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Des sénateurs contre le pantouflage

La commission d’enquête du Sénat sur les mutations de la haute fonction publique propose des mesures fortes contre le pantouflage. Mais pour son rapporteur, il faut surtout une prise de conscience politique.

par Marie-Christine de Monteclerle 19 octobre 2018

Après six mois d’auditions, la commission d’enquête du Sénat sur les mutations de la haute fonction publique et leurs conséquences sur le fonctionnement des institutions de la République a rendu son rapport (n° 16). Ou plutôt ses rapports. À côté d’un rapport commun, la commission d’enquête a en effet autorisé le rapporteur, Pierre-Yves Collombat, membre du groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste, à publier sa position personnelle qui n’engage pas la commission.

Si celui-ci défend une vision très politique – et pessimiste – du sujet (v. encadré ci-dessous), les préconisations du rapport commun ne sont pas anodines. Celles-ci sont organisées autour de cinq axes : mieux connaître le phénomène ; plus de transparence et de cohérence dans la haute fonction publique ; mieux contrôler les départs vers le secteur privé ; mieux adapter la scolarité et le classement de sortie de l’ENA aux besoins de l’administration et réformer les « grands corps » et le tour extérieur.

Près de la moitié des trente-trois propositions concernent le contrôle des départs. Les sénateurs souhaitent en particulier abaisser la durée maximale de la disponibilité permettant d’occuper un poste dans le privé à deux fois trois ans. Pas moins de neuf propositions concernent la commission de déontologie, dont le rapport veut revoir la composition mais aussi renforcer les pouvoirs, jusqu’à l’émission d’un avis conforme lors du retour du fonctionnaire. Le respect de ses réserves devrait également être mieux garanti.

Parmi les autres préconisations, on notera la fin du « monopole de fait du Conseil d’État sur le poste de secrétaire général du Conseil constitutionnel ou encore un renforcement du contrôle des nominations au tour extérieur pour « réduire les nominations politiques de convenance ».

« Le système est parfaitement irréformable »

La rédaction : Qu’est-ce qui distingue votre position personnelle de celle de l’ensemble de la commission d’enquête ?

Pierre-Yves Collombat : C’est très simple. Il y a des préconisations minimales sur lesquelles tout le monde est d’accord. Par contre, je tenais à exprimer des choses qui ne figureraient pas dans ces préconisations et surtout les explications qui vont avec. À dire pourquoi on en était arrivés là.

La rédaction : Votre vision des mutations de la haute fonction publique a-t-elle évolué au cours de vos travaux ?

Pierre-Yves Collombat : Le point de départ était le développement du pantouflage, son accélération et son changement de forme, avec cette haute administration qui va du public au privé, revient, repart… C’est une confusion des genres tout à fait nuisible au fonctionnement démocratique des institutions. À l’arrivée, je suis convaincu que ces migrations d’une partie de la haute administration ne sont pas seulement à l’origine des problèmes des institutions mais sont aussi les conséquences d’évolutions plus structurelles, comme la concentration du pouvoir politique à l’Élysée. Ou le fait que l’État, ayant perdu une grande partie de ses pouvoirs, a choisi de faire appel aux intérêts privés. Le pantouflage n’est finalement que la forme la plus visible de ce système collusif.

La rédaction : Le pantouflage n’est pas une nouveauté absolue…

Pierre-Yves Collombat : Le pantouflage est la spécialité d’une fraction assez faible de la haute administration. Car je différencie la très haute administration de la haute administration. Et il n’a plus du tout la même forme. Le pantouflage traditionnel était une retraite dorée. Aujourd’hui, c’est une façon de mener carrière. Cela ne se fait pas seulement au détriment de l’État, comme on le dit souvent. C’est une façon pour l’État de continuer à mener une action mais dans la confusion des genres. Il faut distinguer : l’instituteur qui veut ouvrir une pizzeria, ce n’est évidemment pas la même chose que le directeur du Trésor qui termine dans un fonds de pension, à la banque Rothschild ou dans un cabinet d’avocats pour expliquer à ses clients comment contourner la réglementation. Il y a là une forme de pouvoir qui n’a rien à voir avec la notion républicaine du pouvoir et qui se caractérise par une adhésion à la doctrine néo-libérale. Si on en est là, c’est parce que le système politique a profondément changé. Ce rapport sort du schéma classique de la dénonciation de la haute administration qui accapare le pouvoir. C’est plus compliqué que cela.

La rédaction : Vous évoquez trois grands corps : la Cour des comptes, le Conseil d’État et l’inspection générale des finances. Pensez-vous qu’il faille mettre en place un traitement particulier pour ceux-ci ?

Pierre-Yves Collombat : Tout à fait. J’ai essayé de voir comment était sélectionnée l’oligarchie et l’appartenance aux grands corps est un élément déterminant. Avec cette particularité qu’une bonne partie de ceux qui appartiennent à ces grands corps fonctionnent ailleurs que ce pour quoi ils ont été recrutés. Et sont remplacés par des gens qui n’ont pas leurs qualifications.

La rédaction : Quelles solutions préconisez-vous ?

Pierre-Yves Collombat : Il n’y a pas de solution du type une petite réforme et cela va changer. Ce qu’il faut changer c’est la concentration du pouvoir à l’Élysée ; l’adhésion à l’idéologie et à la technique libérales, c’est-à-dire à l’idée qu’il faut que l’État soit le plus petit possible ; l’adhésion à l’Europe qui fait qu’on a perdu la plupart de nos pouvoirs régaliens et qu’on est complètement assujettis au marché. D’autant plus que le système est parfaitement irréformable parce que ceux qui en tirent parti trouvent cela très bien. De toute façon, le pouvoir des urnes étant réduit à pas grand-chose, on change de majorité mais c’est toujours la même politique qui est menée. Donc vous avez une explosion du populisme partout ! Le système ne se réformera pas tout seul car il profite à ceux qui le dirigent. Il ne se réformera que sous la contrainte.

La rédaction : Néanmoins, vous proposez un certain nombre de réformes.

Pierre-Yves Collombat : On peut toujours essayer de proposer des voies d’évolution. Ces préconisations pourraient enclencher quelque chose. Mais il faudrait déjà qu’il y ait une prise de conscience au niveau politique. Mon objectif était surtout d’attirer l’attention sur le caractère très dangereux de la situation. Il y a des propositions intéressantes, notamment sur la réforme de l’ENA. Mais, globalement, je ne suis pas très optimiste.