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Départ de Renaud Van Ruymbeke, arrivée de Marc Sommerer : la nouvelle page du pôle financier

Avec le départ du célèbre juge Renaud Van Ruymbeke, remplacé par le magistrat Marc Sommerer, le pôle financier du tribunal de grande instance de Paris tourne une page. Un changement d’époque accentué par la montée en puissance du PNF.

par Gabriel Thierryle 27 septembre 2019

Renaud Van Ruymbeke a fermé pour la dernière fois la porte de son bureau le 28 juin dernier. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que la retraite du magistrat n’est pas passé inaperçue. La presse a salué le départ du doyen des juges d’instruction de la capitale. Il incarnait le travail opiniâtre de la justice contre la corruption. Symbole, à son corps défendant, des affaires politico-financières, ce magistrat discret s’était illustré dans de nombreuses affaires. L’ancien premier vice-président chargé de l’instruction s’était attaqué au dossier Urba, à Elf, à Jérôme Kerviel ou encore à l’affaire Clearstream. Un dossier où il sera mis en difficulté par une procédure disciplinaire « engagée pour des raisons politiques », commentera-t-il à l’abandon des poursuites en 2012.

Ce mardi 24 septembre, le Conseil supérieur de la magistrature a validé l’arrivée de son successeur, Marc Sommerer. Un projet de nomination approuvé après un premier appel à candidatures infructueux. Ce magistrat quadragénaire, expert dans la lutte contre la criminalité organisée, était à la juridiction interrégionale spécialisée après d’autres postes à l’instruction et à l’application des peines. Un remplacement tardif déploré par Éric Alt, vice-président de l’association de lutte contre la corruption Anticor. « C’est un symbole désastreux », estime ce membre du Syndicat de la magistrature. Au pôle financier, fort de dix-huit magistrats, le futur coordonnateur est notamment attendu sur l’organisation du travail entre juges. Réunions ou échanges sur les méthodes : « notre façon de travailler doit changer, d’autant plus que nous affrontons aujourd’hui des dossiers tentaculaires », plaide à ce sujet auprès de Dalloz actualité un magistrat expérimenté du pôle financier.

Une page se tourne

Avec ce mercato, une page se tourne au pôle financier. Dans les années 2000, « Laurence Vichnievsky, Éric Halphen ou Eva Joly ont beaucoup écrit sur les difficultés de leur métier dans leurs livres, alors que leur domaine était en pleine explosion », remarque l’avocat Rémi Lorrain, du cabinet Darrois. Membre de cette génération, Renaud Van Ruymbeke se distinguait par son écoute, se souvient le pénaliste Patrick Maisonneuve. « Ce qui ne voulait pas dire qu’il changeait d’avis », précise l’avocat. « Cela devient de plus en plus compliqué d’avoir des échanges, comme s’il y avait une sorte de prévention vis-à-vis des avocats », poursuit ce dernier, décontenancé par certaines demandes d’envoi de notes écrites formulées par d’autres magistrats.

Chaleureux, l’auteur de l’ouvrage Le juge d’instruction aux Presses universitaires de France, n’a pas voulu « faire école », explique un proche. « Renaud Van Ruymbeke a donné l’envie aux magistrats de se spécialiser dans la lutte contre la délinquance financière, mais il n’a jamais voulu mettre en avant ses méthodes et prétendre qu’elles étaient les meilleures », poursuit ce juge. Dans une interview à l’AFP, à son départ, le magistrat avait appelé la nouvelle génération de magistrats à « aller plus loin » dans la lutte contre la délinquance financière. « Il reste beaucoup à faire », expliquait-il. « Il n’y a jamais eu autant d’argent sale », ajoutait-il, soulignant l’ampleur de « l’ingéniosité des grands fraudeurs ».

Concurrent redoutable

« Renaud Van Ruymbeke est d’une époque où le juge d’instruction jouait un rôle majeur dans les affaires sensibles, analyse Éric Alt. La victoire paradoxale des juges financiers de cette époque a été d’imposer des enquêtes dont le pouvoir ne voulait pas et de contribuer à la naissance d’une justice spécialisée. » Et le magistrat de poursuivre : « aujourd’hui, c’est le parquet qui joue le premier rôle ».

