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Des référés-liberté tous azimuts

L’épidémie de coronavirus dope l’activité du Conseil d’État, ou plus exactement celle du juge des référés surtout, qui vient de rendre des ordonnances dans des domaines très divers.

par Jean-Marc Pastorle 9 avril 2020

Au fur et à mesure que s’étire la période de confinement, le juge des référés du Conseil d’État voit s’allonger le nombre de requêtes, par des saisines directes ou en appel d’ordonnance de tribunaux administratifs.

Il a ainsi, et sans surprise, annulé l’ordonnance du tribunal administratif de Guadeloupe (TA Guadeloupe, 27 mars 2020, n° 2000295, Union générale des travailleurs de la Guadeloupe, AJDA 2020. 700 ) enjoignant au centre hospitalier universitaire (CHU) de Guadeloupe et à l’agence régionale de santé (ARS) de commander des doses d’hydroxychloroquine et d’azythromycine, ainsi que des tests de dépistage en nombre suffisant pour couvrir les besoins présents et à venir de la population de l’archipel.

Combinant les conditions d’octroi de mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale, en l’occurrence le droit à la vie (CE, 13 déc. 2017, n° 415207, Lebon ; AJDA 2018. 1046 , note D. Roman ; ibid. 2017. 2447 ) avec l’application du principe de précaution, le juge des référés du Conseil d’État a ainsi estimé qu’il ne pouvait être reproché au CHU et à l’ARS de n’avoir pas commandé davantage de ces traitements, car ils ne peuvent être administrés qu’à un nombre limité de patients.

Concernant les tests de dépistage, le juge a rappelé que les autorités nationales ont fait le choix d’établir des priorités pour la réalisation de tests PCR de diagnostic virologique, en suivant les critères proposés par le Haut Conseil de la santé publique (ord., 4 avr. 2020, n° 439904). Dans la même logique, ont été rejetés deux recours du Syndicat des médecins Aix et Région qui demandaient la suspension des dispositions du décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 qui réservent l’usage de l’hydroxychloroquine aux cas les plus avancés ou les plus graves de covid-19 (ord., 7 avr. 2020, n° 439937 et n° 439938).

Sans-abri et marchés alimentaires

Le 2 avril, le juge des référés rejetait également un recours, porté notamment par la Fédération nationale droit au logement, qui lui demandait d’ordonner au gouvernement de fournir un toit à toutes les personnes sans abri ou en habitat de fortune en réquisitionnant des logements si besoin.

Le juge des référés a relevé la mise en place de différentes mesures, tel le report jusqu’au 31 mai de la trêve hivernale et de la fermeture des places d’hébergement ouvertes pendant l’hiver, le recours à des nuitées d’hôtel.

Il a considéré que, « outre que les capacités d’hébergement ainsi mobilisées n’ont jamais été aussi importantes, l’administration fait valoir qu’elle poursuit ses efforts pour les accroître encore à brève échéance, notamment par les négociations en cours avec les professionnels des secteurs de l’hôtellerie et des centres de vacances afin d’identifier le plus rapidement possible les disponibilités supplémentaires, sans exclure de recourir à des réquisitions si cela s’avérait nécessaire » (ord., 2 avr. 2020, n° 439763).

La veille, il a également rejeté la requête de la Fédération nationale des marchés de France lui demandant d’enjoindre au gouvernement de réautoriser la tenue des marchés alimentaires, couverts et de plein air. Cette interdiction, a rappelé le juge des référés, « repose sur le constat que l’insuffisance des mesures d’organisation rendait, dans une large mesure, difficile, voire impossible le respect des règles de sécurité sanitaire, en particulier les règles de distance minimale entre les personnes, qu’impose la situation actuelle ».

Par ailleurs, la possibilité pour le préfet de département « d’autoriser, après un avis du maire de la commune concernée qui ne le lie pas, l’ouverture d’un marché alimentaire, par dérogation à l’interdiction générale qu’elles édictent, n’affectent ni la compétence du conseil municipal pour créer ou supprimer les halles et marchés communaux ni celle du maire pour autoriser ou refuser l’occupation du domaine public communal » (ord., 1er avr. 2020, n° 439762).

Nationalisation d’usines pharmaceutiques

Le juge des référés a, par ailleurs, estimé qu’il n’entrait pas dans ses compétences d’enjoindre à l’État de nationaliser deux entreprises en difficulté, la société Famar, en raison de ce qu’elle serait la seule usine fabriquant en France de la chloroquine, et la société Luxfer, qui serait la seule entreprise en France à produire les bouteilles contenant l’oxygène nécessaire pour alimenter les appareils de réanimation (ord., 6 avr. 2020, n° 439950). Dans une autre requête également rejetée, le même requérant demandait au Conseil d’État d’enjoindre au gouvernement de prendre toutes mesures de nature à augmenter la production nationale de masques en vue de leur distribution massive et, en second lieu, d’adopter sans délai toutes les mesures susceptibles d’accroître la production de tests de dépistage du covid-19 (ord., 7 avr. 2020, n° 439806).

Pas de QPC sur l’état d’urgence sanitaire
Le juge des référés a refusé de renvoyer au Conseil constitutionnel les dispositions issues de la loi du 23 mars 2020 d’urgence qui définissent dans le code de la santé publique les interdictions – ainsi que les peines encourues par les contrevenants – qui peuvent être édictées par le Premier ministre aux fins de garantir la santé publique, dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire de garantir la santé publique. Les dispositions en cause ne méconnaissent ni le principe de légalité des délits et des peines et ne prévoient pas de sanctions manifestement disproportionnées au regard de la gravité et de la nature des infractions réprimées dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire (ord., 4 avr. 2020, n° 439888).