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Article
Devoirs déontologiques et sanctions disciplinaires du notaire
Devoirs déontologiques et sanctions disciplinaires du notaire
Le notaire, officier public et ministériel, bénéficie d’un statut singulier qui l’astreint à divers devoirs déontologiques et qui, en cas de manquement, l’expose à des sanctions disciplinaires.
par Alex Tanile 28 juin 2019
À la suite d’une inspection de l’étude dans laquelle il exerçait ses fonctions, un notaire a été poursuivi à des fins disciplinaires par le procureur de la République, pour avoir commis divers manquements à ses obligations dans treize dossiers distincts. L’arrêt rendu à cette occasion par la Cour de cassation permet opportunément de faire le départ entre ce qui peut être reproché à un notaire et ce qui ne peut pas lui être imputé.
• Obligations relatives à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme – Le notaire mis en cause faisait grief à l’arrêt d’appel (Aix-en-Provence, 25 janv. 2018) d’avoir prononcé, à son encontre, une peine d’interdiction d’exercer ses fonctions durant trois ans. Le pourvoi formé est cependant rejeté par la Cour de cassation qui retient que le notaire a manqué à l’obligation de vigilance à laquelle il était légalement et règlementairement tenu (T. Cassin et B. Nicoulaud, Cadre législatif et réglementaire et obligations légales des notaires pour lutter contre le blanchiment, JCP N 2014, n° 7, 1096). Il ressortait, en l’espèce, que l’acte authentique comportait des modifications substantielles par rapport aux stipulations de la promesse synallagmatique de vente (parties à l’acte, objet de l’opération, modalités de paiement du prix…). En outre, il apparaissait que le prix avait été payé selon des modalités pour le moins originales : contrairement aux usages, il fut versé au moment de la promesse de vente et, de surcroît, réglé pour la quasi-totalité en dehors la comptabilité de l’office. Autant d’éléments inhabituels (voire suspects) qui selon la Cour de cassation auraient dû alerter le notaire : à l’évidence, « l’opération litigieuse présentait un caractère particulièrement complexe » et, à tout le moins, « les circonstances l’entourant ne permettaient pas d’exclure tout soupçon sur la provenance des sommes en cause ». C’est ainsi que les Hauts magistrats retiennent, pour rejeter le pourvoi, que « le notaire était tenu de vérifier l’origine des fonds et de procéder à une déclaration auprès de la cellule Tracfin ». Et de décider « que le non-respect, par le notaire, de ses obligations relatives à la lutte contre le blanchiment de capitaux édictées par les articles L. 561-1 et suivants du code monétaire et financier était constitutif d’un manquement disciplinaire prévu à l’article 30 du règlement national des notaires ». Partant, le manquement à cette obligation de vigilance pouvait légitimement entraîner le prononcé de l’une des six peines disciplinaires prévues à l’article 3 de l’ordonnance n° 45-1418 du 28 juin 1945 : en l’occurrence, l’interdiction temporaire d’exercer. Le rôle du notaire dans la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme est essentiel ; et ses devoirs vont au-delà du simple respect des dispositions du code monétaire et financier. Rappelons qu’il doit aussi mettre en place les procédures internes permettant d’assurer ce contrôle, et veiller à la bonne formation de ses collaborateurs sur ces sujets (C. Biguenet-Maurel, Notariat. – Lutte contre le blanchiment. – Étendue des obligations notariales, in J.-Cl. Notarial Formulaire, v° Notariat, fasc. 24, 1er juin 2009 (act. 28 mars 2018), spéc. n° 112).
• Pas d’obligation de refuser d’instrumenter en l’absence de caractère illicite ou frauduleux d’une vente – Si l’on pouvait imputer au notaire son manquement dans la transmission d’une déclaration de soupçons à Tracfin, il ne semblait toutefois pas possible de lui reprocher de ne pas avoir refusé d’instrumenter dans ce dossier. Chacun sait que le notaire est en principe tenu de prêter son ministère lorsqu’il en est requis, « sauf à le refuser pour l’élaboration de conventions contraires à la loi, frauduleuses ou qu’il sait inefficaces ou inutiles » (ainsi que le précise l’art. 3 du règlement national des notaires approuvé par arrêté du 22 mai 2018, JORF, 25 mai 2019 ; JCP N 2018, n° 23, 1202). Or, en l’espèce, la Cour de cassation estime que les juges d’appel ont privé leur décision de base légale en se fondant sur « des motifs impropres à établir le caractère illicite ou frauduleux de la vente litigieuse ». Une censure est sans surprise prononcée au visa des articles 3 de la loi du 25 ventôse an XI contenant organisation du notariat, 2 de l’ordonnance n° 45-1418 du 28 juin 1945 relative à la discipline des notaires et de certains officiers ministériels, et 3.2.3 et 58 du règlement national des notaires. Quand bien même il aurait dû opérer ici un signalement Tracfin, le notaire ne pouvait refuser d’instrumenter sur ces seuls soupçons.
