Accueil
Le quotidien du droit en ligne
-A+A
Article

Détention provisoire, une atteinte disproportionnée à l’apologie du terrorisme ?

Dès lors que le mémoire régulièrement déposé par l’intéressé le demande, la chambre de l’instruction doit rechercher si la prolongation de la détention provisoire d’une personne mise en examen pour apologie d’actes de terrorisme ne constitue pas une atteinte disproportionnée à sa liberté d’expression.

par David Pamart, Magistratle 18 septembre 2023

Mis en examen du chef d’apologie d’actes de terrorisme, M. A.K. avait été placé en détention. Après une première prolongation, celle-ci était à nouveau prolongée pour une durée de six mois sur le fondement de l’article 706-24-3 du code de procédure pénale. L’intéressé formait un pourvoi contre la décision de la chambre de l’instruction ayant confirmé cette prolongation

Régime de la détention provisoire

Le régime et la durée de la détention provisoire en matière correctionnelle ont atteint un tel raffinement qu’il est à souhaiter que le législateur puisse un jour y apporter plus de cohérence et de simplicité. En simplifiant, nous pouvons retenir qu’en principe, en matière correctionnelle, la détention provisoire ne peut excéder quatre mois. Cependant, en fonction notamment de la peine encourue, des antécédents du mis en examen ou de la qualification des faits, elle peut être prolongée par période de quatre mois jusqu’à une durée maximum de deux ans (C. pr. pén., art. 145-1). En outre, par dérogation à ces principes, pour les délits de terrorisme, la détention provisoire est d’une durée spécifique de six mois au lieu de quatre avec une durée totale ne pouvant excéder deux ans, voire trois en matière d’association de malfaiteurs en vue de la préparation d’actes de terrorisme délictuels (C. pr. pén., art. 706-24-3). C’est ce dispositif dérogatoire qu’entendait contester le requérant.

Le délit d’apologie d’actes de terrorisme, une limitation au droit à la liberté d’expression

Le délit d’apologie d’actes de terrorisme consiste dans le fait d’inciter publiquement à porter sur une infraction ou sur son auteur un jugement favorable (Crim. 4 juin 2019, n° 18-85.042, Dalloz actualité, 28 juin 2019, obs. S. Fucini ; D. 2019. 1229 ; ibid. 2320, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et E. Tricoire ; AJ pénal 2019. 448, obs. M. Bendavid ; Légipresse 2019. 331 et les obs. ; ibid. 483, obs. E. Dreyer ; Dr. pénal 2019. Comm. 161, obs. Conte). À ce titre, il est évident que pénaliser l’apologie constitue une limitation, une ingérence dans le principe de la liberté d’expression. Comme tout droit, le droit à la liberté d’expression ne saurait être absolu, l’article 10, § 2, de la Convention européenne des droits de l’homme prévoit qu’une telle immixtion est possible lorsqu’elle est prévue par la loi, inspirée par un but légitime et nécessaire dans une société démocratique. Ainsi par exemple, la protection de la morale et des droits d’autrui, la défense de l’ordre et la prévention des infractions pénales constituent, dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, des buts légitimes à une ingérence dans la liberté d’expression (CEDH 13 oct. 2022, Bouton c/ France, n° 22636/19, § 41, Dalloz actualité, 19 oct. 2022, obs. F. Merioz ; AJDA 2023. 118, chron. L. Burgorgue-Larsen ; D. 2022. 1856, et les obs. ; ibid. 2118, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, S. Mirabail et E. Tricoire ; ibid. 2023. 855, obs. RÉGINE ; AJ fam. 2022. 514, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; AJ pénal 2022. 581, obs. L. Saenko ; Légipresse 2022. 595 et les obs. ; RSC 2022. 817, obs. X. Pin ; ibid. 831, obs. Y. Mayaud ; ibid. 2023. 185, obs. D. Roets ).

La jurisprudence européenne considère que les États disposent d’une marge d’appréciation large pour s’ingérer dans l’exercice de la liberté d’expression lorsque les propos litigieux incitent à l’usage de la violence à l’égard d’un individu, d’un représentant de l’État ou d’une partie de la population ou lorsqu’ils font l’apologie de la violence puisqu’ils incitent indirectement à y recourir. C’est à ce titre de l’incrimination du délit d’apologie, et sa sanction par une peine d’emprisonnement, ont déjà été jugées dans l’arrêt Rouillan compatibles avec l’article 10 de la Convention (CEDH 23 juin 2022,...

Il vous reste 75% à lire.

Vous êtes abonné(e) ou disposez de codes d'accès :