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Des avocats contre le « bocal judiciaire » des assises de Grenoble

Le Syndicat des avocats de France (SAF) a introduit une procédure judiciaire pour obtenir le retrait des plaques en verre situées en façade du box des accusés dans la salle des assises du Palais de justice de Grenoble. L’entrave à la libre communication entre l’avocat et son client est notamment invoquée.

par Anne Portmannle 6 novembre 2015

Le syndicat d’avocats demandeur avait souhaité obtenir le dépôt des façades en verre avant le début du procès du drame d’Echirolles, qui s’est ouvert le 2 novembre dernier. C’est, selon le SAF, dans la perspective de ce procès, où comparaissent pas moins de douze accusés que les travaux d’aménagement du box des accusés ont été réalisés, pendant les vacances judiciaires, sans que les avocats n’aient été consultés. Le box des accusés a été agrandi et le long de sa façade avant, une vitre garnie d’ouvertures a été posée. Cette façade en verre s’appuie sur deux vitres latérales préexistantes. Les occupants du box (accusés et escorte) sont ainsi complètement enfermés dans ces parois en verre.

Atteinte aux droits fondamentaux de la défense

Le SAF souligne que les parois en verre ne sont ouvertes vers l’extérieur que par de petites lucarnes. Cette configuration nuit à la communication avec les avocats, les interprètes et les magistrats, mais soustrait aussi certains accusés au regard des jurés. Il s’agit, selon les assignations, d’un « bocal judiciaire totalement indigne ». L’assignation mentionne que pour communiquer avec leurs clients enfermés dans le box, les avocats doivent monter sur une chaise ou leurs clients de s’agenouiller pour accéder aux ouvertures pratiquées dans la paroi de verre. Le syndicat d’avocats souligne que ce box n’est pas conforme aux préconisations du ministère de la justice relative à la sécurité des salles d’audiences. Il cite également un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme, lequel juge que l’enfermement des accusés dans une cage de verre n’est pas conforme aux exigences de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH 17 juill. 2014, n° 32541/08, Svinarenko et Slyadnev c/ Russie, RSC 2014. 623, obs. J.-P. Marguénaud ). Il a également produit des attestations d’avocats ayant défendu des prévenus en correctionnelle lors d’audiences qui se tenaient dans cette salle, alors que les prévenus étaient enfermés dans ce box. Les avocats ont attesté de la difficulté à communiquer avec leurs clients.

Demande de transport sur les lieux

Le SAF a assigné la garde des Sceaux, ainsi que le procureur général de Grenoble devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Grenoble, afin de faire constater la configuration des lieux. Il a demandé au juge de se transporter sur les lieux, conformément aux dispositions de l’article 179 du code de procédure civile.  Le représentant de la garde des Sceaux, présent à l’audience, a d’ailleurs appuyé la demande, sollicitant du juge des référés que la mesure d’instruction soit ordonnée avant l’ouverture de la session d’assises. Toutefois, aux termes d’une ordonnance de référé rendue le 21 octobre dernier, le juge des référés de Grenoble a refusé, jugeant que les vérifications personnelles réalisées par un juge des référés n’avait pas d’intérêt probatoire pertinent dans la perspective d’un futur litige au fond, et qu’elles ne pouvaient pas constituer une « vérification personnelle » au sens de l’article 179 du code de procédure civile. Le magistrat a considéré, dans son ordonnance, que les éléments de preuve versés aux débats par le demandeur (attestations et photographies), suffisaient à attester de la situation.

Lors de procédures similaires, déjà initiées par le SAF en 2003 et en 2004, à l’occasion de l’installation de box en verre dans des salles d’audiences à Paris et à Versailles, le transport sur les lieux des magistrats, ordonné par le juge des référés, avait abouti à la suppression des façades dedits box, sans qu’il ne soit nécessaire d’introduire une action sur le fond. En effet, lorsque les magistrats étaient venus constater la situation dans les salles d’audience, les façades vitrées avaient déjà été retirées.

Constat d’huissier refusé et incompétence du juge administratif

Le SAF a également saisi le juge des référés parisien, sollicitant la désignation d’un huissier sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, afin de procéder à des constatations. Le représentant de la garde des Sceaux a soulevé l’irrecevabilité de la demande, arguant de l’autorité provisoire de la chose jugée de l’ordonnance de référé précitée rendue par le tribunal de de grande instance de Grenoble. Le juge des référés a rejeté la demande du SAF comme irrecevable, par ordonnance du 27 octobre 2015. Pendant ce temps, le SAF a également saisi le tribunal administratif de Paris en référé, lui demandant d’enjoindre au garde des Sceaux de déposer la partie frontale des box en verre, sous astreinte. Le juge administratif s’est déclaré incompétent sur cette demande, « qui se rattache au fonctionnement de la justice judiciaire ».

Alors que le procès du drame d’Echirolles s’est déjà ouvert, et devrait durer environ six semaines, le SAF envisage d’autres actions afin d’essayer d’obtenir le dépôt du box avant la fin de la session d’assises. Le SAF évoque ainsi la possibilité d’engager la responsabilité de l’Etat pour faute lourde et demander des dommages et intérêts.