• Pas d’obligation de refuser d’instrumenter en cas d’incertitude fiscale – La cour d’appel fit également le reproche au notaire d’avoir accepté de recevoir la vente d’un terrain sur lequel le vendeur avait installé sa caravane, en déclarant qu’il s’agissait de sa résidence principale à l’effet (chacun le voit venir) de bénéficier d’une exonération de plus-value. Les juges d’appels avaient cru pouvoir se fonder sur une reconnaissance de conseil donnée et sur une constitution de nantissement au profit de l’administration fiscale pour établir les doutes du notaire qui auraient dû, selon les magistrats aixois, l’inciter à refuser de recevoir un tel acte, en apparence contraire à la légalité. La Cour de cassation censure cette analyse : « en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si la caravane implantée sur le terrain cédé était attachée au fonds à perpétuelle demeure, de sorte qu’elle pouvait être regardée comme constituant un immeuble et, par suite, relever du champ d’application prévue à l’article 150 U, II, du code général des impôts, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ». La solution retiendra (incidemment) l’attention de tous ceux qui s’intéressent aux plus-values immobilières. La Cour de cassation – et l’on y verra sans doute la présence d’un ober dictum (S. Hortala, Les obiter dicta de la Cour de cassation, Dalloz, coll. « Nouvelles bibliothèques de thèses », 2019) – profite de cette espèce pour trancher une question demeurée jusque-là en souffrance (Mémento Fiscal 2019, nos 32130 s.) : on tiendra désormais pour acquis, qu’en dépit de sa nature mobilière, une caravane attachée à perpétuelle demeure au fonds peut parfaitement recevoir la qualification d’immeuble et, sitôt qu’elle est affectée à la résidence principale, bénéficier de l’exonération de plus-value prévue par l’article 150 U, II, du code général des impôts (comp. CAA Paris, 31 mars 2016, n° 14PA02634, Juris tourisme 2016, n° 189, p. 12, obs. R. Fievet ; EFL La Quotidienne, 7 juin 2016, S. Glogowski ; RFP 2016, n° 6, 164, J.-J. Lubin – à propos de la cession d’un mobil-home qui, en raison de sa mobilité, n’avait pas pu bénéficier de l’exonération). Face à l’incertitude fiscale qui entourait le dossier dont il avait à connaître, le notaire avait pris la juste précaution d’établir une reconnaissance de conseil donné et d’affecter en nantissement une partie du prix ; mais il ne pouvait évidemment pas aller jusqu’à refuser d’instrumenter à ce titre car l’opération (quoique téméraire) n’avait rien d’illégale ou de fraudeuse.
• Pas d’obligation légale de mentionner à l’acte notarié l’annexion d’une procuration – La cour d’appel avait aussi trouvé à redire au sujet d’une procuration qui avait été jointe à l’acte, mais dont aucune mention dudit acte ne précisait qu’elle lui était annexée. La question ainsi soumise à la Cour de cassation était claire (et à notre connaissance inédite) : un acte authentique doit-il recenser toutes ses annexes et faire expressément mention de leur annexion ? L’on sait que les notaires (comme, en règle générale, les autres rédacteurs d’actes) ont coutume d’adopter les formules suivantes : « ci-annexé » ; « ci-joint » ; « qui demeure annexé aux présentes », etc. Pourtant, il arrive aussi qu’au dernier moment ils souhaitent annexer une pièce dont l’apport leur semble utile à l’acte ; et c’est peu dire que la liste des annexes ne cesse de s’allonger ces dernières années (v. not., C. Vernières, Les annexes à l’acte notarié, JCP N 2012, n° 4, 1061). Le cas échéant, faut-il nécessairement que l’acte mentionne cette annexion ou suffit-il que cette annexe soit signée par les parties et par le notaire, puis demeurée jointe à l’acte (avec, lorsque celui-ci est établi sur support papier, la mention idoine) ? La Cour de cassation, en visant les articles 21 et 22, alinéa 1er, du décret n° 71-941 du 26 novembre 1971 relatif aux actes établis par les notaires, énonce « qu’aux termes du premier de ces textes, que l’acte notarié porte mention des documents qui lui sont annexés, que les procurations sont annexées à l’acte, à moins qu’elles ne soient déposées aux minutes du notaire rédacteur de l’acte, et que, dans ce cas, il est fait mention dans l’acte du dépôt de la procuration au rang des minutes ; que, selon le second, lorsque l’acte est établi sur support papier, les pièces annexées à l’acte sont revêtues d’une mention constatant cette annexe et signée du notaire ». Le tout pour conclure – par un attendu de principe qui à lui seul justifie la publication de la décision au Bulletin – que, « si l’acte notarié doit porter mention de la procuration, aucune disposition légale ou réglementaire n’exige qu’il précise que celle-ci lui est annexée ». Ainsi, l’arrêt d’appel est logiquement censuré sur ce point.
• Pas d’obligation de présenter un chèque de garantie en paiement – Les inspecteurs avaient aussi découvert, dans le coffre-fort de l’étude, un chèque d’un montant de 580 000 € émis en juin 2010. La cour d’appel crut pouvoir encore prendre en défaut le notaire qui – au sens des dispositions relatives aux instruments de paiement de l’article L. 131-32 du code monétaire et financier – avait l’obligation de présenter ce chèque au paiement dans un délai de huit jours. L’officier public dut ici son salut à la Cour de cassation qui observa qu’il résultait des constatations même des juges d’appel que « les parties avaient entendu conférer à ce chèque l’usage de chèque de garantie ». Dès lors, rien ne commandait au notaire d’encaisser le chèque litigieux ; et à tout le moins aucune sanction disciplinaire ne pouvait être retenue contre lui.
S’il donne parfois le sentiment de traiter de sujets épars, l’arrêt commenté retrouve une cohérence en revenant sur les devoirs déontologiques qui incombent aux notaires, et sur les peines disciplinaires qui sanctionnent leur inobservation. Ce faisant, il invite à bien garder à l’esprit que les notaires sont des officiers publics et ministériels, investis d’un statut singulier, qui – ainsi que le soulignent des spécialistes – « les oblige plus qu’il ne leur donne de droits » (J.-F. Sagaut et M. Latina, Déontologie notariale, 3e éd., Defrénois, 2017, p. 187).
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