaire et perverse dont Denis Mannechez, aujourd’hui muet et paralysé, a fait preuve.

par Julien Mucchiellile 17 décembre 2018

Ce ne sont pas les violences, les tortures, les viols et les humiliations que la cour d’assises d’Évreux juge jusqu’au 19 décembre, mais deux assassinats. Celui de Frédéric Piard, garagiste de 31 ans, « l’innocent », disent les Mannechez, et celui de Virginie Mannechez, sœur aînée de la fratrie, « Denis », disent les Mannechez. Tous deux ont été abattus par l’accusé dans le garage où ils travaillaient, à Gisors, le 7 octobre 2014. Les viols ont été jugés en 2011 et 2012 et le père a été condamné. Mais puisque l’auteur de ces homicides, l’homme muet en fauteuil roulant qui néanmoins a conservé toutes ses facultés mentales, est également l’auteur de ces violences, tortures, viols et humiliations quotidiennes subis par ses enfants et sa femme, et que ces homicides ont, en quelque sorte, résulté de ce huis-clos ultra violent imposé par le pater tyrannique, le président, mû par la recherche de la vérité, a déclaré : « Ce qui s’est passé dans le précédent procès n’est pas ce qu’il se passe dans ce procès, mais ça ne veut pas dire qu’on n’a pas besoin de savoir des choses, sur ce qu’il s’est passé avant, car les raisons de cette situation-là, on ne les trouve que dans votre enfance ».

Tony Mannechez, 29 ans, était venu pour cela, tout comme ses frères et sœur, et c’est pour ainsi dire de but en blanc, très clairement et sans se reprendre, qu’il déclare à la cour d’assises d’Évreux : « J’ai très peur, énormément peur. J’ai peur de l’affronter, c’est un moment que je redoute énormément, j’ai peur de mal m’exprimer, de ne pas être entendu. J’ai énormément de choses à dire, mais j’ai peur d’un manque de clairvoyance que vous pourriez avoir, parce que c’est compliqué, j’ai peur de la clémence que vous pourriez avoir, parce que moi aujourd’hui je me sens encore en danger. Il n’a jamais parlé de remords. Nous, on sait très bien que rien n’a changé. Moi aujourd’hui j’essaie de fuir mon passé, et je n’y arrive pas. Pour la première fois, dire vraiment ce qu’on a vécu ».

Ce qu’il a vécu est indissociable de ce que son grand frère Dimitri, 32 ans, a vécu, d’abord à Saint-Pathus, en Seine-et-Marne, puis à Cuise-la-Motte, dans l’Oise, où Denis Mannechez a pu œuvrer à l’abri des regards, dans cette propriété de 7 000 mètres carrés, entourée de forêt. Les garçons étaient mis à l’écart : « On a été placés dans la cave, pas de fenêtre, une petite aération côté jardin, le but était de mieux isoler les garçons pour avoir la maison seul. Puis un chalet, avec le chauffage, mais on ne pouvait pas aller dans la maison comme on voulait. Après le déménagement, un autre chalet, plutôt un bel abri de jardin. C’était impossible d’avoir accès à la maison », dit Tony.

« Le but, c’était toujours de nous occuper pour nous interdire l’accès à la maison, toutes les tâches longues, difficiles, parfois inutiles, c’était pour nous. » Après avoir coupé tous les arbres, à la tronçonneuse, des arbres immenses et imposants, le père a demandé à ses fils âgés de 8 et 11 ans de déblayer le terrain de ces arbres et de ces souches, de les mettre en tas, puis de déplacer ce tas. Il leur a aussi demandé d’aplanir le terrain cabossé avec un rouleau qu’ils passaient à la main. « Tous les jours, après l’école. Cela a duré de mes 8 ans à mes 10 ans et demi », explique Tony.

« On se faisait battre comme des hommes »

Le quotidien : « On ne mangeait jamais en famille, on finissait les restes dans la véranda et on remontait dans notre chalet. Il avait installé des caméras partout pour contrôler nos déplacements, l’accès à la maison était surveillé et protégé ». Denis Mannechez avait imposé un fonctionnement. « Déjà, il fallait préparer son réveil : chauffer la salle de bain, beurrer les tartines, mettre les pantoufles au pied du lit, chauffer et dégivrer la voiture. Le soir l’inverse : ouvrir le portail – il ne pouvait pas attendre devant le portail, si le portail n’était pas ouvert, c’était, “est-ce que vous vous rendez compte, bande de bons à rien, on vous demande d’ouvrir un portail et même ça, vous ne pouvez pas le faire !” Il fallait lui enlever ses chaussures, lui mettre ses chaussettes, que la télé soit mise à sa chaîne. »

