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La désignation du syndic non mis en concurrence n’est pas nulle (régime ALUR)

En l’absence de disposition en ce sens, le non-respect par le conseil syndical de son obligation de mise en concurrence n’est pas sanctionné par la nullité de la désignation du syndic par l’assemblée générale.

par Pierre-Édouard Lagrauletle 10 juin 2021

La loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 dite « ALUR » a introduit à l’article 21 de la loi du 10 juillet 1965 une procédure, critiquée, de mise en concurrence obligatoire des contrats de syndics. Dès alors et jusqu’à l’ordonnance du 30 octobre 2019 qui a précisé que le défaut d’exécution de cette obligation n’était pas une cause d’irrégularité de la décision adoptée (v. P.-É. Lagraulet, L’administration de la copropriété réformée, AJDI 2019. 852 ; D. Rodrigues, Syndic : la mise en concurrence, un trompe-l’œil, IRC 12/2020. 9), se posait la question des conséquences du défaut de son exécution.

Saisies de ce problème, plusieurs cours d’appel ont rendu des solutions contradictoires. Il y a peu, celle de Chambéry, par exemple, prononçait la nullité de la décision d’une assemblée générale de copropriétaires ayant adopté le contrat d’un syndic non mis en concurrence sous l’empire de l’article 18 de la loi de 1965 dans sa forme ALUR (Chambéry, ch. civ. sect. 01, 9 mars 2021, n° 20/00687, Lexbase éd. privé n° 863 du 29 avr. 2021, N7343BYM, obs. P.-É. Lagraulet). Celle de Colmar rendait quelques jours plus tard une solution strictement inverse, au motif que le texte n’était pas assorti de sanction (Colmar, 1er avr. 2021, n° 19/02686).

À ce titre l’arrêt rendu le 3 juin 2021 par la troisième chambre civile de la Cour de cassation est intéressant en ce qu’il mettra fin à une incertitude et à une divergence naissante. Il permettra donc d’unifier le droit, conformément à la fonction de la Haute juridiction. C’est ce qui justifie sans doute la publication de l’arrêt rendu bien que la solution soit discutable.

En l’espèce, un syndicat de copropriétaires avait adopté le contrat d’un syndic sans qu’il ne soit procédé à sa mise en concurrence. Un copropriétaire avait alors assigné le syndicat en nullité de cette décision, sur le fondement de l’article 21 de la loi du 10 juillet 1965 (dans sa version antérieure à l’ordonnance du 30 oct. 2019). Débouté par la cour d’appel qui avait estimé qu’à défaut pour le conseil syndical de procéder à la mise en concurrence, il n’appartenait pas au syndic de provoquer ou d’organiser cette concurrence, le copropriétaire forma un pourvoi devant la Cour de cassation qui confirma la solution retenue par le second juge, au motif « qu’en l’absence de disposition en ce sens, le non-respect par le conseil syndical de son obligation de mise en concurrence n’est pas sanctionné par la nullité de la désignation du syndic par l’assemblée générale ». La Cour de cassation a ainsi fait explicitement sien l’adage « pas de nullité sans texte », sans écarter par ailleurs le risque d’autres sanctions pouvant consister en la condamnation pour faute des membres du conseil syndical (v. en ce sens, N. Figuiere, Mise en concurrence des syndics : le rôle du conseil syndical, IRC 4/ 2017. 13) ou du syndic (retenant la responsabilité de ce représentant pour ne pas avoir prévenu les copropriétaires de la non mise en concurrence de son contrat par le conseil syndical, v. Paris, ch. 4-2, 16 mai 2018, n° 16/17765, Administrer, 8/9 2018. 46, obs. J.-R. Bouyeure). La solution paraît opportune, bien que critiquable en raison de la motivation adoptée.

Une solution opportune 

La solution est opportune, car une solution contraire conduirait à priver de son contrat la partie non responsable du défaut d’exécution de son obligation par le conseil syndical. La sanction est en ce sens disproportionnée pour le syndic désigné, ce d’autant qu’il peut ne pas être celui en exercice. On notera également, pour souligner le caractère opportun de la décision rendue par la Cour, que cette obligation de mise en concurrence a été instituée, de manière incohérente, à la charge d’un organe dépourvu de personnalité juridique, ne représentant pas le syndicat des copropriétaires et, surtout, se trouvant le plus souvent désorganisé, c’est-à-dire sans règles de fonctionnement précisément définies ou même établies. Elle est enfin opportune, car la solution contraire pouvait conduire à la vacance des fonctions du syndic, au détriment du syndicat des copropriétaires et donc de la collectivité des individus qui le composent. La règle aurait alors produit des effets nuisibles contre ceux qu’elle devait protéger. C’est ainsi que le recours à l’adage « pas de nullité sans texte » a pu être opportunément effectué en ce qu’il permet d’altérer l’impérativité d’un texte pour moduler la rigueur de la sanction qui résulte de sa violation, donc écarter la virtualité de la nullité de la décision, au regard des conséquences disproportionnées qu’elle emporte (v. sur cet usage de l’adage, A. Dadoun, Le spectre de l’adage « pas de nullité sans texte » en droit des contrats, RDC 2018, n° 1, p. 139). En ce sens, la Cour de cassation a déjà appliqué cet adage : ce fut le cas par exemple pour l’obligation faite au syndic (par l’art. 26 du décr. 17 mars 1967) d’établir l’ordre du jour en concertation avec le conseil syndical (Civ. 3e, 1er déc. 2016, n° 15-26.559, AJDI 2017. 125 ). C’est pourquoi, outre son caractère opportun, la solution paraît également être circonstanciée. Elle nous paraît l’être, d’une part, au regard de la jurisprudence antérieure (Civ. 3e, 15 avr. 2015, n° 14-13.255, D. 2015. 923 ; AJDI 2015. 779 , obs. D. Tomasin ) qui avait exclu le contrat de syndic du mécanisme de mise en concurrence obligatoire des marchés de travaux, et, d’autre part, au regard de la réforme opérée par l’ordonnance du 30 octobre 2019 qui a précisé que le défaut de mise en concurrence du contrat de syndic obligatoire depuis 2014 n’est pas prescrit à peine d’irrégularité de la décision.

