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Des poubelles à la surveillance de la voie publique, l’enquête préliminaire est compatible avec le respect de la vie privée

La saisie d’un document dans un sac poubelle déposé dans un collecteur collectif ainsi que la surveillance régulière mais non continue de la voie publique ayant donné lieu à la prise de clichés photographiques ne constituent pas une atteinte au respect de la vie privée garanti par la Convention européenne des droits de l’homme.

par David Pamart, Magistratle 23 mai 2022

Même si le régime de l’enquête préliminaire et celui de l’enquête de flagrance tendent à se rapprocher, leurs différences demeurent importantes. Les pouvoirs de contrainte octroyés par la loi aux enquêteurs en préliminaire nécessitent soit l’accord de la personne, soit l’autorisation d’un magistrat du siège. De ce fait, cette dernière demeure toujours un terrain privilégié des demandes en nullité. Cet arrêt en est une parfaite illustration.

À la suite d’un renseignement anonyme concernant un trafic de stupéfiants qui s’opérait depuis un appartement, une enquête préliminaire fut ouverte le 15 juin 2020 durant laquelle fut utilisée la panoplie classique des moyens d’investigations nécessaires dans ce type de dossiers (filatures, interceptions téléphoniques, sonorisations, géolocalisations, etc.). Cette procédure aboutit à l’interpellation puis au défèrement de sept personnes dans le cadre d’une comparution immédiate, dont M. B.

Condamné à une peine de quatre années d’emprisonnement en appel pour trafic de stupéfiants, celui-ci forma un pourvoi en cassation, reprochant à la cour d’appel d’avoir rejeté l’ensemble des exceptions de nullité soulevées. Elles se référaient toutes, à des degrés divers, à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, et contestaient la mise en œuvre des techniques d’enquête employées et le droit au respect de la vie privé.

À titre préliminaire, nous rappellerons que la jurisprudence européenne de cet article 8 exige que l’ingérence d’une autorité publique dans le droit d’une personne au respect de sa vie privée et de sa correspondance nécessite que la loi interne soit claire, prévisible et accessible. Le Conseil constitutionnel adopte une position similaire, estimant qu’il appartient au législateur de concilier l’exercice des libertés constitutionnellement garanties et la recherche des auteurs d’infractions et qu’il appartient à l’autorité judiciaire de surveiller cet équilibre (Cons. const. 2 mars 2004, n° 2004-492 DC, § 4, D. 2004. 2756 , obs. B. de Lamy ; ibid. 956, chron. M. Dobkine ; ibid. 1387, chron. J.-E. Schoettl ; ibid. 2005. 1125, obs. V. Ogier-Bernaud et C. Severino ; RSC 2004. 725, obs. C. Lazerges ; ibid. 2005. 122, étude V. Bück ; RTD civ. 2005. 553, obs. R. Encinas de Munagorri ). Cette exigence, reprise par l’article préliminaire du code de procédure pénale, permet aux juridictions internes d’apprécier la validité d’une mesure non réglementée par la loi mais portant atteinte à la vie privée. En pratique, il s’agit de mettre en balance l’atteinte portée à la vie privée et les autres objectifs conventionnels ou constitutionnels également dignes d’être protégés afin de s’assurer de la proportionnalité entre l’atteinte à la vie privée et le but poursuivi, souvent la répression d’infractions pénales.

Le pourvoi se déclinait en trois branches concernant chacune un moyen d’enquête.

Respect de la vie privée et le contenu d’un sac poubelle

Le 24 juin 2020, lors d’une surveillance, les enquêteurs récupéraient un sac poubelle déposé dans un conteneur collectif par un individu sortant de l’appartement surveillé. Un ticket de recharge d’une ligne téléphonique prépayée qui y était trouvé permettait d’identifier son titulaire comme étant M. G, et de révéler les contacts de celui-ci avec des personnes déjà connues pour trafic de stupéfiants. Cela aboutissait à mise en place d’interceptions téléphoniques et aux autres actes d’enquête évoqués.

Obtenir l’annulation de la saisie de ce ticket de recharge, base de toute l’enquête, permettait d’invalider celle-ci. M. B soutenait, de façon assez novatrice, que la fouille du sac poubelle constituait une ingérence de l’autorité publique dans l’exercice du droit au respect de la vie privée et aurait donc nécessité l’intervention de l’autorité judiciaire.

Prendre possession d’un sac poubelle déposé dans un conteneur relève-t-il d’un acte d’enquête encadré par la législation ? Il ne peut être question de perquisition définie comme la recherche d’indices permettant d’établir l’existence d’une infraction ou d’en déterminer l’auteur à l’intérieur d’un lieu normalement clos comme un domicile (Crim. 29 mars. 1994, n° 93-84.995, D. 1995. 144 , obs. J. Pradel ; Dr. pén. 1994. Chron. 40, note V. Lesclous et C. Marsat ; ibid. Comm. 194, note A. Maron ; D. 1994. Somm. 144, note J. Pradel). Ni e sac poubelle ni le collecteur collectif ne peuvent être regardés comme un lieu clos ou un domicile, ni comme leur extension. La jurisprudence interne et européenne envisage le domicile comme lieu où la personne a le droit de se dire chez elle, un espace physiquement déterminé où se développe la vie privée et familiale (CEDH 16 nov. 2004, Moreno Gomez c. Espagne, n° 4143/02, § 53, AJDA 2004. 2245 ; RDI 2005. 98, obs. F.-G. Trébulle ). Cela n’est...

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