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Article
Diffamation : « Deux ans après les faits, j’ai un sentiment d’une très grande violence »
Diffamation : « Deux ans après les faits, j’ai un sentiment d’une très grande violence »
Le 27 mars, Clémence Calvin, marathonienne, se soustrayait à un contrôle antidopage au Maroc. À son retour en France, elle annonçait lors d’une conférence de presse avoir été agressée et décrivait une scène violente. Pour ces propos, l’agence française de lutte antidopage la poursuit en diffamation. Décision le 11 mars.
par Julien Mucchiellile 22 janvier 2021
Le 3 avril, puis le 5 avril 2019, la presse sportive rapporte l’information suivante : le 27 mars, Clémence Calvin, vice-championne d’Europe du marathon, s’est soustraite à un contrôle antidopage alors qu’elle résidait à Marrakech, où elle peaufinait sa préparation pour le marathon de Paris en compagnie de son mari, l’athlète Samir Dahmani. Les informations filtrent peu à peu : il y aurait eu esclandre dans les rues de Marrakech. Dahmani aurait poussé les agents de l’Agence française de lutte contre le dopage (AFLD), pour permettre à la marathonienne de s’enfuir en courant dans les rues de la ville.
Elle rentre en France le 9 avril ; suspendue par l’AFLD, elle livre à la presse, lors d’une conférence très attendue, son récit des faits. La scène qu’elle narre est reprise sur douze médias, les propos qu’elle tient sont sévères à l’encontre des trois agents de l’Agence : ils seraient arrivés dans son dos, dans la rue, lui aurait dit « police française », avant de lui attraper le bras, ce qui aurait provoqué la chute de son bébé, qu’elle tenait dans les bras. Voyant cela, son mari se serait énervé, et elle se serait enfuie, de peur d’être l’objet d’une agression par des personnes qu’elle n’a pas pu identifier. Lors de la conférence, elle tient un certain nombre de propos : « c’était tout, sauf un contrôle », « j’ai voulu me protéger, c’est la première fois que je me fais attaquer de la sorte », « ces gens qui nous voulaient du mal », jetant l’opprobre sur l’action de l’AFLD, qui a porté plainte en diffamation contre la marathonienne.
Le temps a passé. Le 10 avril, le Conseil d’État a suspendu la décision de suspension de l’athlète, qui a pu courir le marathon de Paris, dont elle a pris la quatrième place, battant son record personnel et le record de France et confirmant sa progression fulgurante sur la distance reine de la course de fond. Mais l’AFLD a poursuivi l’athlète pour sa soustraction au contrôle de Marrakech, l’a suspendue quatre ans, décision confirmée en septembre 2020 par le Conseil d’État.
Le jeudi 21 janvier 2021, la 17e chambre correctionnelle de Paris examine cette affaire de diffamation publique commise à l’encontre de plusieurs agents de l’AFLD ; le docteur Antoine G…, le directeur des contrôles Damien S…, et la troisième personne, Anna F…, tous trois présents, alors que la prévenue est absente. Il y a, en tout, cinquante-quatre passages poursuivis, ce qui pose problème à la défense. L’avocat de Clémence Calvin demande la nullité de la procédure. « Trois parties civiles distinctes contestent les propos prononcés par une seule personne sur un support, et cela sur une seule citation. Cela pose des problèmes d’articulation », entame-t-il. La citation, se plaint-il, ne comprend pas les textes et vidéos visés, mais se contente de renvoyer au procès-verbal dressé par huissier, ce qui ajoute à la confusion. Puis, il remarque que sa cliente est poursuivie plusieurs fois pour les mêmes propos (mais repris par plusieurs médias), sans que soient poursuivis les directeurs de ces médias. L’avocat estime aussi que la citation souffre d’un défaut de qualification, se contentant de résumer succinctement les propos qu’elle estime diffamatoires. Le procureur et la partie civile demandent au tribunal de rejeter ces conclusions, et ce dernier, après suspension, décide de joindre au fond.
