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Les députés invités à assister aux audiences de comparution immédiate

À l’initiative de l’OIP, du SAF, du SM fédérés dans un collectif, « Justice Prison », regroupant 26 associations, les parlementaires ont été interpellés, voici dix jours, pour assister à une audience de comparution immédiate. L’objectif est une prise de conscience des politiques de la réalité de la chaîne pénale, afin que les décideurs politiques, au lieu de la construction de 15 000 places de prison, fassent la promotion des peines alternatives.

par Julien Mucchiellile 19 février 2018

« Une nouvelle séquence politique s’ouvre, explique Cécile Marcel, directrice de l’Observatoire international des prisons – section française (OIP) : un plan global pénitentiaire doit être présenté d’ici la fin février, et le projet de loi issu des Chantiers de la justice doit être transmis le 15 mars au Conseil d’État. » Elle s’exprimait ce lundi 19 février, dans les locaux de la ligue des droits de l’homme (LDH) et au côté de 26 associations formant le collectif « Justice prison ».

Ce collectif incite les parlementaires qui, récemment, ont visité des établissements pénitentiaires, à « observer l’ensemble du parcours pénal », et en particulier à assister à une audience de comparution immédiate, procédure particulièrement pourvoyeuse d’incarcération ; à découvrir les alternatives à la prison, avant, pendant et après le jugement. Ce, dans le but de « décentrer le regard de la prison, observer l’ensemble du parcours pénal et trouver le moyen de renforcer les peines alternatives à l’enfermement », poursuit Cécile Marcel.

Or la procédure de comparution immédiate est particulièrement pourvoyeuse de prison (huit fois plus que les audiences classiques) et son usage est en forte augmentation depuis le début des années 2 000 : 31 693 jugements en 2001, 49 220 jugements en 2016. Se fondant sur des recherches universitaires et des observations citoyennes, notamment menées dans les tribunaux de Marseille et Nice, l’OIP – qui déplore qu’aucune statistique du ministère de la justice n’existe sur cette procédure – rapporte que chaque procès dure en moyenne 29 minutes, et que 70 % des peines prononcées en comparution immédiate sont des peines de prison ferme. En parallèle, il est souligné que le nombre d’entrées en prison pour des peines de moins de 6 mois a progressé de 22 % entre 2014 et 2016 et que 19 000 détenus purgent une peine de moins d’un an – sachant que la surpopulation carcérale est d’environ 115 % (139 % en maison d’arrêt), soit : 68 974 personnes incarcérées pour 59 765 places, au 1er janvier 2018.

« Personne dans l’institution ne va dire que la justice en comparution immédiate est une bonne justice »

Le nombre de comparutions immédiates augmente car le parquet (qui a l’opportunité des poursuites) oriente plus de dossiers vers cette procédure. Parce que la loi le permet (toujours plus d’infractions et de situations pénales sont compatibles avec cette procédure), parce que la politique pénale répressive y incite (réponse forte et immédiate), mais aussi, déplore Laurence Blisson, du syndicat de la magistrature (SM), parce que la procédure de comparution immédiate « sert aussi comme un mode de gestion de flux ». Elle rappelle qu’il s’agit à l’origine d’un mode de poursuite « complètement dérogatoire », qui n’est pas satisfaisant : « Personne dans l’institution ne va dire que la justice en comparution immédiate est une bonne justice. » C’est pourquoi le collectif « justice prison » espère que les députés affligés par l’état des prisons, le seront aussi par la manière dont la justice est rendue en comparution immédiate, et agiront dans le sens d’une meilleure promotion, d’une mise en avant des peines alternatives à l’enfermement.

Odile Desquiret, de la fédération « citoyen et justice », qui fédère des associations de suivi socio judiciaire, rappelle que le suivi, pré et post sentenciel, permet une réflexion autour de l’acte et une réinsertion professionnelle, ce qui réduit les risques de récidive (facteur d’insécurité). En outre, rappelle-t-elle : « six mois de détention provisoire coûtent 18 000 €, six mois de suivi, 925 € (par personne), ce qui n’a pas empêché la détention provisoire (censée être l’exception) d’augmenter de 20 % entre 2014 et 2016.

Pourquoi ne pas opter pour une mesure de placement extérieur, un aménagement de peine sous écrou, comme la semi-liberté et le placement sous surveillance électronique, qui permet à une personne condamnée de bénéficier d’un régime particulier de détention l’autorisant à quitter l’établissement pénitentiaire afin d’exercer une activité professionnelle, de suivre un enseignement, une formation professionnelle. Coût de la mesure : 5 200 € pour six mois (il ne faut pas négliger l’argument financier, en sus de l’humain primordial, quand il s’agit d’intéresser un parlementaire lié par un budget). Globalement, toutes les mesures alternatives à l’enferment (PSE, TIG, obligations pouvant découler d’une contrainte pénale, etc.) ont un coût bien moindre que la prison.

Faire des économies sur la prison (5 milliards prévus pour les 15 000 places supplémentaires annoncées) permettrait de recruter, notamment, des conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation. Ceux-là « traitent » 100 à 120 personnes actuellement, quand, pour être efficients, ils devraient n’en suivre que 40, selon les recommandations du Conseil de l’Europe. Cela ferait 3 000 conseillers supplémentaires. Nicole Belloubet, le 27 novembre 2017, a annoncé que 750 postes seront créés d’ici la fin de la législature.

Pour venir illustrer cette volonté, un homme dénommé Jérôme Mory, qui a purgé huit années de prison, a raconté son expérience. Il a expliqué avoir « réappris à vivre » à la ferme de Moyembrie, dans l’Aisne (02), un centre de réinsertion où il a fait ses démarches administratives, « réacquis » des compétences professionnelles, « expulsé la violence » qui le tenaillait en prison, avoir fondé une famille. Il conclut : « La prison, c’est bien, mais la réinsertion pour redémarrer, c’est mieux. » La député Danielle Obono (FI), présente à la conférence de presse, devrait se présenter sous peu à une audience de comparution immédiate. Six députés ont pour le moment répondu positivement à l’appel du collectif.