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Détention provisoire : nécessité d’une audience sur le fond pour interrompre le délai de l’article 181 du code de procédure pénale

Le délai d’un an prévu par l’article 181 du code de procédure pénale ne peut être interrompu que si l’audience sur le fond a débuté, ce qui suppose la formation préalable du jury de jugement.

par Dorothée Goetzle 16 avril 2018

L’article 181 du code de procédure pénale prévoit que si le juge d’instruction estime que les faits retenus à la charge d’une personne mise en examen constituent un crime, il ordonne sa mise en accusation devant la cour d’assises. Si l’accusé est placé en détention provisoire au moment de l’ordonnance de mise en accusation, le mandat de dépôt décerné contre lui conserve sa force exécutoire et l’intéressé reste détenu jusqu’à son jugement. Sa comparution devant la cour d’assises doit alors intervenir dans un délai d’un an à compter de la date à laquelle la décision de mise en accusation est devenue définitive. À défaut, l’intéressé doit être remis en liberté. Quid en cas de grève du barreau nécessitant le renvoi de l’affaire postérieurement au délai d’un an en raison de l’impossibilité de constituer le jury de jugement ?

En l’espèce, par ordonnance du 8 novembre 2016, un individu a été mis en accusation du chef de violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner. L’affaire a été appelée le 3 octobre suivant devant la cour d’assises. En raison d’un mouvement collectif du barreau qui interdisait l’accès au palais de justice, l’affaire fut renvoyée. La grève empêchait en effet la constitution du jury de jugement. Après le rejet de sa demande de mise en liberté par la chambre de l’instruction, l’accusé forma un pourvoi en cassation. Il ne partageait pas la lecture opérée par les juges du fond de l’article 181 du code de procédure pénale. Selon ce texte, « l’accusé détenu en raison des faits pour lesquels il est renvoyé devant la cour d’assises est immédiatement remis en liberté s’il n’a pas comparu devant celle-ci à l’expiration d’un délai d’un an à compter soit de la date à laquelle la décision de mise en accusation est devenue définitive s’il était alors détenu, soit de la date à laquelle il a été ultérieurement placé en détention provisoire ». La chambre de l’instruction qualifiait le délai d’un an visé par ce texte, qui courait en l’espèce à compter du 19 novembre 2016, de délai de comparution et non de jugement. En conséquence, elle considérait qu’il suffisait, pour respecter ce délai, que l’accusé ait comparu devant la cour seule, avant même tirage du sort du jury. En d’autres termes, le renvoi de l’affaire en raison de la grève des avocats qui avait mis la cour dans l’impossibilité de constituer le jury de jugement était, pour les juges du fond, indifférent. De son côté, l’accusé accordait un tout autre sens au délai prévu par l’article 181 du code de procédure pénale. Il fondait son analyse sur le principe selon lequel est irrégulier le maintien en détention d’une personne mise en accusation lorsque, à l’expiration du délai d’un an à compter de la date à laquelle la décision de mise en accusation est devenue définitive, celle-ci n’a pas comparu devant la cour d’assises à une audience sur le fond. À ses yeux, et contrairement à la position de la chambre de l’instruction, il ne peut y avoir audience sur le fond sans constitution du jury. Or, en l’espèce, en raison du mouvement de grève des avocats, il avait comparu devant la cour d’assises seule qui avait prononcé le renvoi. En conséquence, cette situation n’avait pas pu, selon son interprétation, interrompre le délai prévu par l’article 181 du code de procédure pénale.

Il revenait donc à la chambre criminelle d’arbitrer entre ces deux lectures de l’article 181 du code de procédure pénale. Par cet arrêt de cassation sans renvoi, les hauts magistrats se rallient à l’analyse du requérant. Ils considèrent en effet que le délai en question ne peut être interrompu que si l’audience sur le fond a débuté, ce qui suppose la formation préalable du jury de jugement. En cas d’impossibilité de former le jury, comme c’était le cas en l’espèce en raison du mouvement collectif, la chambre de l’instruction devait mentionner les raisons de fait ou de droit faisant obstacle au jugement de l’affaire et ordonner la prolongation de la détention provisoire pour une nouvelle durée de six mois. En conséquence, les hauts magistrats adressaient deux reproches aux juges du fond. Premièrement, le 3 octobre 2017, l’accusé n’avait pas comparu devant la cour d’assises. Deuxièmement, il n’avait pas été statué, entre le 3 octobre 2017 et le 19 novembre 2017 – jour de l’expiration du délai d’un an – sur la prolongation de sa détention provisoire. Cette interprétation de l’article 181 du code de procédure pénale n’est pas surprenante. En effet, la chambre criminelle a déjà souligné, comme elle y procède dans l’arrêt rapporté, que les dispositions de l’article 181, alinéa 9, autorisent la chambre de l’instruction à prolonger, à titre exceptionnel, la détention de l’accusé détenu au delà du délai d’un an à compter de la date à laquelle la décision de mise en accusation est devenue définitive, par une décision rendue conformément à l’article 144 et mentionnant les raisons de fait ou de droit faisant obstacle au jugement de l’affaire. (Crim. 2 sept. 2009, n° 09-83.950, Bull. crim. n° 148 ; Dalloz actualité, 29 sept. 2009, obs. M. Léna ; ibid. 2010. 2254, obs. J. Pradel ; AJ pénal 2009. 501, obs. J. Lasserre-Capdeville ; Dr. pénal 2009, n° 145, obs. A. Maron et M. Haas ; ibid. 2010. Chron. 1, obs. Guérin). La cassation est en l’espèce prononcée sans renvoi. En effet, en raison de l’absence de comparution du requérant devant la cour d’assises dans le délai d’un an et de l’absence de prolongation de sa détention provisoire dans ce délai, celui-ci était détenu sans titre depuis le 19 novembre 2017. La chambre criminelle ordonne donc sa mise en liberté. Ce faisant, l’arrêt rapporté rappelle que le délai d’un an prescrit par l’article 181 à l’issue duquel la personne détenue provisoirement doit comparaître devant la cour d’assises ou faire l’objet d’une décision de prolongation de sa détention commence à courir à compter de la date à laquelle l’ordonnance de mise en accusation est devenue définitive. Le prononcé de la mise en liberté est logique. Il se situe dans la même veine qu’une jurisprudence plus ancienne qui avait déjà admis que justifie sa décision la chambre de l’instruction qui ordonne la libération d’office de l’accusé dès lors qu’elle relève qu’elle n’a pas été saisie aux fins de prolongation de la détention provisoire avant l’expiration du délai d’un an (Crim. 22 nov. 2005, n° 05-86.295, Bull. crim. n° 303 ; D. 2006. 251, obs. C. Girault ; AJ pénal 2006. 86, obs. C. Saas ; RSC 2006. 348, obs. D. N. Commaret ).