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Diffamation : modus operandi et critères de la bonne foi

Pour apprécier si l’excuse de bonne foi peut être retenue au bénéfice du prévenu poursuivi pour diffamation, il appartient aux juges, en premier lieu, de rechercher si les propos litigieux s’inscrivent dans un débat d’intérêt général et s’ils reposent sur une base factuelle suffisante puis, en deuxième lieu, lorsque ces deux conditions sont réunies, si l’auteur des propos a conservé prudence et mesure dans l’expression et était dénué d’animosité personnelle.
 

Le 21 février 2020, un individu porta plainte et se constitua partie civile pour diffamation publique envers un particulier à la suite de la publication, par son associé, d’un article lui imputant plusieurs comportements délictueux et manquements aux réglementations applicables, dans le cadre de la gestion de la société de fabrication et de commercialisation de produits cosmétiques au sein de laquelle ils travaillaient ensemble.

Le prévenu fut condamné par les premiers juges puis la Cour d’appel d’Aix-en-Provence confirma ce jugement le 28 juin 2022, refusant à l’intéressé le bénéfice de la bonne foi aux motifs que les pièces qu’il avait produites ne permettaient ni de corroborer les allégations contenues dans la publication litigieuse ni de considérer qu’il avait agi de bonne foi en tant que lanceur d’alerte, et que les termes employés étaient excessifs.

Dans son pourvoi, le prévenu arguait de ce que l’existence d’un sujet d’intérêt général et d’une base factuelle suffisante suffisent à justifier des propos diffamatoires, indifféremment des critères traditionnels de la bonne foi, reprochant à la cour d’appel de ne pas avoir recherché, comme le prescrit la jurisprudence européenne pourtant, si les propos s’inscrivaient dans un débat d’intérêt général et reposaient sur une base factuelle suffisante.

Par son arrêt, la chambre criminelle casse et annule l’arrêt d’appel au visa de l’article 593 du code de procédure pénale pour défaut de motivation, renvoyant la cause et les parties devant la Cour d’Aix-en-Provence autrement composée. L’occasion pour la Haute Cour de rappeler aux juges du fond le raisonnement à adopter pour apprécier l’excuse de bonne foi, lorsque celle-ci est invoquée.

Le fait justificatif de bonne foi

En matière de diffamation, la loi sur la presse prévoit un seul fait justificatif spécifique : la preuve de la vérité des faits (v. Loi du 29 juill. 1881, art. 35). Pour pallier sa rigueur (l’exceptio veritatis obéissant à de strictes conditions de fond et de forme) et étendre le champ d’une possible justification (et donc celui de la liberté), la jurisprudence a élaboré l’excuse de bonne foi, laquelle n’exige plus la preuve de la vérité mais de la vraisemblance des faits allégués.

Précisément et classiquement, la bonne foi suppose la réunion de quatre éléments : la légitimité du but poursuivi, l’absence d’animosité personnelle, la prudence et la mesure dans l’expression, ainsi que l’existence d’une enquête sérieuse (v. Rép. pén., Diffamation, par S. Détraz, n° 300, distinguant composantes formelles et substantielles). Quand ses conditions en sont réunies, la bonne foi permet donc d’exprimer des propos de nature à porter atteinte à l’honneur ou à la considération, sur des faits qui pourraient être vrais, lorsqu’il est légitime d’aborder le sujet et que la démarche d’ensemble demeure objective et l’expression mesurée.

Le prévenu était en l’espèce poursuivi pour avoir, dans son article, imputé une série de comportements frauduleux à son (ex) associé. La diffamation, entendue comme « toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé » (Loi de 1881, art. 29), était assurément caractérisée. Il avait tenté de justifier son comportement en invoquant sa bonne foi.

Les critères redessinés de la bonne foi

Selon les juges du fond, les éléments produits par la défense ne permettaient pas de corroborer les faits dénoncés (ce qui renvoie davantage à l’exceptio...

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