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Destruction de produits stupéfiants saisis par un OPJ seul : une nullité d’ordre public

La destruction de substances stupéfiantes cause nécessairement grief lorsque la pesée des scellés, constitués au cours de l’enquête de flagrance ou de l’enquête préliminaire, a été réalisée en l’absence de la personne qui les détenait ou de deux témoins.

par Warren Azoulayle 16 novembre 2017

Le problème de la conservation des scellés et de leur gestion au sein des juridictions ne présente aucune originalité. Le ministère de la Justice a déjà pu relever que, de longue date, l’inspection générale des services judiciaires (IGSJ) pointait les problèmes du dépôt, de la conservation, de la restitution et de la remise de ces derniers (Circ. 13 déc. 2011). L’afflux croissant des dépôts, l’encombrement des locaux et les dysfonctionnements du traitement des scellés constituent alors des risques en termes de sûreté, d’hygiène et de sécurité, une « absence de gouvernance et de rigueur » que l’IGSJ signalait encore récemment (v. Rapp. IGSJ 2016, p. 32). Ainsi, dans une volonté de limiter la conservation de biens meubles placés sous main de justice qui ne seraient plus nécessaires à la manifestation de la vérité, leur destruction avant confiscation a été envisagée par le législateur lors de la phase d’instruction et se trouve désormais codifiée à l’article 99-2 du code de procédure pénale. Pour autant, un équilibre doit être atteint et respecté, entre une logique de gestion des coûts, et la préservation des droits de la défense.

En l’espèce, des policiers intervenant en flagrance découvraient, lors de la perquisition d’un domicile, des produits stupéfiants. Un officier de police judiciaire (OPJ) les plaçait sous scellés, procédait à leur échantillonnage et à leur pesée, le tout en l’absence constante du mis en cause, d’un représentant ou de deux témoins. Mis en examen des chefs d’infractions à la législation sur les stupéfiants et de participation à une association de malfaiteurs, il soulevait un trio de nullités. D’une part, sa garde à vue était irrégulière au motif que plus de trois heures s’étaient écoulées entre sa demande d’avis à famille et la réponse qui lui avait été donnée par l’OPJ (« qu’il y était sursis »). D’autre part, le placement sous scellés définitifs des produits avait été réalisé en son absence, de même que leur pesée et leur échantillonnage. Enfin, leur destruction prescrite sur ordonnance du juge d’instruction lui faisait grief.

La cour d’appel soulignait que la requête de l’OPJ au parquet en vue de faire droit à sa demande de différer l’avis à famille, et la réponse qui y avait été apportée, étaient intervenues moins de trois heures après le placement en garde à vue. La chambre criminelle, nonobstant le fait que les juges se soient référés à la rédaction nouvelle de l’article 63-2 du code de procédure pénale issue de la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016, se disait en mesure de s’assurer du respect du délai de trois heures prévu par l’article 63-2, alinéa 3, dans sa rédaction à l’époque des faits, et ce quand bien même l’alinéa 2, prévoyait à l’époque des faits que l’OPJ était tenu d’en informer le parquet « sans délai ».

De même, si les juges du fond relevaient que l’appelant était absent lors du placement sous scellés des produits découverts à son domicile, il ne faisait en revanche état d’aucune contestation quant à leur origine, et ne pouvait donc alléguer de préjudice en résultant. Ce raisonnement était validé par les juges de la Cour de cassation qui rappellent en l’espèce leur jurisprudence constante. En effet, l’inobservation des formalités procédurales en matière de perquisition et de saisie « ne saurait entraîner de nullité de procédure lorsqu’aucune atteinte n’a été portée aux intérêts de la partie concernée » (Crim. 17 sept. 1996, no 96-82.105, D. 1997. 144 , obs. J. Pradel ; RSC 1997. 149, obs. J.-P. Dintilhac ; 5 mars 2013, no 12-83.220 ; 18 nov. 2015, no 15-83.400, Dalloz actualité, 7 déc. 2015, obs. S. Fucini ; AJ pénal 2016. 215, obs. C. Renaud-Duparc ).

Enfin, pour écarter la nullité de la pesée des stupéfiants réalisée hors la présence de l’appelant alors que ceux-ci allaient être détruits par la suite, la chambre de l’instruction énonçait que si les formalités posées par l’article 706-30-1 du code de procédure pénale prévoient que la pesée et l’échantillonnage des produits stupéfiants doivent être réalisés avant leur destruction en la présence de la personne qui les détenait ou de deux témoins, c’est « à la condition que la pesée soit faite en vue de la destruction desdits scellés », ce qui n’était pas le cas lors de la perquisition.

Dans le droit fil d’une jurisprudence peu fournie, l’argumentation de la Cour de cassation sur ce point s’inscrit en parfaite contradiction avec celle de la cour d’appel qui posait à tort une condition que le législateur lui-même n’avait pas envisagée. La destruction des scellés empêchant le demandeur de solliciter une nouvelle pesée contradictoire lui causait donc grief. Précisément, la ratio legis de la destruction de saisies mobilières est bien différente. Elle est à l’opposé de l’interprétation des juges du fonds qui, sur une question semblable, a déjà pu être utilement qualifiée de « [contournement] de l’esprit de la loi » (AJ pénal 2007. 143, obs. G. Roussel ). En effet, aucune disposition légale n’existant auparavant pour permettre au magistrat instructeur de détruire des saisies, la destruction avant jugement de neuf tonnes de résines de cannabis avait été sanctionnée par la juridiction suprême, quand bien même ces produits seraient nuisibles à la santé et susciteraient des difficultés de conservation (Crim. 13 juin 1996, no 96-80.189). Ne manquant pas de rappeler ce précédent dans l’examen du projet de loi renforçant l’efficacité de la procédure pénale (L. no 99-515, 23 juin 1999), les sénateurs aspiraient à encadrer la destruction de stupéfiants saisis tout en préservant les droits de la défense qui pouvaient être atteints si cette destruction n’était pas accompagnée de précaution (v. Rapp. Sénat, no 486, obs. P. Fauchon), une garantie que l’article 706-30-1 du code de la procédure pénale permettait d’atteindre en prévoyant, notamment, la présence de la personne qui les détenait, ou à défaut deux témoins. Les députés insistaient également sur cette lecture combinée des articles 17 et 18 du projet de loi (v. Rapp. AN., no 1328, obs. L. Mermaz), et le législateur a alors entendu assurer l’authenticité de la saisie malgré sa destruction (Crim. 31 déc. 1999) afin non seulement de garantir les droits de la défense, mais également d’éviter toute contestation lors de la phase de jugement.

L’occurrence qui est la nôtre permet alors à la juridiction suprême de rappeler que le formalisme de l’article 706-30-1 du code de procédure pénale constitue une norme d’ordre public, et que sa méconnaissance entraîne, sans démonstration de grief, l’annulation des actes qui sont affectés par celle-ci (V., not., Rép. pén., vo Preuve, par J. Buisson ; Crim. 24 janv. 2007, n° 06-88.351, D. 2007. 729 ; AJ pénal 2007. 143, obs. G. Roussel ; RSC 2008. 645, obs. J. Buisson ). Si une rationalisation des coûts de la gestion des scellés est nécessaire, et que l’on comprend donc la possibilité offerte au juge d’instruction, ainsi qu’au procureur de la République plus récemment (L. no 2015-177, 16 févr. 2015), elle ne saurait pour autant se faire par une économie des droits de la personne poursuivie.