« Dérobade qui confine au ridicule, quand on sait comment ça s’est terminé »
Appelé à la barre, Damien S… explique le fonctionnement de l’AFLD et ce qui l’a amené à contrôler Clémence Calvin — qui prétend que cet homme en a après elle. Il raconte : la coureuse affiche d’excellentes performances en 2013, 2014, un niveau mondial, mais ne concrétise pas par la suite. En 2017 naît son fils. En 2018, elle devient vice-championne d’Europe lors de son premier marathon. Elle avait fait du marathon de Paris son objectif principal, qui devait lui permettre de se qualifier pour les Jeux olympiques de Tokyo. « Tous les clignotants nous indiquaient qu’il était temps de procéder à un contrôle. Elle était passée du 10 000 m au marathon (42,195 km) avec une excellence douteuse, et elle avait prévu beaucoup de stages à l’étranger (Kenya, Maroc et Maroc de nouveau). » Or c’est pendant la phase de préparation que les athlètes suivent un programme de dopage (pour être propres le jour de la compétition), et Damien S… la soupçonnait de s’être injectée de l’EPO.
Les agents débarquent le 27 mars à Marrakech, aperçoivent Clémence Calvin dans la ville, qu’ils reconnaissent à un haut de sport rose caractéristique, et décident de se présenter à elle. Ils déclinent leur qualité, présentent des papiers et annoncent leurs intentions. Elle leur demande de la suivre jusqu’à une salle de musculation où Samir Dahmani s’entraîne. Là, les deux s’entretiennent brièvement à l’insu des contrôleurs, puis Dahmani bouscule le médecin Olivier G…, Clémence Calvin s’extirpe de l’endroit et s’enfuit dans la rue. Olivier G… tente de la poursuivre, est de nouveau bousculé par Dahmani, qui ceinture aussi Damien S…, d’après ce dernier. Olivier G… suit l’athlète sur quelques centaines de mètres, lui notifiant cinq fois, en le lui criant, la sanction encourue si elle ne se soumet pas au contrôle, puis la perd « naturellement de vue », rappelant qu’elle est une athlète de haut niveau.
— J’ai la certitude qu’elle était positive, au vu des éléments dont je disposais.
— Vous auriez mené un combat personnel à son endroit ?, demande son avocat.
— C’est un fantasme assez bas de gamme, s’offusque-t-il, insistant sur l’éthique qui guide leur action.
— Deux ans après les faits, j’ai un sentiment d’une très grande violence et d’une amertume face à ces propos. Tout cela, nous le faisons au nom d’un contrat moral avec les sportifs propres, et au nom de l’équité.
En réponse à l’avocat de Calvin, qui s’étonnait du nombre de contrôle, 69 en huit ans, subis par sa cliente, Damien S… rappelle que c’est la norme pour des athlètes de son calibre.
« L’agence n’a pas vocation à porter plainte, plaide la partie civile, mais il y a un moment où, lorsqu’on est une athlète de ce niveau et qu’on a accès à un public très important, les propos peuvent porter atteinte à l’honneur. » L’agence ne pouvait, selon lui, laisser passer ces très graves accusations, lancées pour justifier son attitude extraordinaire, cette « dérobade » incroyable. Il rejette l’excuse de bonne foi avancée par la défense, tout comme le procureur qui, dans un bref réquisitoire au terme duquel il demande au tribunal d’entrer en voie de condamnation (sans préciser la peine) et parle lui d’une « dérobade qui confine au ridicule, quand on sait comment ça s’est terminé ».
La défense s’emploie. Il rappelle que la décision du Conseil d’État, qui confirme la suspension de sa cliente, ne revêt pas l’autorité de la chose jugée, et que le récit de Clémence Calvin est sa version des faits, tout comme le récit fait par Damien S… est sa version des faits. Le journaliste de Stade 2, qui sort le scoop le 3 avril, et qui sert la version de l’AFLD, est un ami de Damien S…, par ailleurs ancien journaliste à L’Équipe, ce qui lui fait dire que la connivence entre les deux pouvait s’interpréter comme une animosité à l’encontre de sa cliente. Il qualifie le comportement des agents de contrôle de « cow-boy », et ne croit pas à la version rocambolesque de la fuite de Clémence Calvin. Enfin, sur le plan juridique, il estime que la partie civile aurait dû viser l’article 30 de la loi de 1881, car les contrôleurs agissaient pour le compte d’une autorité administrative, avec des moyens de puissance publique, et non comme des particuliers (art. 32), comme les plaignants se sont présentés. Il demande la relaxe.
La décision sera rendue le 11 mars.
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