Une motivation erronée 

Sur le fond, il nous semble précisément que cette réforme aurait dû alerter la Haute juridiction, car il était bien inutile de modifier le texte si la solution, sans elle, devait être identique… Le rapport au président de la République relatif à l’ordonnance n° 2019-1101 du 30 oct. 2019 (JO 31 oct.) était explicite sur ce sujet : la réforme fut opérée afin de « préserver la sécurité juridique des copropriétaires, qui n’auront pas à supporter le risque d’invalidations rétroactives d’actes pris par un syndic dont la désignation aurait été par la suite annulée ».

C’est pourquoi la solution paraît critiquable au regard de son fondement.

En effet, si la violation d’une disposition impérative n’est pas nécessairement sanctionnée par la nullité de l’acte adopté, notamment en application de l’adage précité, il en va différemment en principe des dispositions d’ordre public. Or, les dispositions de l’article 21 de la loi de 1965 visent justement à protéger l’intérêt collectif des membres du syndicat et du groupement lui-même et nous paraissent être à ce titre d’ordre public et non simplement impératives. C’est pourquoi, nous semble-t-il, la Cour de cassation a pu de nombreuses fois confirmer la nullité prononcée par les juges du fond contre des décisions d’adoption de marchés et contrats sans mise en concurrence préalable obligatoire, imposée par le même article 21, et ce même lorsque la nature des contrats ou les montants en jeu étaient anodins.

De plus, sur la forme, en employant une formule générale (« En l’absence de disposition en ce sens »), pour en tirer une conséquence particulière (l’absence de nullité de la désignation du syndic), la Cour de cassation (ré)ouvre inutilement, à notre sens, la discussion de l’automaticité de la sanction de la violation des dispositions impératives de la loi du 10 juillet 1965 et, peut-être, du débat sur l’absence de nullité sans grief. En effet, à comparer la motivation retenue par la Haute juridiction et celles des décisions précédemment adoptées en ce sens, on peut constater que ces dernières étaient bien plus circonscrites à l’obligation concernée. La Cour considérait en effet, simplement, que l’obligation était « dépourvue de sanction » (Civ. 3e, 23 sept. 2009, n° 08-17.720, D. 2009. 2346, obs. Y. Rouquet ; 1er déc. 2016, n° 15-26.559, préc.). Il n’y avait là aucune considération d’ordre général contrairement à la formule retenue par le présent arrêt, ce qui laisse douter de sa portée. Ce sont les raisons pour lesquelles il nous semble que tant la solution retenue que sa motivation sont critiquables. Comme nous l’avons déjà souligné, cet arrêt ne paraît pas consister en un revirement de jurisprudence conduisant à écarter systématiquement la nullité comme conséquence de la violation des dispositions impératives de la loi de 1965 ne prévoyant pas cette sanction. À défaut, les conséquences seraient particulièrement importantes, puisqu’il faudrait alors considérer que, par exemple, la convocation hors délai de l’assemblée générale ne serait plus une cause de nullité systématique « en l’absence de disposition en ce sens » figurant à l’article 9 du décret du 17 mars 1967… La violation des règles de majorité prévues aux articles 24, 25 et 26 ne le serait pas davantage « en l’absence de disposition en ce sens ». Mieux, ou pire c’est selon, la décision d’adopter une convention dérogeant au statut de la copropriété des immeubles bâtis à la majorité simple ne devrait pas être une cause de nullité dans la mesure où l’article 1er ne précise pas, non plus, de sanction en cas de violation de son II… C’est pourquoi la formule employée par la Cour de cassation nous paraît tout à fait inadéquate.

Conclusion 

Pour conclure, nous dirons en somme et à nouveau la solution est opportune, mais la forme est maladroite. Il faut y voir l’une des limites à la nouvelle forme de rédaction des arrêts de la Cour de cassation, du moins lorsque la motivation de la décision ne sert qu’à justifier, a posteriori, une solution souhaitée. Le caractère plus elliptique des motivations d’autrefois se prêtait sans doute mieux à l’exercice… Quant au fond, il nous semble que la Haute juridiction ne doit pas être blâmée d’avoir adopté un tel pis-aller. Elle n’y fut que contrainte afin de pallier les conséquences fâcheuses et peu souhaitables d’un texte mal rédigé. La cause de cette solution est donc bien davantage la qualité des réformes successives de l’article 21 de la loi du 10 juillet 1965 qui n’ont eu d’égale que leur utilité…