Depuis leur déménagement au palais de Justice des Batignolles, les anciens locataires de la rue des Italiens côtoient en effet un voisin de poids. Le parquet national financier est devenu un « concurrent redoutable », selon les mots d’un magistrat du pôle financier. Un partenaire « très stimulant », qui « travaille très bien et en équipe », salue ce dernier à propos du PNF. « Il est très présent, voire omniprésent », remarque également Me Patrick Maisonneuve. Installé au 20e étage, ce parquet devrait être prochainement dirigé par Jean-François Bohnert, qui succéderait alors à Éliane Houlette.

Menacée par l’extension, au fil des réformes, des pouvoirs des parquets lors des enquêtes préliminaires, l’instruction, dédiée au haut du spectre, reste la voie privilégiée pour la gestion des techniques complexes d’enquête ou dans les dossiers mettant en cause des personnalités du monde économique ou politique. « L’épicentre probatoire a bougé en matière de droit pénal des affaires, remarque pourtant l’avocat Rémi Lorrain. Il est davantage au stade de l’enquête qu’au stade de l’instruction. Le PNF le dit clairement : il privilégie l’enquête préliminaire à l’information judiciaire. Cela a pour effet de faire passer les juges d’instruction en second plan. »

Les résultats du PNF

En quelques années, les dix-sept magistrats du parquet financier, qui suivent aujourd’hui 560 dossiers, ont mis les bouchées doubles. Le taux d’enquêtes préliminaires, sur la délinquance couverte par ce dernier, est ainsi passé de 37 % à son installation en mars 2014 à près de 80 % à la fin de l’année 2018. Le PNF s’est également emparé d’un nouvel outil en complément du plaider-coupable, les conventions judiciaires d’intérêt public introduites par la loi Sapin 2. Résultat ? Entre des réquisitions fortes, comme lors du procès UBS (3,7 milliards d’euros d’amende demandés et obtenus) ou la négociation d’une première convention en 2017, une opération renouvelée il y a peu avec Google, le parquet financier s’est fait un nom. Il s’est même invité dans l’élection présidentielle de 2017, en ouvrant l’affaire Fillon. Un dossier ensuite transmis à l’instruction avec l’ouverture d’une information judiciaire.

Efficace, le parquet n’en n’est pas moins vulnérable, juge Éric Alt, « car son statut a peu évolué. » Malgré la prohibition depuis 2013 des instructions dans des dossiers particuliers, l’USM déplore ainsi toujours des nominations et une discipline des procureurs dépendant « exclusivement du pouvoir exécutif ». En 2006, dans une interview au Monde, Renaud Van Ruymbeke s’était lui-même déclaré favorable à la suppression du juge d’instruction. À condition, ajoutait-il aussitôt, de « donner l’indépendance au parquet », un préalable indispensable pour détacher ce dernier du pouvoir politique.

Nouvelle criminalité

L’activisme du parquet financier ne met pas pour autant les magistrats instructeurs au chômage. En matière d’argent sale, le travail ne manque pas. Alors que la création du parquet européen se profile pour 2020, les juges d’instruction n’hésitent plus à voyager à l’étranger. Une internationalisation du travail poussée par le juge Van Ruymbeke, en 1997, avec l’Appel de Genève, ce plaidoyer de sept magistrats anticorruption pour « un véritable espace judiciaire européen ». « Je vais une fois par mois à La Haye à Eurojust, l’unité de coopération judiciaire de l’Union européenne », compte le magistrat du pôle financier que nous avons interrogé.

Des déplacements devenus nécessaires face à des affaires de plus en plus complexes, comme les dossiers de cybercriminalité. Une matière en très forte augmentation dans les cabinets de la section consacrée à la délinquance astucieuse du pôle financier. À côté de la lutte contre la délinquance financière en col blanc, les affaires mettant en cause un grand banditisme devenu technophile prospèrent. Signe des temps : le tribunal de grande instance planche sur une nouvelle dénomination de la section dédiée à la délinquance astucieuse. Un terme jugé désuet par certains magistrats en interne qui a peut-être fait son temps.