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Détention provisoire : la saisine directe du JLD par le parquet est aussi applicable aux mineurs

Bien que l’alinéa 2 de l’article 137-4 du code de procédure pénale ne cible pas expressément la procédure concernant les mineurs, ce texte ne prévoit aucune restriction à l’étendue de son application. Cette disposition est donc également applicable aux mineurs. 

par Dorothée Goetzle 2 juillet 2018

En l’espèce, le pourvoi est formé par le procureur général contre l’arrêt de la chambre de l’instruction qui, dans une information suivie contre un mineur du chef de vol avec violence ayant entraîné la mort, a annulé l’ordonnance du juge des libertés et de la détention (JLD) disant n’y avoir lieu à placement en détention provisoire et a déclaré l’appel interjeté par le requérant irrecevable. La chambre criminelle est donc chargée de déterminer si, en l’absence de prévision expresse, la possibilité offerte au parquet par l’article 137-4 du code de procédure pénale de saisir directement le juge des libertés et de la détention est applicable dans le cas d’un mis en examen mineur.

Pour annuler l’ordonnance du juge des libertés et de la détention et pour déclarer irrecevable l’appel du procureur général, la chambre de l’instruction avait opéré une curieuse lecture combinée de l’article 11 de l’ordonnance du 2 février 1945 et de l’alinéa 2 de l’article 137-4 du code de procédure pénale. Le point de départ de ce raisonnement revenait à constater que l’article 11 de l’ordonnance du 2 février 1945 opère un renvoi à l’article 137-4 du code de procédure pénale dans sa version du 9 septembre 2002. Or, à cette date, la saisine directe du juge des libertés et de la détention par le ministère public n’existait pas (Cons. const. 2 mars 2004, n° 2004-492 DC, D. 2004. 2756 , obs. B. de Lamy ; ibid. 956, chron. M. Dobkine ; ibid. 1387, chron. J.-E. Schoettl ; ibid. 2005. 1125, obs. V. Ogier-Bernaud et C. Severino ; RSC 2004. 725, obs. C. Lazerges ; ibid. 2005. 122, étude V. Bück ; RTD civ. 2005. 553, obs. R. Encinas de Munagorri ). Les juges du fond concluaient que, puisque l’article 11 n’avait pas été modifié par une loi postérieure, le deuxième alinéa de l’article 137-4 du code de procédure pénale n’était pas applicable aux mineurs. La Cour de cassation n’adhère pas à ce raisonnement. Au double visa des articles 11, alinéa 1er, de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 et 137-4, alinéa 2, du code de procédure pénale, elle casse l’arrêt de la chambre de l’instruction. La haute juridiction précise que « d’une part, l’article 11 de l’ordonnance du 2 février 1945, qui renvoie à l’article 137-4 du code de procédure pénale, n’a pas été modifié après la loi du 9 mars 2004 […], d’autre part, si cette loi, dont est issu l’alinéa 2 de l’article 137-4, n’a pas expressément ciblé la procédure concernant les mineurs, elle n’a prévu aucune restriction à l’étendue de son application ».

En d’autres termes, la chambre de l’instruction et la Cour de cassation ont deux interprétations radicalement opposées des mêmes règles de droit. Pédagogiquement, et afin d’expliquer sa position, la Cour de cassation rappelle le sens des deux dispositions concernées. Ainsi, elle souligne qu’il résulte de l’article 11 de l’ordonnance de 1945 que, lorsque les conditions légales sont réunies, les mineurs de treize à dix-huit ans mis en examen par le juge d’instruction ou le juge des enfants peuvent être placés en détention provisoire par le juge des libertés et de la détention saisi, soit par le juge d’instruction, soit par le juge des enfants, conformément aux dispositions des articles 137 à 137-4,144 et 145 du code de procédure pénale. Ensuite, elle rappelle que, selon l’article 137-4 du code de procédure pénale, en matière criminelle ou pour les délits punis de dix ans d’emprisonnement, lorsque, saisi de réquisitions du procureur de la République tendant au placement en détention provisoire d’un mineur, le juge d’instruction estime que cette détention n’est pas justifiée et qu’il décide de ne pas transmettre le dossier de la procédure au juge des libertés et de la détention, le procureur de la République peut, si les réquisitions sont motivées, en tout ou partie, par les motifs prévus aux 4° à 7° de l’article 144 et qu’elles précisent qu’il envisage de faire application des dispositions du présent alinéa, saisir directement le juge des libertés et de la détention en déférant sans délai devant celui-ci la personne mise en examen.

Prévisible, cette interprétation tire les conséquences d’un arrêt récent dans lequel la chambre criminelle a posé le principe selon lequel lorsque le juge d’instruction ou le juge des enfants, saisi de réquisitions aux fins de placement en détention provisoire ou sous contrôle judiciaire d’une personne, ne la met pas en examen et ne rend pas d’ordonnance, le procureur de la République peut saisir directement la chambre de l’instruction (Crim. 1er mars 2016, n° 15-87.143, Dalloz actualité, 23 mars 2016, obs. D. Goetz isset(node/177912) ? node/177912 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>177912). En outre, la Cour de cassation tire, dans l’arrêt rapporté, les conséquences du renvoi opéré par l’ordonnance de 1945 aux dispositions générales du code de procédure pénale prévues aux articles 137 à 137-4,144 et 145 du code de procédure pénale. Si, sur le plan de la logique juridique, cette solution doit être approuvée, la contradiction entre les juges du fond et la chambre criminelle est un nouveau témoin des difficultés d’interprétation de l’ordonnance de 1945 mais aussi du manque certain de lisibilité de ce texte. En multipliant les renvois, au sein de l’ordonnance, aux dispositions de procédure pénale applicables aux majeurs, le législateur n’égratigne-t-il pas le principe de spécialisation de la justice pour les mineurs ? En tout état de cause, cet arrêt rappelle que la lecture de l’ordonnance, qui a subi pas moins de 37 modifications depuis 1945 est, au fil des modifications, devenue de plus en plus difficile (v. Rép. pén.,  Enfance délinquante, par F. Touret De Coucy).