Tony et Dimitri étaient battus. Tony raconte : « Quand on rentrait, on fermait les volets, on mettait la musique à fond, et à ce moment-là on se faisait battre, mais pas battre comme des enfants, on se faisait battre comme des hommes. Il faisait 120 kilos et il nous massacrait. Pendant qu’on se préparait, on avait peur, alors il nous demandait d’aller pisser avant parce qu’il savait qu’on allait se faire dessus, tellement on avait peur. Le seul truc qui l’arrêtait, c’était qu’il était essoufflé, ou c’était Virginie qui mettait fin à ça. Puis, il nous mettait à genoux, les mains sur la tête, pendant cinq heures, et quand il nous libérait, on ne pouvait même plus marcher. »

Dimitri relate deux scènes en particulier : « La première c’est un matin, j’avais insulté une de mes sœurs, il m’avait appelé en bas du studio, il m’a mis une grosse claque, ma tête a tapé la porte, l’oreille, j’avais tout le côté violet, je suis resté enfermé dans le chalet pendant des semaines, sans être soigné, et j’ai encore des séquelles. » Ensuite : « Il était rentré à l’improviste, et m’a vu à la maison car je n’avais pas école et m’a tabassé. Il m’a enfermé pendant deux jours dans une pièce infestée de rats et d’araignées, je suis sorti plein de piqûres et de morsures. »

« Monsieur Mannechez était un manipulateur, un tortionnaire »

Denis Mannechez tenait sa femme et ses enfants par la terreur qu’il leur inspirait, par les menaces quotidiennes qu’il proférait, par les démonstrations de forces. Un jour, sans aucune raison, il tue le chien d’une balle dans la tête. Plus tard, il massacre toutes les poules du jardin. Une autre fois, il égorge un mouton dans le salon entièrement bâché, comme un tueur psychopathe, pour montrer son savoir-faire. « Sous emprise », ils répètent tous cela, les Mannechez. La perversité du père tenait en ce que, tout en les martyrisant, il parvenait à maintenir en eux le besoin d’être aimé par leur père. Il les manipulait ainsi : en leur faisant miroiter l’amour paternel qu’ils espéraient.

Quant à la mère, ombre misérable et soumise, à la fois victime et complice, elle a été condamnée pour complicité de viols. Honteuse, elle convient : « C’était tout à fait normal, les faits étaient très graves. – Comment vous les expliquez ? – Par l’emprise, par les coups, par les menaces. Un jour, il m’a enfermée dans le coffre de la voiture, après j’ai été enfermée dans un cagibi, pendant quatre jours. J’ai eu honte de ne pas arriver à avoir la force d’aider mes propres enfants. » Elle a mis ses filles dans le lit de son mari, par peur et sous emprise, dit-elle. Vendredi 14 décembre, elle est entrée par la porte des témoins, blème et enveloppée d’un long manteau, et, d’une voix maudissante, elle s’est écriée : « Ils ont vécu un enfer, comme moi je l’ai vécu aussi, et aujourd’hui je compatis. Monsieur Mannechez était un manipulateur, un tortionnaire, il a réussi à les monter entre eux, il menaçait, il jouait avec ça, c’était un dictateur, un tyran. Mes enfants ont été très malheureux. » Plusieurs fois, elle répète : « Si Betty n’avait pas porté plainte, aujourd’hui on serait tous mort. »

C’était le 9 février 2002. Le 10 février, Virginie accouchait de Nicolas, fruit du viol de son père. Il avait tout prévu : « Maintenant on va faire un gosse, et tu bougeras pas », lui avait-il lancé. Betty venait de s’échapper du domicile familial et dénonçait les viols dont elle et Virginie avaient été victimes. Elle l’a fait, dit-elle, pour protéger la petite dernière, 4 ans, dont il était à craindre qu’elle subisse le même sort. Les parents sont arrêtés et incarcérés, Tony et Dimitri, 12 et 15 ans, vivent un an en foyer, la plus belle année de leur vie, disent-ils à l’unisson, où ils vécurent la vie de véritables enfants et non la vie de souffre-douleur, la vie de larbins qu’ils avaient connue jusqu’ici.

Tony raconte : « Nous on disait à Virginie : c’est génial. Virginie disait : “papa est en prison”. On ne voulait pas aller à contresens de Virginie. Elle était toute la journée devant la maison d’arrêt. Denis a réussi à avoir non seulement un ordinateur, mais une cellule donnant sur la rue. Il a demandé à Virginie de venir tous les jours, vers 7h30 dans la rue, pour qu’ils puissent se voir, et elle faisait ça tous les jours, elle n’avait pas le choix. Ils communiquaient énormément, en se passant des messages écrits. » Sous l’emprise de Denis, elle ramène ses frères dans le « système ». Les visites au parloir étaient dédiées à l’élaboration de la stratégie de défense. Le but : isoler Betty, lui mettre la pression afin qu’elle « craque », mettre Betty et sa mère au ban de la famille, jeter sur elle l’opprobre paternel, faire bloc autour de Denis et Virginie. Dimitri considérait cette dernière comme sa mère, tandis qu’il avait toujours été éloigné de Betty, la cadette, Betty, la mal-aimée, la rebut de la famille Mannechez, comme elle l’a toujours cru, comme son père lui a toujours fait sentir.

