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Devoir de vigilance : mise à l’honneur des parties prenantes dans la première décision de condamnation d’une entreprise

La décision rendue dans l’affaire La Poste le 5 décembre était attendue, comme en témoigne l’intérêt suscité par l’audience du 19 septembre 2023 ayant donné lieu à la présente décision1. Le Tribunal judiciaire de Paris a enfin rendu sa première décision au fond sur l’application de la loi n° 2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre. Le jugement qui condamne La Poste apporte d’importantes précisions sur l’exercice de la vigilance raisonnable telle qu’encadré par l’article L. 225-102-4 du code de commerce2.

En l’espèce, plusieurs mises en demeure avaient été envoyées par SUD PTT à la société La Poste SA, entre le 9 juillet 2020 et le 17 mai 2021, sur deux plans de vigilance successifs. La Poste avait répondu à chacune de ces mises en demeure mais, estimant que la société ne répondait pas à ses griefs, SUD PTT l’a assignée le 22 décembre 2021 sur le fondement de l’article L. 225-102-4 du code de commerce.

Cet article permet en effet à toute personne justifiant d’un intérêt à agir de demander au juge de lui enjoindre de respecter les obligations légales de vigilance, après une mise en demeure régulière et l’expiration d’un délai de trois mois3.

SUD PTT estimait que le plan de vigilance de La Poste publié en 2021 n’était conforme à aucune des prescriptions légales selon lesquelles le plan doit comprendre :
« 1° une cartographie des risques destinée à leur identification, leur analyse et leur hiérarchisation ;
2°des procédures d’évaluation régulière de la situation des filiales, des sous-traitants ou fournisseurs avec lesquels est entretenue une relation commerciale établie, au regard de la cartographie des risques ;
3° des actions adaptées d’atténuation des risques ou de prévention des atteintes graves ;
4° un mécanisme d’alerte et de recueil des signalements relatifs à l’existence ou à la réalisation des risques, établi en concertation avec les organisations syndicales représentatives dans ladite société ;
5° un dispositif de suivi des mesures mises en œuvre et d’évaluation de leur efficacité. »

Dans son assignation, SUD PTT formulait deux types de demandes d’injonction : d’une part, des demandes générales visant à remédier au caractère insuffisant de la cartographie des risques, des évaluations des fournisseurs et sous-traitants, du mécanisme d’alerte et du dispositif de suivi ; d’autre part, des demandes plus précises sur l’adoption de certaines mesures de vigilance spécifiques liées aux risques psychosociaux et la lutte contre le harcèlement ainsi qu’à la lutte contre la sous-traitance illicite et le travail dissimulé. SUD PTT dénonçait en effet des atteintes aux droits humains liées aux conditions de travail et en particulier des travailleurs sans papiers chez un sous-traitant d’une filiale de La Poste. Le syndicat demandait également au tribunal d’assortir ses injonctions d’une astreinte de 50 000 € par jour.

Si les demandes générales ont été dans l’ensemble favorablement accueillies par le tribunal, il n’en est pas de même pour les demandes relatives à des mesures spécifiques de vigilance raisonnable.

Les demandes générales de SUD PTT accueillies

Au préalable, la décision clarifie un point d’une grande importance : le juge saisi peut se prononcer sur le dernier plan de vigilance qui lui est soumis. En effet, dans le présent jugement, le tribunal analyse le « dernier plan de vigilance communiqué par La Poste (plan de vigilance figurant en annexe du document d’enregistrement universel 2021) » au moment de la clôture de la mise en état, et non le plan objet de la mise en demeure (publié l’année précédente). L’objet du litige peut donc évoluer après l’assignation. Cela fait écho à une question qui était posée devant le juge de la mise en état dans d’autres affaires où il était soutenu que la publication d’une nouvelle version du plan de vigilance entraînait l’extinction de l’instance en raison de la disparition de l’objet de l’action4. Si l’on suit la logique de la décision commentée, il n’y a pas de raison d’exiger, dans le cadre d’une action en cours, que les demandeurs envoient une nouvelle lettre de mise en demeure lorsque l’entreprise publie une version actualisée de son plan de vigilance5.

Le tribunal répond ensuite point par point et de façon détaillée aux différents griefs de SUD PTT.

Concernant la cartographie des risques

Le juge commence par le constat de bon sens selon lequel : « la cartographie des risques des activités est la première étape de l’élaboration du plan de vigilance qui revêt un caractère fondamental dans la mesure où ses résultats conditionnent les étapes ultérieures et donc l’effectivité de l’ensemble du plan. » Autrement dit, la cartographie des risques qui permet de déterminer les mesures de vigilance adéquates doit être particulièrement soignée et le plan doit en être le reflet.

Après avoir entièrement reproduit dans sa décision la présentation de la cartographie des risques dans le plan de La Poste publié en 2021, le juge relève que, « la cartographie élabore une description des risques à un très haut niveau de généralité » et constate que « la cartographie ne permet pas de connaître, même de manière synthétique, quels sont les facteurs liés à l’activité ou l’organisation pouvant concrètement faire naître les risques. La hiérarchisation à un niveau très général, en intégrant d’ores et déjà les effets des mesures en vigueur, ne permet pas plus d’identifier les actions devant être instaurées ou renforcées prioritairement ». S’il n’est pas exigé de La Poste que le plan entre dans tous les détails, une cartographie plus « synthétique » aurait pu suffire, la société aurait...

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