« J’ai toujours pensé que j’allais mourir la première dans cette famille »

Le surnom de Virginie était « Duchesse », alors que le surnom de Betty était « Alfred ». Betty, dont le cas est pour ainsi dire complexe, était un garçon manqué, vouée aux tâches rudes comme ses frères, et violée comme sa sœur à son tour quand il prit à Denis l’envie de le faire. « J’ai toujours pensé que j’allais mourir la première dans cette famille », dit-elle, expliquant qu’elle avait ressenti non seulement sa souffrance, mais également celle de ses frères et celle de sa sœur. Betty a vécu à la fois les souffrances physiques que ses frères ont vécues, mais aussi les violences sexuelles que Virginie a endurées et, bien entendu, les violences psychologiques. Elle était la plus rétive à l’autorité, celle qui a naturellement fait éclater le système paternel, avant qu’il ne se recompose et ne se retourne contre elle. Virginie s’est retournée contre elle : « “Betty, je te demande de dire que tout ce que t’as dit, c’est pas vrai”. Elle m’en a voulu comme quelqu’un qui a détruit sa vie. J’étais la seule responsable de l’envoi de mon père en prison. La seule chose que j’avais dans ma vie, c’est ma sœur et, à ce moment, il me manque ma sœur. »

Quand Denis Mannechez sort de prison, en 2004, il s’installe avec Virginie et le petit Nicolas, en violation manifeste de son contrôle judiciaire, jusqu’au procès de 2011, où il écope de huit ans d’emprisonnement, sans mandat de dépôt. Une victoire pour lui, jusqu’à la victoire finale que représente l’audience devant la cour d’assises d’Amiens, où, dans une communion singulière, défense et partie civile s’accordent pour demander la clémence de la cour, pour ainsi dire, sa permission, pour que Denis et Virginie vivent leur amour. « Ça marchait tellement bien que, même à Amiens, on était encore dans cette position-là, à discréditer notre mère, à la fois à contre-cœur et à la fois avec conviction. On était tous sous menace de mort », témoigne Tony. Après le procès, Laurence a lancé à Virginie : « Maintenant, ma fille, tu vas vivre l’enfer ! Je l’ai toujours dit, on ne m’a pas écoutée. »

Avant que le système de Denis Mannechez ne se retourne contre Virginie, jusqu’à l’issue mortelle, Betty a, encore une fois, été rejetée. Deux ans au cours desquels; elle l’affirme à la barre, elle s’est épanouie comme jamais elle ne s’est épanouie. Dans le même temps, les frères se sont éloignés. Virginie, isolée, a tenté au cours de sa cavale de trouver du soutien. Tous, à la barre, pensaient que Virginie allait réintégrer les pénates du Denis au bout de quelques jours, comme Laurence l’avait toujours fait. Constatant qu’elle tenait bon, ils ont alors cru, ou plutôt espéré, qu’il se suicide. Au bout de quelques semaines, alors qu’ils étaient témoins de la terreur grandissante de leur sœur aînée et qu’impuissants, ils l’exhortaient à trouver une solution, ils ont alors compris qu’il la tuerait.

Betty, aujourd’hui étudiante en psychologie, essaie de comprendre, mais elle ne comprend pas. Elle a débuté sa déposition ainsi : « L’important pour moi, aujourd’hui, c’est de comprendre pourquoi on en est arrivés là, revenir en enfance, la petite que je suis encore aujourd’hui et que Virginie était à l’époque, cet amour pour le père. Il nous a toujours évoqué son enfance douloureuse, et quand on le voit pleurer sur son enfance douloureuse, on rentre pleinement dedans, parce qu’on l’a vécu aussi. »

Denis Mannechez, tordu sur sa chaise, a compris que la haine de ses fils était irrémédiable. C’est à Betty, la seule encore à sa merci, qu’il adresse ses derniers mots, un texte laborieux qui s’affiche lentement sur les écrans de la cour d’assises, et qui commence ainsi : « Merci Betty pour ton courage. Pardon pour tout le mal que je t’ai fait. »

 

Lire aussi :

Denis Mannechez, de « l’inceste heureux » à l’assassinat

L’impossible interrogatoire de Denis Mannechez, paralysé et muet

Procès de Denis Mannechez : la traque de Virginie et de son fils